Decision à Sundown


Ré-éditant en version collector une série de films issus de la collaboration mythique entre Randolph Scott et le cinéaste Budd Boetticher, Sidonis Calysta nous permet de plonger en Blu-Ray dans un chapitre particulièrement intéressant de l’histoire du western, et dont Décision à Sundown (1957) n’est pas le rejeton le moins intrigant.

Karen Steele empêche Randolph Scott de quitter la maison, lui prenant le bras juste devant une porte en bois fermée dans le film Décision à Sundown.

© Tous Droits Réservés

Femme infidèle

A gauche, au premier plan, le dos d'un homme qui s'apprête à dégainer en pleine rue ; face à lui à quelques mètres à droite, un homme se cache derrière une boutique ; plan issu du film Décision à Sundown.

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Nous avons déjà eu l’occasion de vous parler de Budd Boetticher à la faveur de précédentes sorties Sidonis Calysta dont le travail sur le cinéma américain dirait-on « classique » (films noirs, westerns, etc) mérite d’ailleurs d’être à nouveau encouragé, plus encore en cette année de deuil de Bertrand Tavernier, fidèle collaborateur de cette maison d’édition qui manquera à toute une frange de la cinéphilie. Nous avions d’abord évoqué Le déserteur de Fort Alamo avec Glenn Ford (1953) western avec certaines aspérités sans atteindre les cimes du genre ; puis nous avions commencé à aborder la série des sept travaux qui ont rendu célèbre la collaboration entre Boetticher et l’acteur Randolph Scott, le fameux « cycle Ranown » (du nom de la société de production qui a chapeauté cinq films de la série) via L’Aventurier du Texas (1958) long-métrage au scénario particulièrement affûté, précis et attentif aux personnages dans sa mise en scène. Tourné juste avant L’Aventurier du Texas, en 1957, nous nous pencherons maintenant sur l’étonnant mais imparfait Décision à Sundown que Sidonis vient de ressortir en édition collector Blu-Ray, dans la foulée d’autres œuvres du duo Boetticher-Scott qui ont eu elles aussi les honneurs de la galette haute définition en 2021.

Bart Allison (Randolph Scott) arrive dans la ville de Sundown accompagné d’un ami de longue date. Sa cible, c’est Tate Kinsbrough, un homme riche qui tient toute la ville sous sa coupe – typologie d’antagoniste que l’on retrouvera dans L’Aventurier du Texas, notamment. Bart veut vengeance, et il l’annonce à tous, faisant irruption au mariage de Kinsbrough pour le menacer publiquement : une menace qui va peu à peu changer toute l’organisation, toute la « sociologie » de Sundown, jusqu’à provoquer une prise de conscience de ses habitants… Le cycle Ranown peut se voir comme une série de variations sur un même thème : celui de la vengeance. Plusieurs de ces productions abordent ce sujet mythologique par un prisme à chaque fois particulier, avec des narrations divergentes, des tons parfois opposés, et concernant Randolph Scott, un personnage principal aux visages là aussi malléables selon les films. Il faut y voir l’apport majeur du scénariste Burt Kennedy, car si l’on parle avant tout du duo cinéaste-acteur, ce cycle de westerns est plus exactement l’œuvre d’un trio, incluant Kennedy, auteur de cinq longs-métrages sur les sept dont Décision à Sundown – pour la petite histoire, le générique crédite bien Charles Lang Jr. au poste de scénariste, mais Budd Boetticher a révélé plus tard que Burt Kennedy était bien l’auteur du script. C’est justement en la variation qu’il représente, dans l’axe par lequel il traite le thème de prédilection de ses auteurs, que Décision à Sundown attise une curiosité, malgré, il faut le dire, un Boetticher particulièrement peu inspiré derrière sa caméra, et une incarnation globale – rythme, décors, intensité du jeu et des émotions – pas vraiment stimulante.

C’est que le film est plutôt iconoclaste, de par sa structure déjà, en allers-retours entre scènes avec Bart retranché dans une demeure prise d’assaut par les porte-flingues de Tate Kinsbrough ; les difficultés de Tate aux prises avec la situation, la femme qu’il s’apprêtait à épouser, et sa maîtresse ; et enfin des séquences dans le saloon qui fonctionnent comme une agora, et par lesquelles nous observons le progressif changement d’opinion communautaire sur Tate. Ensuite, l’objet même de la vengeance est assez original : Bart vient venger sa défunte épouse, qui n’a pas été à proprement parler tuée par Tate, mais qui s’est suicidée après que ce dernier ait rompu leur relation extra-conjugale. Bart n’est en réalité ni plus ni moins qu’un cocu qui refuse d’admettre la responsabilité de son aimée dans sa tragédie, tout comme il refuse de voir qu’elle était, d’après les discours d’à peu près tout le monde, une femme libérée sur le plan sexuel qui collectionnait les amants derrière son dos. On pense au personnage d’Ethan Edwards dans La prisonnière du désert (John Ford, 1956), lui aussi enfermé dans un déni, bâtissant sa quête sur un refus Blu-Ray du film Décision à Sundown édité par Sidonis Calysta.de voir certaines choses telles qu’elles sont, Randolph Scott se montrant ici assez admirable dans sa composition. Enfin, et c’est l’aboutissement du récit comme de la route de son personnage, c’est le duel final qui achève de surprendre le spectateur… Mais nous le garderons ici secret, pour conserver l’intérêt d’un long-métrage qui vaut bel et bien le coup d’œil pour qui ne boude pas le plaisir d’être un peu déboussolé.

L’édition combo DVD-Blu-Ray collector de ce Décision à Sundown offre, en suppléments de la restauration en haute définition, un nombre généreux d’entretiens : Patrick Brion et Jean-François Giré nous présentent le film, Bertrand Tavernier le film et Budd Beotticher, l’historien Edward Buscombe nous parle de Randolph Scott et nous est proposée enfin une interview du cinéaste Taylor Hackford invité à s’exprimer sur le long-métrage. A tout cela s’ajoutent des bandes annonces, signe que Sidonis a décidé de donner à ces éditions un contenu bonus de plus en plus qualitatif.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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