En Eaux très Troubles


Amateurs d’attaques de requins géants sans hémoglobine : Jason Statham est de retour pour marave du squale à mains nues ! Bigger and louder, comme le veut l’adage quand on parle de suite, ce nouveau film sino-américain pourrait être le plus gros doigt d’honneur fait à la communauté scientifique internationale. Warner Bros sort sa plus belle calculette, les paléontologues sont en PLS et Hollywood continue de tourner en rond… Critique d’En eaux très troubles (Ben Wheatley, 2023).

Une silhouette en gilet de sauvetage jaune, vue en plongée, s'apprête à être dévoré par l'immense gueule de mégalodon qui va surgir de l'eau dans le film En eaux très troubles.

© Warner Bros

Les dents du parc jurassique

Sur une jetée en bois, Jason Statham repousse du pied un mégalodon gueule ouverte dans le film En eaux très troubles.

© Warner Bros

En eaux troubles (Jon Turteltaub, 2018) fut un petit succès à sa sortie amassant quelques 530 millions de dollars. Le sang appelant le sang et le dollar appelant le dollar, une suite fut mise en branle rapidement, toujours dans la même logique de partenariat entre Hollywood et le marché chinois. Faire un résumé du premier volet relève carrément du challenge tant il était assez peu mémorable ! Tout juste peut on se rappeler qu’un gros mégalodon – ancêtre préhistorique du requin donc – déboulait d’on ne sait où pour manger tout le monde avant que Jason Statham ne vienne lui régler son compte. Alors dans une logique toute hollywoodienne consistant à « toujours plus gros, toujours plus grand », les auteurs ou plutôt les producteurs ont décidé qu’il y aurait cette fois trois mégalodons à affronter, ainsi que quelques autres créatures issues des bas-fonds de notre grande bleue. Vous sentez comme un air de déjà-vu ? C’est normal puisque qu’avec cet En eaux très troubles – vivement le troisième volet, au moins pour s’amuser avec le prochain titre français ! – s’affirme comme le plus bel hommage friqué au cultissime Mega Shark vs. Giant Octopus (Jack Perez, 2009). Soit un scénario bête à crever qui confronte deux géants des mers sous le regard effrayé des humains leur servant de gâteaux apéros. Évidemment, le film n’est pas emballé avec la patte si caractéristique des productions Asylum – les effets spéciaux ressemblent à peu près à quelque chose et les acteurs ont dû suivre deux, trois cours de théâtre – mais on reconnait le même gout pour le grand nawak. Il faut voir Jason Statham jouer un militant écologiste donnant de la clé de bras dès l’introduction pour se convaincre que le scénario ne sera qu’un prétexte pour laisser libre court à tous les délires zoologiques à venir. En bref : Jason travaille toujours à surveiller que les océans restent propres en usant de ses poings, et s’occupe de Meiyoing, une ado de 14 ans, fille de Suyin qu’il aimait. Celle-ci, morte dans le premier volet, a légué sa fondation à son frère Jiuming qui élève un bébé mégalodon… Lors d’une descente dans les profondeurs de l’océan, Jason/Jonas et ses amis sont témoins d’une tentative d’extraction minière puis d’une explosion, ce qui les laisse prisonniers à 8000 mètres sous le niveau de l’eau. Vont-ils réussir à s’en sortir ? Spoiler : oui.

© Warner Bros

Et c’est à la suite de cette partie sous-marine que le long-métrage va plonger dans les tréfonds du nanar. Car si En eaux très troubles s’était contenté de développer cette intrigue où nos héros doivent s’en tirer dans les profondeurs, il aurait pu être un thriller d’action efficace jouant contre la montre et les éléments. Ce second acte où Jason et les siens explorent les abysses est même parfois réussi malgré le peu de vraisemblance, des CGI pas franchement dingues et des enjeux somme toute pas bien foufous. Mais le troisième acte vient tout saloper avec une intrigue à la Jurassic World (Colin Trevorrow, 2015) où nous sommes conviés à Fun Island – si, si – pour assister à un buffet où les humains servent d’amuse-bouche aux trois mégalodons, à des crocos préhistoriques et une pieuvre géante. N’attendez pas un déluge de sang à la Piranha 3D (Alexandre Aja, 2010) puisque les décideurs ont choisi de ne rien montrer, histoire que le film ne soit pas drôle jusqu’au bout. Alors on attend bêtement le moment où Jason va mettre la misère à tout ce beau monde pour que les choses rentrent dans l’ordre, du moins jusqu’à un troisième épisode que l’on peut d’ores et déjà craindre. Et pourtant, l’idée de confier le bouzin à Ben Wheatley, issu de la comédie noire britannique, pouvait paraitre intéressante. L’objet ayant une certaine conscience de sa connerie, le tout aurait pu être relevé par l’humour et le savoir-faire du cinéaste. Là où Jon Turteltaub, réalisateur du premier volet, n’a jamais brillé par un style ou des motifs récurrents et cohérents dans sa longue filmographie, Wheatley promettait sur le papier d’apporter une plus-value certaine au projet. Mais la machine hollywoodienne aura encore broyé un cinéaste talentueux. À la manière des auteurs engagés par Disney sur les Marvel ou les Star Wars comme autant de cautions créatrices, Wheatley aura renoncé à son identité pour se fondre dans le cahier des charges de la Warner. 

Un mégalodon croque un tyrannosaure dans le film En Eaux très troubles.

© Warner Bros

Reste que En eaux très troubles peut s’envisager comme un gros plaisir coupable à condition qu’il soit visionné avec quelques grammes d’alcool dans le sang, des potes et une pizza Sodebo tout juste décongelée. Il rejoint les hits du genre parmi lesquels figurent Peur bleue (Renny Harlin, 1999) ou Les Dents de la mer 3 (Joe Alves, 1983). Deux films semblant avoir inspiré un En eaux très troubles qui reprend le motif du requin enfermé dans un laboratoire marin plutôt mal sécurisé et où tout part à vau-l’eau. Oui les références ne sont pas folles et tout ça ne vole pas bien haut, mais comme ces deux productions-là – Les Dents de la mer 3 avec un usage totalement archaïque de la 3D et Peur bleue avec ses CGI moches à souhait – En eaux très troubles est un marqueur totalement emblématique de son époque. Une ère hollywoodienne où seul le spectacle compte mais où l’on ne sait plus faire du spectaculaire sans se foutre allègrement d’un public s’habituant à des standards de plus en plus faibles. Qui peut croire une minute à ce monde sous-marin et à toute la pseudo science qui nous sont proposés ? Qui peut croire dans cette bouillie numérique à une quelconque tangibilité ? Qui pourrait bien en redemander ? 2023 montre potentiellement les limites à ne plus franchir au vu des échecs successifs des grosses licences essorées. À l’heure des Fast and Furious X (Louis Leterrier, 2023), des The Flash (Andy Muschietti, 2023) et des Ant-Man : Quantumania (Peyton Reed, 2023), de leurs paresses techniques et de leurs renoncements scénaristiques, l’ère des spectacles généreux et réfléchis semble, à quelques exceptions près, éteinte et appartenir désormais à la préhistoire…


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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