Plus de vingt ans après le premier opus Jurassic Park (1994) devenu mythique, on espérait tous une nouvelle excursion sur Isla Nubar et son parc peuplé de créatures préhistoriques : histoire de relever le niveau des deux suites mercantiles et profondément insignifiantes qu’étaient Le Monde Perdu (Steven Spielberg, 1996) et Jurassic Park III (Joe Johnson, 2001). C’est chose faite avec Jurassic World, film qui, comme son grand-frère en son temps, est injustement boudé par une certaine intelligentsia de la pensée critique, et ce malgré sa très grande richesse. Cette tentative de plaidoyer pour un mal-aimé est destinée seulement à ceux qui ont déjà pris leur ticket pour le nouveau parc, sans quoi vous pourriez m’en vouloir de vous avoir gâché le plaisir.
When Dinosaurs ruled Hollywood
En 1955, Walt Disney ouvrait son fameux parc à thèmes, Disneyland Park, qui avant de connaître son immense succès a bien failli être un fiasco total. Les premiers temps, Disney du en effet composer avec des attractions défaillantes et de multiples incidents qui ternirent sa réputation et impactèrent considérablement la fréquentation du parc fraichement sorti de terre. Ne se décourageant pas pour autant, quelques années plus tard, en 1971 , le père de la plus célèbre souris du monde fit le pari fou de réitérer l’expérience à l’autre bout des Etats-Unis. Son idée, faire un parc encore plus grand : Disneyworld. En 1994, dans un film de Steven Spielberg, le milliardaire John Hammond est forcé d’abandonner son projet pharaonique d’un parc à thème, Jurassic Park – où l’on exposerait des dinosaures vivants, créé grâce à des manipulations génétiques – à cause d’une cascade d’événements terribles. Quelques années plus tard, Hammond n’est plus, mais son idée à fait des petits : le parc dont il a toujours rêvé – comme nous lorsque nous étions petits– est enfin ouvert et il accueille plusieurs dizaines de milliers de personnes par jour. Son nom : Jurassic World.
Le temps aidant, on accepte d’avantage aujourd’hui de considérer Jurassic Park comme un film véritablement porté par une réflexion philosophique et éthique, et ce bien qu’on ne puisse pas désavouer l’idée que ce sous-texte se cache, comme un vieux fossile de dinosaure, derrière l’épaisse couche de poussières de ses apparats de blockbuster atomique ou de machine infernale. Les deux suites apportées à la saga avec Le Monde Perdu (Steven Spielberg, 1996) et Jurassic Park III (Joe Johnston, 2001) avaient, il faut bien le dire, considérablement abandonné ce sous-texte. Le propos s’étant évaporé probablement avec les dollars servant à financer cette entreprise résolument mercantile. Alors, bien sûr, quand l’annonce d’un retour sur Isla Nubar fut annoncé, nous avions bien des raisons de s’en inquiéter. Comment Jurassic World allait-il pouvoir renouer avec l’atmosphère, la maestria technique et le caractère profondément critique du premier film, alors que, plus de vingt ans après, Hollywood s’est complètement transformé et survit tant bien que mal dans une économie particulièrement branlante où énormément d’argent est placé dans de grosses productions qui ne sont pas à l’abri d’un échec cuisant au box-office. Il y’a deux ans, Steven Spielberg lui même, faisait une déclaration façon prophète à casquette, annonçant que le système économique Hollywoodien actuel allait s’effondrer peu à peu, au fil des échecs commerciaux de films très (trop) chers. Depuis, le mastodonte de l’époque, un certain Disney, a perdu des plumes sur des projets tels que John Carter of Mars ( Andrew Stanton, 2012), Lone Ranger (Gore Verbinski, 2013) et plus récemment encore A la poursuite de demain (Brad Bird, 2015). L’industrie craint de plus en plus ces déconvenues spectaculaires au box-office, aussi, le succès planétaire de ce quatrième opus de la saga avec des Dinosaures n’était pas forcément une évidence.
Et pourtant, dès les premiers jours de sa sortie en salle partout dans le monde, Jurassic World a largement séduit les foules et s’apprête à battre tous les records. Qu’on se le dise, ce type de réussite commerciale ne peut pas être le seul fruit d’une campagne marketing sans fausse note. On s’accordera néanmoins sur l’idée que ce type de grosse machine – qui plus est lorsqu’il s’agit de sorties très attendus et de surcroit de suites de films au fort succès – est assuré d’un score minimum honorable, mais pour atteindre un succès plus grand encore, un bon bouche-à-oreille est la seule arme réellement efficace. Aussi, si Jurassic World a su séduire son public, c’est parce qu’il réussit le tour de force d’actualiser une franchise culte, tout en revenant à ses fondamentaux. L’un des éléments qui étonne le plus à la vision de ce nouvel épisode de la saga, c’est qu’il renoue avec beaucoup des thèmes du premier opus, là où les précédentes suites, particulièrement absconses, n’avaient que des scénarios à prétextes pour faire fonctionner la planche à billets et surfer sur la mode des dinos. S’il on pouvait croire que ce quatrième volet continuerait dans ce sombre lignage, il en est rien. Le film a beau être réalisé par un jeune réalisateur, Colin Trevorrow – que l’on soupçonnerai volontiers d’être un petit faiseur inoffensif – il est en fait, en plus d’être un vibrant hommage au premier film, un cri du cœur cinéphile, un réel retour au source. D’une grande intelligence, le scénario du film est un millefeuille. Prolongeant et actualisant la critique du capitalisme et du profit, déjà éminemment présent dans Jurassic Park. Ici, le parc rêvé par le milliardaire du premier film a ouvert, fonctionne très bien, ses dirigeants ayant pu sans scrupules cacher au monde les drames qui ont jalonnés sa genèse et retardés son inauguration. D’emblée, le film invite le spectateur à regarder d’un œil critique ce petit monde d’entrepreneurs à la morale douteuse, qui, guidés par le profit, sont capables de tout, comme jouer aux alchimistes et divins créateurs en manipulant la génétique et la science.
C’est là le message premier du film : les dangers de la surenchère pour le profit. En cela, certains diront que la faiblesse du film est de n’être que l’illustration de ce qu’il dénonce et que ce Jurassic World ne fonctionnerait, lui aussi, que sur le principe de surenchère. En réalité, loin de se contenter d’appliquer la recette, il décide d’en montrer l’inefficacité. Trevorrow fait donc une véritable déclaration d’amour aux blockbusters originaux, ceux là même dont Spielberg a inventé la recette, plus de trente ans auparavant. Véritable méta-film, ce parc fraîchement ouvert est une métaphore habile d’un Hollywood qui s’épuise dans l’excès, risque l’auto-destruction, court à sa perte. La directrice du parc, incarnée par la très convaincante et très rousse Bryce Dallas Howard résume à peu près l’idée en ces mots : « Ce que veulent les spectateurs ? Des nouveautés. Plus d’effets waouh, plus de frissons. ». Une maxime que l’on peut assez évidemment comprendre comme un écho à la situation dans laquelle se trouve l’industrie cinématographique actuelle, avec ses producteurs qui pensent détenir la vérité absolue sur ce que souhaite voir le spectateur au point de risquer de flirter avec la ligne rouge et brûlante de la surenchère et de l’ennui. Plus qu’une simple critique de l’industrie cinématographique, le film égratigne au passage les parcs d’attractions, les zoos – n’oublions pas que comme le dinosaure génétiquement modifié de ce nouvel opus, deux des espèces phares que s’arrachent les parcs zoologiques, les tigres et lions blancs, ne sont en réalité que des erreurs de la nature dont la défaillance génétique à été entretenue comme une espèce à part entière par l’homme, pour le profit – mais aussi les parcs aquatiques et leurs spectacles d’animaux sauvages particulièrement dangereux – voir le très bon et glaçant documentaire Blackfish (Gabriela Cowperthwaite, 2013) sur le sujet des orques tueurs dans ce type de parcs – dressés pour divertir les foules de spectateurs, et ce malgré des conditions de détentions déplorables et un risque majeur et insensé d’accidents. Cette course endiablée pour dénicher LA nouveauté qui ferait plier la concurrence est vivement critiquée dans Jurassic World. On y parle d’éthique. On replace la nature et la condition animale – le dresseur de raptors incarné par Chris Pratt, ne cesse de rappeler que les dinosaures détenus par le parc sont des êtres vivants et qu’ils méritent qu’on les respectent comme tels – au centre de débats éthiques. Le film ne cesse de confronter le business à la morale, la surenchère à la raison. Il n’hésite pas par ailleurs à dénoncer que la plupart de ses événements et attractions ne sont en fait que des vastes manipulations marketing, trustés par des lobbying et des marques. L’un des employés – allégorie évidente du « c’était mieux avant » avec ses tee-shirt du Jurassic Park original acheté aux enchères sur ebay – se permet d’ailleurs de préciser que le parc devrait plutôt renommer ses dinosaures Pepsiausaure ou du nom des autres marques qui les financent…
Les mêmes qui reprochent au film d’avoir un scénario qui ne serait qu’un copié-collé des thèmes, figures et enjeux de l’original, héleraient volontiers que les blockbusters étaient mieux avant. On ne peut que s’amuser de leur réquisitoire contradictoire et de leur aigreur maladive. Car Jurassic World est, qu’on se le dise, l’un des blockbusters les plus rétro et nostalgique de ces dernières années. La malice de Colin Trevorrow est réellement de ne pas avoir la prétention de se confronter au mythe, mais simplement de montrer que quoi qu’on puisse en faire, qu’importe les façons dont on essaie de le détrôner, défigurer ou malmener, il perdure et demeure immortel. Ce cinéma d’avant, ce vieux génie Spielbergien, est représenté allégoriquement par le Tyrannosaure Rex du premier volet qui est convoqué à la fin du film pour régler son compte à son ersatz d’adversaire, génétiquement modifié pour le remplacer dans le cœur des fans. Rien ne peut y faire. Avec une grande humilité, Colin Trevorrow dépose les armes et s’agenouille face à Spielberg. Le dernier plan du film, somptueux, montre le T-Rex, à nouveau libre dans cette grande île, escalader un vallon pour surplomber Isla Nubar et le parc dévasté. Déployant sa puissance dans un rugissement serein, comme un vieux lion dans sa savane : il semble être ce cinéma d’avant qui hurle qu’il n’est pas tout à fait disparu et que le Roi respire encore.
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