Après deux passages remarqués par les méga-franchises Godzilla (2014) et Rogue One : A Star Wars Story (2016), le réalisateur britannique Gareth Edwards fait son grand retour avec The Creator (2023), une fable de S-F ambitieuse, qui tente de replacer l’humain au centre du récit sans pour autant renoncer au grand spectacle. Pari réussi ?
L’autre blockbuster
Depuis ses débuts avec Monsters (2010), sorte de Road trip romantique sur fond d’invasion extra-terrestre, Gareth Edwards cultive un cinéma de divertissement où le spectaculaire se met au service de l’intime. Un postulat qui va lui ouvrir les portes d’Hollywood, même si le cap fixé d’un cinéma à hauteur d’homme sera plus difficile à maintenir sur Godzilla (2014) puis Rogue One (2016), deux franchises écrasantes et codifiées qui réclament leurs scènes de destructions et de batailles épiques. Edwards parviendra tout de même à lutter contre la pression des studios et livrera deux films intéressants quoique imparfaits, avant de disparaître des radars pendant sept ans. Aujourd’hui, le petit prodige du blockbuster est enfin de retour avec The Creator, un récit de science-fiction centré sur la relation filiale entre un ex-soldat endeuillé et un enfant aux pouvoirs mystérieux, le tout sur fond de guerre futuriste. Suite à une attaque nucléaire aux origines troubles, l’Orient et l’Occident s’affrontent pour la sauvegarde ou la destruction des I.A. devenus des êtres pensants et sentients. C’est l’occasion pour le cinéaste britannique de reprendre à son compte les grands thèmes philosophiques de la science-fiction et de replacer à nouveau l’humain au centre de son cinéma.
Avec son budget de 80 millions de dollars, The Creator est un entre-deux intéressant pour Edwards qui retrouve une certaine liberté créative tout en approfondissant ses talents de world-builder. On apprécie d’emblée l’ancrage réaliste et politique du film, qui rejoue dans un même mouvement la guerre du Vietnam et le 11 septembre. L’ Occident vengeur s’oppose à l’Orient protecteur qui voit dans les I.A., non seulement des humains, mais des entités divines. Belle idée à l’origine des images les plus saisissantes du film. Le glissement géographique du film en Asie du Sud-Est amène également un vent de fraîcheur salutaire dans l’imagerie du blockbuster américain. Les décors organiques de la Thaïlande, avec ses îlots montagneux et ses forêts tropicales, se mêlent au design brut et fonctionnel des armes et des engins occidentaux qui prolonge avec classe l’esthétique hard science de James Cameron (Aliens, 1986, Avatar, 2009) ou Neill Blomkamp (District 9, 2009). l’univers du film s’ancre dans une réalité palpable, bien aidé par une photographie granuleuse et des prises de vue caméra épaule façon reportage de guerre que le réalisateur avait déjà éprouvé sur Rogue One, renouvelant au passage l’esthétique de la saga initiée par Georges Lucas.
Edwards poursuit également avec The Creator sa réflexion sur le gigantisme amorcé dès Monters. Chez lui, le spectacle de la démesure est souvent perçu à travers le point de vue humain. En résulte ces plans iconiques ancrés au sol, en contre-plongée, et mimant notre regard terrassé par la taille des machines ou des monstres qui nous surplombent. Le cinéaste semble attaché à l’esthétique du reportage de guerre et ses images instables, filmées à l’intérieur même de l’action. Une grammaire qui montre cependant ses limites sur The Creator dont les objets titanesques (Le Nomad, les chars, les missiles) ont parfois besoin de davantage de temps et de stabilité pour poser l’action et saisir le spectateur. Le film se paye d’ailleurs un cinémascope démentiel de 2.74:1 anamorphique qui rendrait jaloux John Carpenter, mais sans en exploiter véritablement le potentiel. Pire, le cadre manque de composition claire ce qui provoque un égarement du regard du spectateur accentué par une mise en scène caméra épaule et un montage rythmé peu adapté au format. On oublie souvent que le cinémascope réclame une composition rigoureuse et un découpage dans le cadre afin de laisser le temps au spectateur d’arpenter l’image et de saisir les enjeux spatiaux. Un format vertical aurait d’ailleurs été plus adapté pour un film centré sur une menace venant du ciel, ici un superbe vaisseau de guerre du nom de Nomad. Globalement, The Creator reste parcimonieux en matière de grand spectacle et il faut attendre la séquence des chars au dernier tiers pour voir le film passer d’un drame resserré sur fond d’univers SF à un vrai spectacle épique. Là encore, la réalisation manque de mordant et de précision malgré quelques belles idées.
Rien de catastrophique si on part du principe que le film s’appuie davantage sur son récit intimiste. Un peu comme le Jake Sully d’Avatar (2009), Taylor est un soldat infiltré qui va se prendre d’affection pour ce qu’il est censé détruire et découvrira au passage quelques vérités sur la véritable nature des I.A. Hélas, si Gareth Edwards possède le talent rare à Hollywood de poser des univers en seulement quelques plans, on ne peut malheureusement pas en dire autant de son écriture. The Creator est plombé par des archétypes et des situations convenues que le cinéaste ne parvient jamais à transcender par sa direction d’acteurs et sa mise en scène. Déjà dans Rogue One, on restait étrangement à distance du personnage interprété par Rebecca Ferguson, et ce, malgré un beau final tragique. Quant aux personnages de Godzilla… Qui s’en souvient ?! Cette faiblesse à l’écriture devient flagrante sur The Creator qui mise à fond sur l’affect pour nous embarquer dans le récit, mais use des pires poncifs dramatiques pour y parvenir. Avec cette histoire d’amour filial et de sacrifice initialement titré True Love, on devrait sortir de la salle les yeux ruisselants de larmes. C’est loin d’être le cas. George D. Washington ne convainc jamais vraiment en héros cabossé et la sur-explication de l’intrigue par les dialogues, les séquences larmoyantes filmées en plans serrés n’aident pas le spectateur à y croire. Paradoxalement, si le film s’accroche à son récit intimiste, Edwards ne prend jamais le temps d’imposer des scènes capables de sceller la relation entre les personnages et avec le public. Même chose pour la relation amoureuse de Taylor, censée être son principal moteur, mais qu’on ne parviendra jamais à sentir, faute de temps passé à lui donner corps. C’est que, malgré ses 2h13, The Creator est un road movie pressé, qui enchaîne les séquences de même durée, entrecoupées de courts moments d’action censés nous réveiller, comme si le réalisateur avait peur de nous ennuyer. Cette monotonie, appuyée par un système de chapitrage guère éclairant, donne le sentiment de transitionner du début à la fin du film sans être passé par un milieu suffisamment consistant. On arrive donc au climax sans la charge émotionnelle suffisante pour en apprécier la force. Dommage.
Pour autant, difficile de taper sur une proposition de blockbuster qui ne soit ni un film de super-héros, ni une franchise, ni un remake, mais bien une idée de cinéaste, et ce, même si les références sont parfois flagrantes. Le budget de 80 millions est si bien exploité qu’on se demande pourquoi les blockbusters actuels en coûtent le triple ! Edwards propose un début de réponse assez fascinant dans une interview pour Collider, qu’on pourrait résumer par l’incapacité de Hollywood à prendre des risques. Malgré tous ses défauts donc, on veut plus de propositions de la trempe de The Creator. Seulement, on attend du blockbuster hollywoodien un peu plus qu’un relooking esthétique : un nouveau souffle dramatique ! Edwards a bien compris la leçon des maîtres du genre que sont Spielberg et Cameron. Le problème, c’est qu’il a encore un peu de mal à l’appliquer.
Bonjour,j’ai vu le film rien de bien fantastique,