Scare Me


Se raconter des histoires qui font peur, tel est le topo de Scare Me (Josh Ruben, 2020), une comédie horrifique un peu répétitive mais magistralement interprétée, dispo sur Shadowz.

Aya Cash et Josh Ruben nous regardent droit dans les yeux, devant une fenêtre dont les rideaux blancs sont tirés : tous deux ont un doigt sur la bouche pour nous dire de se taire ; plan issu du film Scare me.

   © DR / Courtesy of Sundance Institute | photo by Brendan Banks

La jalousie est un vilain défaut

Si vous faites partie de la génération Y (les millenials en anglais) – en gros si vous êtes né, comme nous, entre 1980 et 1995 – vous vous souvenez peut-être de la série originale Fais-moi peur diffusée dès 1993 dans Les Minikeums sur France 3, une série d’anthologie dans laquelle des gamins se racontaient des histoires d’horreur autour d’un feu de camp. Le premier long-métrage de Josh Ruben Scare Me en reprend vaguement l’idée mais avec des adultes cette fois, et devant un feu de cheminée. Fred (interprété par Ruben lui-même) s’isole dans un chalet pour écrire le scénario d’un film d’horreur. Lors d’un footing, il rencontre Fanny (Aya Cash), une romancière d’horreur à succès, elle aussi venue puiser l’inspiration dans un coin reculé. Quand une tempête de neige entraine une coupure totale d’électricité, les deux auteurs décident de passer leur soirée à se raconter des histoires horrifiques. Le but : se faire peur rien qu’avec le pouvoir des mots et de l’imagination. Mais dès les premiers instants, les disparités entre les deux protagonistes se font ressentir. Fred manquant cruellement d’imagination et de dextérité narrative se fait interrompre régulièrement par Fanny qui corrige son phrasé et ses idées. Et quand Fred se vexe, elle le remet à sa place « d’homme blanc fragile et émasculé ». Ce qui devait être une soirée divertissante devient alors très vite une joute verbale et psychologique, à qui aura l’histoire la plus convaincante.

Plan rapproché-épaule sur Josh Ruben, affichant un sourire possédé, assis par terre dans le film Scare me.

  © DR / Courtesy of Sundance Institute | photo by Brendan Banks

Josh Ruben est un habitué de la comédie : il a écrit des sketchs pour le Late Late Show with James Corden et pour Funny or Die, et son prochain film est également une comédie horrifique intitulée Werewolves Within – adaptée d’un jeu vidéo où des loups-garous attaquent une communauté – qui sera présentée au festival de Tribeca début juin avant de sortir au cinéma aux États-Unis le 25 juin. Il n’est donc pas étonnant que le réalisateur se soit entouré d’autres comédiens au potentiel humoristique confirmé tels qu’Aya Cash récemment vue dans la série de superhéros/antihéros The Boys (2020-2021) et Chris Redd qui est, entre autres choses, auteur pour le Saturday Night Live. La force de Scare Me ce sont justement ses répliques cinglantes, ses duels verbaux perpétuels qui ne laissent aucun répit aux protagonistes (comme aux spectateurs d’ailleurs). L’habileté de dialoguiste de Ruben est immanquable – malgré le fait que ce dernier joue le rôle d’un soi-disant écrivain peu doué – car faire un film de 1h40 qui se déroule presqu’uniquement dans un chalet et qui ne repose que sur les échanges de dialogues et vraiment très peu d’action, c’est un pari risqué. 

En contre-plongée, dans un large chalet, l'acteur Josh Ruben à gauche, une bière dans la main, à côté de lui la comédienne Aya Cash les bras ballants, tous deux regardent devant eux, entre la sidération et la peur ; derrière eu, un grand afro-américain lève les bras, tout sourire ; plan issu du film Scare me.

           © DR / Courtesy of Sundance Institute | photo by Brendan Banks

Ce pari est partiellement tenu grâce à un jeu d’acteurs excellent. Tous ont une aisance sidérante pour se mettre en scène et pour exprimer leurs idées théâtralement, comme dans un spectacle d’improvisation. Son amplifié, lumières changeantes selon l’ambiance, angles et plans propres au genre horrifique (par exemple la contre-plongée en gros plan qui déforme le visage), Ruben manie astucieusement les codes du genre pour tenter d’immerger le spectateur dans l’histoire racontée et, pourquoi pas, de l’effrayer. Cependant le manque d’avancée scénaristique et surtout la répétition des échanges donnent au métrage un aspect forcément très bavard qui ne plaira pas à tout le monde. Peut-on réellement catégoriser Scare Me comme comédie horrifique juste parce que son but est d’essayer de faire peur ? L’échange d’histoires n’est là que pour souligner la difficulté du processus de narration, les blocages de créativité et la jalousie qui en découle – certes cauchemardesque pour les écrivains qui l’ont vécu, mais pas un postulat horrifique à proprement parler. Scare me se propose plutôt en bonne comédie horrifique est en partie satirique, à l’instar de Tragedy Girls (Tyler MacIntyre, 2017) ou Spree (Eugene Kotlyarenko, 2021) dans lesquels des ados se mettent à tuer pour booster leurs réseaux sociaux. C’est d’ailleurs la timidité satirique qui fait cruellement défaut dans le premier film de Ruben, à croire qu’il l’aurait confondue avec le sarcasme de ses personnages ; ce n’est pas parce que Fred et Fanny s’envoient des piques qu’ils sont dans la satire. Bien au contraire, la jalousie entre auteurs est bien ancrée dans la réalité, et ce n’est pas le dénouement qu’on voit arriver “gros comme une maison” qui nous fera dire le contraire. Le sous-genre de la comédie horrifique est un des plus délicats, car rares sont les réalisateurs qui parviennent à combiner humour, satire et subtilités. Netflix regorge d’exemples ratés, du français Le Manoir (Tony Datis, 2016) au polonais Tous mes amis sont morts (Jan Belcl, 2021). Si Teddy (Ludovic et Zoran Boukherma, 2021) avait conquis le jury de Gérardmer cette année, reste à voir s’il en sera de même pour le public lors de sa prochaine sortie en salles… Tous les goûts sont dans la nature, mais qu’on accroche ou pas au sous-genre spécifique de la comédie d’horreur, Scare Me reste une proposition intéressante et un exercice formel impressionnant.


A propos de Emma Ben Hadj

Étudiante de doctorat et enseignante à l’université de Pittsburgh, Emma commence actuellement l’écriture de sa thèse sur l’industrie des films d’horreur en France. Étrangement fascinée par les femmes cannibales au cinéma, elle n’a pourtant aucune intention de reproduire ces méfaits dans la vraie vie. Enfin, il ne faut jamais dire jamais.

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