Mother May I ?


Premier titre de la rétrospective spéciale Halloween sur Shadowz, Mother May I? (2023) de Laurence Vannicelli, nous invite à partager une thérapie de couple sur fond d’horreur psychologique. Ne vous inquiétez pas pour les modalités, Maman va s’en charger…

La comédienne Holland Roden observe un document dans une pénombre totale, juste éclairée par une lampe torche, dans le film Mother, may I?

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Oedipe Therapy

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Après Vera (2015), son premier long-métrage, Laurence Vannicelli donne à nouveau vie à des personnages enclins à un mal-être intérieur. Mais contrairement à son précédent film, la vision sociétale a laissé place à l’intime. Elle s’attaque ici à quelque chose de beaucoup plus freudien et viscéral, une relation maternelle sur tous les plans, face à la stabilité d’un couple en recherche d’acceptation. Et c’est dans la mort que s’ouvre le récit, la mort d’une femme, d’une mère, dont le fils Emmett (Kyle Gallner) va rapidement récupérer les cendres dans une urne plastifiée bas de gamme pour les déverser quelques minutes plus tard dans un lac et les réduire littéralement à « de la nourriture pour poissons », donnant tout de suite le ton sur leur relation familiale. Héritier de la maison de sa mère, Emmett s’installe avec sa petite amie Anya (Holland Roden) dans la demeure pour y faire le tri avant que l’agent immobilier ne vienne estimer le bien à la vente. Mais à la suite d’une prise de champignons qui font voir des trucs bizarres, Anya devient comme habitée et commence à se comporter comme la défunte mère, confrontant Emmett à ses traumatismes d’enfance. C’est dans cette trame que le film s’enrôle et nous met frontalement dans quelque chose de très dérangeant, à la recherche d’une vérité, d’un passé refoulé et d’un problème inhérent aux deux personnages. Car si Emmett cache ce qui le ronge, Anya aussi possède sa part de mystère et ses faiblesses qu’elle préfère enfouir pour vivre dans le mensonge d’un couple inébranlable.

Une femme allongée par terre, vêtue de jaune, au beau milieu d'un salon désert, parfaitement agencé, baigné dans une lumière blanche émanant de l'extérieur ; scène du film Mother, may I?

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Le point fort de Mother May I? réside dans sa mise en scène millimétrée, inspirée par le travail de Brian De Palma ou encore Nicolas Roeg, l’ambiance des thrillers 70’s prenant une place prépondérante dès le début du film. Avec ce long dézoom d’introduction face à la mort, il pose tout de suite les bases. Accompagné d’une superbe musique, signée Marc Riordan, une certaine poésie émane d’une séquence plus que douloureuse. Puis la réalisation laisse place à un sentiment plus dérangeant. La caméra devient alors oppressante, posée, lourde, se resserre et ne cesse de nous impliquer dans la peau des protagonistes en adoptant les différents points de vue nécessaires à leur transformation – et c’est peu de le dire. Jouant habilement avec les cadres et ses mouvements de caméra, nous basculons d’un personnage à l’autre, bouleversant l’ordre des choses et la réalité au point de nous perdre. Avons-nous à faire à une possession ? Un jeu thérapeutique assez malsain ? Ou bien un champignon mal digéré ? Le flou et l’incertitude s’installent, jouant avec le genre du long-métrage mais aussi avec le spectateur sur la véracité du récit, à la manière d’un Midsommar (Ari Aster, 2019). Seul bémol, l’utilisation intempestive de fondu enchaînés, ne vous amusez pas à les compter vous allez perdre le fil du film, même si certains restent très esthétiques et nous racontent quelque chose, d’autres semblent gratuits et perdent de leur valeur tant ils sont parsemés tout au long du montage. Vannicelli semble oublier qu’une mise en scène puissante se suffit à un dialogue, et c’est bien là le problème, même si nos deux comédiens s’en sortent à merveille dans leur jeu, il en ressort un manque de subtilité dans l’écriture des dialogues, prenant le spectateur par la main pour lui faire comprendre ce qu’il a déjà compris quelques minutes plus tôt à l’aide d’un plan bien plus qu’évocateur sur les besoins internes des protagonistes. S’ensuit alors une impression de lourdeur dont on se serait passé, accompagnée de raccourcis assez improbables – dont une transformation de la jeune Anya et d’un retour à la case départ assez abrupt, sans réelle explication – et de ressorts scénaristiques prévisibles, qui semblent n’être qu’un prétexte pour arriver à sa fin. Fondu enchainé.

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Néanmoins, Mother, may I? cherche tout de même à s’élever à un autre plan, en creusant dans quelque chose de plus métaphysique, notamment à travers l’utilisation de nombreuses métaphores – comme l’eau, problème inhérent à Anya, symbole de la naissance et de la vie. Mais aussi avec un plan sur l’image d’un masque brisé, non sans faire écho à la persona de Jung. Ou encore, le sujet de la réincarnation, symbolisée par l’omniprésence des insectes, qui donne un petit peu plus de consistance au récit, permettant de lui donner corps et par la même occasion d’en servir le scénario un tant soit peu. Un corps, une situation, que chacun se doit d’accepter, pour trouver sa place au sein du couple. Telle une renaissance, une découverte de son véritable « moi », mise en image par ce dernier plan, encore une fois bien plus puissant qu’une ligne de dialogue. Laurence Vannicelli, affaire à suivre ! Fondu enchaîné… Oui, celui-ci ne sert littéralement à rien.


A propos de Jean Stefanelli

Élevé dans une maison où l'on déguste des têtes de veaux sauce gribiche au doux son des bols tibétains, Jean a réussi à trouver son équilibre en matant 10 fois par semaine l'intégrale des contes de la crypte. Ses cheveux d'immigré italien se dressèrent sur sa tête le jour où il découvrit l'Enfer des Zombies de Fulci et c'est pourquoi aucune nouvelle histoire ne lui vient sans qu'il n'écoute Fabio Frizzi. Féru d'écriture et d'univers onirico-horrifiques, il réalise des films et emmerde son chef-op pour qu'il lui fasse une séquence à la De Palma dans Pulsions, mais bon, n'est pas Brian qui veut... Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riEIs

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