Haine


Jusqu’alors inédit en DVD et Blu-Ray, Le Chat qui Fume offre une édition incontournable au film Haine (Dominique Goult, 1980) s’ajoutant à sa collection de films de genres français que l’éditeur propose de faire redécouvrir.

Klaus Kinski et Maria Schneider dans le film Haine (critique)

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Visages, Villages

Réalisateur de films pornographiques dans les années 70’s, sous le pseudonyme de Richard Stephen, Dominique Goult est l’homme d’un seule production dite « traditionnelle ». Malgré qu’il soit un quasi-anonyme au moment de réaliser Haine en 1980, le cinéaste parvient à réunir un casting en or, dont le toujours incroyable Klaus Kinski. Alors au sommet de sa popularité, l’acteur polonais entame alors la seconde partie de sa grande carrière, après une décennie 70’s où il s’est imposé comme l’un des plus grands de sa génération. Dès le début des années 80, Kinski continue donc d’enchaîner les tournages de façon boulimique – il sort à ce moment de Nosferatu, le Vampire (Werner Herzog, 1979) et s’apprête à tourner avec ce même Herzog Fitzcarraldo (1982) – et prend alors le temps de tourner un premier long-métrage, de genre, et français. A ses côtés, se côtoient de nombreux visages familiers du cinéma français des années 1970 à 1980, dont les actrices Maria Schneider, Evelyne Bouix ou Katia Tchenko déjà vue dans La Saignée (Claude Mulot, 1971) film déjà ré-édité par Le Chat Qui Fume. Surement intrigué par ce rôle de motard justicier christique et taiseux – on pense parfois à d’autres figures plus récentes comme le héros de Drive (Nicolas Winding Refn, 2011) – Kinski ne vient pas ici cachetonner et offre au personnage toute l’étendue de son charisme si particulier. Sa beauté étrange sert ce personnage sans nom ni identité, aussi fascinant qu’inquiétant. Ce motard étranger débarque dans un petit village français qui vient tout juste de vivre un drame, un infanticide, dont on raconte qu’il aurait été causé par…Un motard. Très vite, l’inconnu devient le bouc émissaire de la petite communauté de villageois qui cherche par tous les moyens à venger la mort de l’enfant.

Les villageois hostiles du film Haine (critique)

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Haine rappelle à quel point les provinces françaises furent longtemps un terreau plein d’engrais pour les cinémas de genres français. Rappelant que l’abandon de ces territoires, d’un point de vue social et politique d’une part, mais aussi par le cinéma français lui-même (c’est en soit la même centralisation qui est à l’œuvre, celle d’une politique citadine où tout et tous convergent vers les grandes villes, où tout tend à tourner au vase-clos, formant une bulle) peut en cela être considéré comme l’une des raisons (parmi d’autres) de l’incapacité du cinéma français à diversifier ses approches, ses décors, ses gens. « Filmer la province » aujourd’hui revient souvent à s’encanailler hors de Paris, pour filmer des pauvres et leur rendre faussement grâce, avant de s’en gargariser sur la croisette, entre deux soirées arrosées au Martini. Le long-métrage de Dominique Goult, comme ceux de Claude Mulot ou certains de Jean-Pierre Mocky (voir notre article sur La Cité de l’Indicible Peur) nous rappelle au souvenir d’un cinéma français qui n’avait pas encore considéré la notion de « populaire » comme un gros mot et osait raconter des histoires différentes, exportant les codes du polar (par essence urbain) ou du fantastique, au-delà des périphéries des grandes villes. Ici avec Haine, sans tomber dans les clichés du provincial dé-civilisé type redneck, Dominique Goult s’affronte à des questions politiques toujours, voire plus encore, d’actualité – la peur de l’étranger, l’isolement communautaire et ses dérives soit autant de thématiques déjà présentes dans La Saignée – qui font exister la province française autrement que par le prisme condescendant, devenu habituel, du cinéaste parisien venu constater et se flatter de filmer la misère du monde et s’auto-persuader de la dénoncer.

Klaus Kinski prêt à tirer dans le film Haine (critique)

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Ici, la campagne devient un décor, une ambiance, dans lesquels les codes du polar s’infiltrent naturellement. En cela, l’approche de Goult est à bien des égards « naturaliste » dessinant le paysage rural avec une recherche évidente d’authenticité : la petite mairie et son Monsieur le Maire, le village clos sur lui-même où tout le monde se connaît, le jeune curé de la paroisse du village, les longues routes sinueuses, les corps de fermes, les champs et les tracteurs…Ce n’est ni une vision fantasmée ou décalée, ni une reconstitution fallacieuse et clichée de la province. Voir ainsi le peuple français s’incarner dans les visages de « vrais gens », de comédiens hors normes – au sens qu’ils sont en dehors des codes physiques normés véhiculés par le cinéma français contemporain – rappelle ainsi un temps ou la province et les provinciaux existaient vraiment dans notre cinématographie, n’étaient pas de vulgaires caricatures. Prenons pour exemple le récent film de Desplechin ou le plus ancien de Bercot, où l’on « déguise » Sarah Forestier ou Léa Seydoux en ce que le cinéma auto-centré parisien considère être l’image d’Épinal et tronquée des « pauvres gens » tout en insultant Bruno Dumont de « salaud » quand il ose faire jouer des « gens du crus ».

Haine n’est toutefois pas forcément tendre avec le peuple des petits villages. Il dénonce la dangerosité d’une société renfermée sur elle-même, pour laquelle la notion de communauté soudée l’emporte sur la raison. L’arrivée simultanée à un drame – le pire qui soit, le meurtre d’un enfant – d’un étranger rôdant sans but, le définit comme une cible toute désignée. Mais là où le récit est malin, c’est qu’il ne résout pas totalement « l’enquête », le personnage de Kinski n’étant jamais innocenté par l’intrigue, il demeure tout du long un personnage suspect, dont on ne peut pas clairement définir avec sûreté l’innocence. Sa combinaison blanche, étant son seul alibi valable puisque le meurtrier supposé, une jeune femme motarde en l’occurrence, portait une combinaison noire. Difficile de dire avec sûreté que la motarde est responsable du meurtre de l’enfant, ou simplement témoin d’un accident de la route causé avant son passage. Elle fuit en tout cas les lieux de la découverte de l’enfant, peut-être par peur d’être accusée à tort, impossible de l’affirmer. Si les symboles convoqués par le film vont clairement dans le sens de la figure christique du martyr – le personnage de Kinski meure dans une mise en cène doublement évocatrice (électrocuté, crucifié à un générateur électrique) avant de finir allongé au centre d’une église vide, tel un saint – le long-métrage laisse un goût aigre, une sensation d’inconfort moral qui fait à mon sens tout son intérêt.

Si l’édition est un peu moins riche que ce que Le Chat qui Fume a la coutume de proposer en bonus, elle offre tout de même un entretien riche et passionnant de trente minutes avec l’acteur Patrice Mellenec –admirable dans le rôle du leader des villageois – et une petite featurette de 4 minutes sur le tournage tirée d’un journal télévisé d’époque. Rareté bienvenue de cette édition, une proposition de piste musicale isolée qui ravira les mélomanes tant la musique de Alain Jomy vaut qu’on y tende l’oreille. Du côté de l’écrin en lui même, on reste sur les standards de l’éditeur, c’est à dire, quelque chose entre le magnifique et le parfait, garni d’une restauration sublimée par le Blu-Ray qui rend grâce et charme à l’image granuleuse du film, et un DVD de convenance pour les derniers Mohicans.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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