L’Exécutrice


Crossover entre le film policier français des années 80 typique et un film érotique aux intentions mercantiles éclairé avec beaucoup trop de soin par un chef opérateur surgi d’ailleurs, L’Exécutrice de Michel Caputo (1986) est une série B hybride pleine de défauts mais attachante, restaurée et proposée en coffre édition limitée Blu-Ray par Le Chat Qui Fume : critique du premier rôle traditionnel de Brigitte Lahaie.

Brigitte lahaie l'air renfrogné, au volant de sa voiture dans le film L'Exécutrice.

© Tous Droits Réservés

L’Atout Charme

Brigitte Lahaie, sous la pluie, brandit son revolver, prête à tirer, dans le film L'Exécutrice.

© Tous Droits Réservés

On peut dire qu’il y a un polar à la française spécifique aux années 1980. Nous ne partirons pas sur une analyse détaillée de ce qui pourrait presque être un sous-genre, au moins une version caractérisée des énièmes élaborations du film policier. Le film policier dans l’Hexagone de cette décennie retient des années 70 le côté rêche, réaliste, pour schématiser un peu. Tandis qu’aux États-Unis les films de genre policier se gonflent de testostérone, de l’esthétisme propre à ces années de l’image, ou se gaussent lorsqu’ils lorgnent vers le buddy movie, en France on tient, sauf quelques cas isolés – le « cinéma du look », terme façonné par la critique pour définir le travail des Jean-Jacques Beineix, Luc Besson, Leos Carax – à rester dans le dur, à ne pas faire dans la séduction. Toutefois il ne le fait pas pour rien : sa dureté se veut le miroir d’une société de plus en plus torturée par la violence, institutionnelle ou pas. On va creuser la frontière entre la justice, la morale et leurs contraires. On va surtout se saisir d’enjeux sociétaux en prenant appui sur des personnages victimes d’un contexte économique morose du racisme, du climat de violence généré par la pauvreté, l’exclusion. Les banlieues – sans être un film policier, De bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau est peut-être le plus beau film de banlieue réalisé dans cette décennie, pour ne pas dire tout court – ou les quartiers délabrés de Paris (Belleville, Barbès), dont ce sera la dernière sublimation avant les grand travaux de rénovation à venir. On peut imaginer qu’un film comme Série Noire (Alain Corneau, 1978) est peut-être le film qui préfigure le plus ce qui va devenir le cinéma policier de la décennie suivante, bien qu’il soit encore très marqué par son temps. Signe de l’éclosion d’un quelque chose, les films policiers attirent l’attention et les mérites. Maurice Pialat, que l’on imaginait pas sur ce genre de sujet, livre son Police en 1985, tandis que La Balance (Bob Swaïm, 1982) et Tchao Pantin (Claude Berri, 1983) raflent des César prestigieux. Le policier français made in eighties a le vent en poupe et de la respectabilité.

Quel est le rapport entre le film policier français des 80’s, le compositeur attitré de Louis XIV Jean-Baptiste Lully, et Je suis une bonne salope, bobine X de 1977 réalisée par Gérard Vernier ? Ce rapport, c’est L’Exécutrice (Michel Caputo, 1986) dégainé en Blu-Ray par le cher Chat qui Fume. Pour ce qui est de la respectabilité, le long-métrage s’offre le cascadeur Rémy Julienne, le chef opérateur de cinéma traditionnel Gérard Simon – qui éclairera plus tard Le Roi danse (Gérard Corbiau, 2000) récit historique mettant en vedette Louis XIV, Molière, et Lully – ainsi qu’un scénario dans la droite ligne de l’effet de mode collant aux basques de Martine, inspectrice à la brigade des mœurs qui doit faire face à une affaire dégueulasse de traite de blanches et de grande collusion entre sa hiérarchie et les profiteurs du trafic. Toutefois Martine, puisque nous y sommes, est jouée par Brigitte Lahaie, la célèbre actrice de productions pornographiques, une des rares à avoir été si connue en ces temps et à avoir réussi peu ou prou sa reconversion ; et derrière la caméra et à l’écriture, on trouve Michel Caputo, briscard du X auteur du fameux Blanche-Fesse et les sept mains (1981). L’Exécutrice est alors un film-pont, une série B hybride, comme si le projet de départ, faire un vrai film policier bien ancré dans le genre tel qu’on le façonne à l’époque, était perpétuellement perturbé par la libido, l’opportunisme, et le regard ô combien masculin d’un pornographe. Caputo est loin d’être William Friedkin, livre un scénario boiteux surtout dans son dernier tiers, filme des acteurs aussi mauvais que dans un mauvais porno, et balance des femmes nues dès qu’il le peut. Mais le travail du directeur photo susnommé est assezBlu-Ray du film L'Exécutrice édité par Le Chat qui fume. exceptionnel pour une production de cette trempe – la restauration du film en haute définition Blu-Ray prend tout son sens -, mais cette plongée dans le monde du proxénétisme, aussi caricaturale soit-elle, peut attraper le spectateur par sa cruauté et son pessimisme – en particulier la tristesse des ultimes minutes – mais le dynamisme généreux de l’action, mais le charme de son interprète principale, confèrent au long-métrage une aura de sympathie, bien aidée par la nostalgie.

Proposé en édition limitée à 1000 exemplaires, L’Exécutrice par Le Chat qui Fume s’offre le luxe d’un coffret digipack émoustillant, donnant la part belle aux arguments naturels de Madame Lahaie, que ce soit sur l’affiche de couverture, ou lorsqu’on l’ouvre et le déploie, on découvre son image peu vêtue, dans son jacuzzi, issue d’une scène du film. Fidèle à son habitude l’éditeur ne prend aucun métrage par dessous la jambe et livre deux entretiens uniques en leur genre, avec Brigitte Lahaie et Michel Caputo eux-mêmes, puis avec Christophe Lemaire, qui évoque le film via ses « Souvenirs ». Une courte vidéo de cascade sur le tournage clôture les suppléments.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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