Imaginez un instant que John Wick et John Rambo aient enfanté d’un Finlandais énervé par les Nazis et vous aurez certainement une idée s’approchant de ce qu’est Sisu : De l’or et du sang (Jalmari Helander, 2023) : un film à l’action et la violence décomplexées où le personnage principal nous offre un récital, sorte de longue vidéo tuto sur comment décharner un corps humain en cinq chapitres.
De l’or pour les chiens
Le cinéma nordique nous a, depuis une bonne dizaine d’années, livré une salve de polars et de propositions alléchantes plus ou moins réussies, la Suède et le Danemark, surtout. Mais la Finlande n’est pas en reste avec des réussites comme Compartiment N°6 (Juho Kuosmanen, 2021), Ego (Hanna Bergholm, 2021) ou The Innocents (Eskil Vogt, 2021) rien que pour l’année 2021 ! Mais le cinéma d’Ari Kaurismäki ou des films WTF comme Iron Sky (Timo Vuorensola, 2012) ont prouvé depuis longtemps la variété de la production cinématographique de cette nation. Jalmari Helander s’inscrit d’ores et déjà dans cette dynamique et souhaite, depuis ses débuts, internationaliser son cinéma, tous ses films ayant été co-produits par d’autres nations comme la France ou les États-Unis, parfois portés par des stars américaines comme Samuel L. Jackson. Père Noël Origines (2010) et Big Game (2014) ont montré son appétence pour les sujets aussi grotesques que prompts à tous les délires d’actionners mâtinés de violence débridée. Avec Sisu : De l’or et du sang, il continue dans cette lignée, ajoutant cette fois une autre dimension à son cinéma, un aspect historique et un héros iconique. Car toute la puissance de Sisu : De l’or et du sang émane de son personnage central, Aatami Korpi, sorte de rejeton tout droit sorti des enfers de Terminator et Michael Myers. Mutique et indestructible, tout passe dans le regard et la carrure abimée de Jorma Tommila, acteur récurent dans la filmographie de Helander. Sisu : de l’or et du sang pose tranquillement les bases de cet homme cherchant de l’or dans les paysages désolés de la Finlande occupé par l’armée allemande. Ainsi on comprend, uniquement par le cadre et le montage, qu’il est veuf et qu’il n’a plus rien à perdre sinon l’or qu’il s’apprête à découvrir. Des sacs entiers que vont convoiter des soldats Nazis qui, sachant la guerre perdue par Hitler, y voient une porte de sortie pour éviter la pendaison.
Le long-métrage n’est finalement qu’une course poursuite, d’abord avec les Allemands poursuivant notre héros puis avec notre héros poursuivant les Allemands. Un aller-retour plutôt bien illustré par une mise en scène ample et lisible qui ne s’interdit aucun mouvement de caméra. Une simplicité de scénario inspirée par les meilleurs vigilantes de la grande époque, on pense notamment aux films les plus bas du front portés par Charles Bronson, ou aux quelques nanars qui tâchent « interprétés » par Chuck Norris, lLa dimension politique et réac en moins. Car mise à part le fait qu’on assiste à une boucherie 100% certifiée viande allemande, difficile de lire un quelconque discours en sous-texte, à part évidemment une petite note féministe avec les personnages féminins vengeresses. Et c’est finalement ce manque quasi total de propos qui donne au film toute sa pureté destructrice. Là où le corps de John Rambo subissait tous les outrages possibles pour montrer à quel point l’Amérique pouvait en ressortir grandie, les multiples cicatrices de Korpi sont tout à fait gratuites. Elles ne traduisent qu’une simple volonté de rendre ce personnage invulnérable et surpuissant. C’est ce parti pris qui le rapproche d’ailleurs d’une figure horrifique telle que Michael Myers. Quoiqu’il se prenne dans la tête, il se relève, et ses ennemis finissent par l’apprendre à leurs dépens. Sisu : De l’or et du sang, c’est Halloween : La Nuit des masques (John Carpenter, 1978) où l’on épouse le point de vue du tueur et où les baby-sitters ont été remplacées par des Nazis cruels. On y voit les coulisses, comment le boogeyman se relève d’une pendaison, d’une balle, d’une entaille au ventre, etc. Et ce n’est pas peu dire que c’est assez jouissif !
La réalisation de Helander ose tout : des mouvements de caméra insensés, des ruptures de ton, du sang partout, tout le temps… De par ses partis pris narratifs, il s’approche de ce que la bande-annonce pouvait laisser penser, à savoir une variation d’Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2007). Il y a plusieurs passerelles entre les deux productions. Comme Tarantino, le réalisateur finlandais profite du contexte de la Seconde Guerre Mondiale pour y transposer les codes du western et rendre la chasse au Nazi aussi amusante qu’une partie de chamboule-tout de fête foraine. Tarantino avait réalisé un film faussement bis, comme il le fait souvent, pour finalement parler de cinéma. Sisu : De l’or et du sang est quant à lui, incontestablement bis ! Tout transpire la déviance et, encore une fois, c’est ce qui rend l’objet éminemment sincère et frais, ce qui le rapproche davantage d’un Mad Max : Fury Road (George Miller, 2015) dont il partage la forme narrative de l’aller-retour. Helander, comme Miller avant lui en Namibie, profite des fabuleux décors finlandais pour rendre un film dépouillé de toute fioriture et, dans une épure quasi-totale, livre un long-métrage en forme d’abstraction, où les quelques lignes de dialogues, en anglais, appuient la force de l’interprétation et de la mise en scène. Par ses seuls effets, le long-métrage se construit sous nos yeux. On pourrait regretter un dernier acte qui dénote un peu puisqu’il nous fait quitter des décors incroyables pour… Les airs. Tout à coup, l’aspect organique du film est délaissé pour une séquence pervertie par des CGI. Un final over the top qui, s’il prend sens, constitue peut-être la seule faute de goût de cet extraordinaire étalage de tripes à la mode d’Helsinki. L’épilogue vient néanmoins remettre les choses dans l’ordre et offrir sa seule réplique au charcutier finnois : une phrase bien sentie qui illustre à elle-seule tout le plaisir régressif et bon enfant de Sisu : De l’or et du sang.
T’écris super bien Kevin, tu m’as fait rire ou sourire plus d’une fois.