Caniche


Extrême Cinéma 2023, une édition qui a du chien ? S’il a été simple témoin des meurtres d’un dangereux psychopathe dans Schizophrenia (Gerald Kargl, 1983) ou mâle alpha dans Animales racionales (Eligio Herrero, 1989) le petit Dany dans Caniche (Bigas Luna, 1979) reprend la place de l’animal de compagnie à la fois spectateur et acteur du petit théâtre humain qui se déroule devant lui. Et le moins que l’on puisse dire c’est que les personnages principaux sont loin d’être des héros…

Plan sur un caniche se tient droit sur ses quatre pattes, l'air un peu perdu, sur une table, dans le film de 1979.

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Copain des chiens

Un couple de trentenaire renfrognés sont côte à côte, ne se regardent pas, filmés en contre-plongée en rapproché-épaule, dans le film Caniche de 1979.

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Quoi de mieux que les grands yeux innocents d’un joli caniche immaculé pour révéler les vices profonds d’une nature humaine monstrueuse ? Dans son troisième long-métrage, Bigas Luna entreprend de scruter avec un voyeurisme assumé les relations troubles d’un frère et une sœur vivant sous le même toit. Si tout semble normal lors des premiers plans décortiquant un quotidien assez classique, la fuite effrénée du petit Dany hors de la demeure familiale devrait mettre la puce à l’oreille du spectateur attentif. Fuis toi aussi pour sortir indemne des griffes de ce duo infernal réunis par une passion commune : l’amour pour les chiens sous toutes ses formes. Trop tard pour Dany et trop tard pour le cinéphile averti, happés dans cette demeure et prisonniers des pulsions inavouables de Bernardo et Eloisa… Partant d’un postulat simple mais morbide, Bigas Luna va tricoter autour de ce caniche des obsessions typiquement humaines qui renvoient à une brutalité animale que nous possédons tous au plus profond de nous-mêmes et qui finit par exploser, tôt ou tard. Mais souvent trop tard.

Ces bas instincts honteux n’en sont que plus saisissants, cachés derrière les portes ou dans les non-dits. Si rien n’est jamais clairement exprimé et si la violence animale reste la plupart du temps hors-champ, les indices distillés par les images, comme ce regard incestueux du frère à une sœur ôtant ses bas ou le soupir d’extase de cette dernière après avoir dissimulé Dany sous son drap mettent mal à l’aise tout spectateur pourvu d’une morale descente. Le réalisateur espagnol a bien compris que pour choquer, il ne fallait pas montrer mais laisser imaginer le pire. Grandement influencé par le surréalisme, Il va user d’une ambiance nocturne teintée d’érotisme conférant une aura hypnotique typique que l’on retrouvera dans un autre de ses films, Angoisse (1987) et qui verra les obsessions fétichistes du réalisateur à son paroxysme. Ses gros plans sur des yeux exorbités ou sur l’avancé baveuse d’un escargot constitueront pour ces deux longs-métrages des ouvertures sur un autre monde, exempté de toute raison et de toute morale. On a constamment l’impression de se situer à la lisière du rêve et la réalité, coincé comme ce pauvre Dany à l’intérieur de cette demeure sans âme, sans possibilité de s’échapper ni de communiquer sa détresse. Cette montée insidieuse de la violence nous prépare à la brutalité crue d’un dernier acte où se révèlent en pleine lumière les pires instincts de chacun, cédant à cette immoralité que personne n’avait jamais formulée de manière pleinement consciente. Les corps fatigués et marqués par cette vie de mensonge s’expriment enfin, les pulsions éclatent dans un bain de fluides entourés de cris de supplice et de plaisir.

Une femme apprêtée tient dans ses bras un petit caniche, dans le film de Bigas Lunas de 1979.

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Dans ce monde halluciné, le réalisateur va s’attarder longuement sur ces corps, sur l’aspect terrestre et tangible de ces carcasses sans âmes qui ne se suffisent plus à elles-mêmes. A l’image de cette maison qui part en lambeaux, les corps souffrent, palpitent et transpirent sous des maladies. Les gros plans sur des plaies ou des caries matérialisent une déchéance physique qui symbolise une souffrance morale. Cette simple scène d’une main dévoilant un vernis écaillé découpant de la viande animale pour nourrir le chien de la maison suffit à nous prouver la moralité abjecte et la contradiction inhérente de l’être humain. Malgré tous leurs efforts pour cacher ce côté sombre, le corps finit par les trahir. Cette place même du corps au centre de cette structure familiale particulière n’est pas rigoureusement identifiable. La caméra se met toujours au niveau du petit caniche, le plaçant au même niveau d’importance que ses humains. Les rôles sont troubles, Dany est à la fois l’animal de compagnie, le fils et l’amant tout comme Bernardo est à la fois le frère, le mari et le père. Sans repères moraux à l’intérieur de cette cellule familiale dépravée, les besoins primaires comme le sexe ou se nourrir se retrouvent complètement chamboulés. Les humains et les chiens souffrent des mêmes maladies, mangent la même chose et se retrouvent donc naturellement à se mélanger entre eux, à s’entre-dévorer, tel un microcosme refermé sur lui-même. C’est d’ailleurs lorsqu’un quatrième personnage tente de percer ce cercle que tout cet équilibre fragile s’effondre, que chacun se rend compte que sa place attribuée n’est ni la bonne, ni celle souhaitée. C’est ainsi que Bernardo fera face à sa propre bestialité, brisant tous les tabous d’une société qui ne lui correspond pas. Même Dany, souhaitant mettre fin lui aussi à sa domestication, tentera une dernière fois de s’enfuir…Avant de se faire rattraper par son destin de caniche enchaîné, pour un éternel recommencement. Les humains sont bien tous les mêmes.


A propos de Charlotte Viala

Vraisemblablement fille cachée de la famille Sawyer, son appétence se tourne plutôt vers le slasher, les comédies musicales et les films d’animation que sur les touristes égarés, même si elle réserve une place de choix dans sa collection de masques au visage de John Carpenter. Entre deux romans de Stephen King, elle sort parfois rejoindre la civilisation pour dévorer des films et participer à la vie culturelle Toulousaine. A ses risques et périls… Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riRbw

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