The Cursed Lesson


Étrangeté parmi les films en compétition au festival de Gérardmer, le film sud-coréen The Cursed Lesson (Juhn Jai-hong et Kim Ji-han, 2020) n’a pas fait l’unanimité mais a su se faire remarquer.

Trois femmes assises en lotus dans une salle de yoga, portent une tasse de tisane à leurs lèvres dans le film The Cursed Lesson.

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Vous reprendrez bien un peu de tisane ?

Sorti en novembre dernier en Asie, The Cursed Lesson est le cinquième long-métrage du réalisateur Juhn Jai-hong mais seulement le premier de son acolyte Kim Ji-han : hé oui, deux réalisateurs pour un film tout en bipolarité. Les premières critiques affluent rapidement sur les réseaux sociaux dès l’ouverture du festival. Moqué, mal noté, incompris, considéré intriguant mais néanmoins sans queue ni tête, The Cursed Lesson en a sévèrement pris pour son grade tout en attirant tout de même son lot de curieux. Comme nous, par exemple. On a suivi le mouvement, on lui a donné sa chance, et comme beaucoup d’autres, nous sommes restés relativement perplexes tout en se demandant si l’objet méritait vraiment un tel déchainement. Le postulat de départ invite en effet à la curiosité : Hyo-jung (jouée par Lee Chae-young) est une jeune mannequin très jolie mais qui subit pourtant de plein fouet les critiques sur son physique. Trop « vieille », trop ridée, elle ne plait plus aux professionnels de la mode. La chirurgie esthétique et les traitements ne suffisant plus, la jeune femme se tourne alors vers un studio de yoga qui promet une transformation miracle. La kundalini est une énergie intérieure féminine, symbolisée par le serpent. Une fois réveillée, cette énergie permet d’atteindre la perfection spirituelle. Le studio de yoga en question affirme qu’elle permettrait aussi d’atteindre la perfection physique. Ça sent l’entourloupe, mais aux grands maux les grands remèdes.

Une femme est de dos à gauche de l'image, face à elle, une femme le regard hagard, avec du sang sur tout le haut de son t-shirt blanc, scène du film The Cursed Lesson.

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Étant donné l’obsession du physique qui fait des ravages chez les Sud-Coréens, le scénario est loin d’être déconnecté de la réalité au premier abord. Entre le culte voué aux groupes de k-pop, la ruée vers la chirurgie esthétique et la toute-puissance des produits de beauté, le désespoir de l’héroïne n’est ni anodin, ni surfait. Elle rejoint d’ailleurs ce stage intensif de yoga avec trois autres participantes dont une sportive et une actrice qui, elles aussi, ne savent plus à quel saint se vouer pour s’embellir davantage. La directrice et son assistant les abreuvent de tisane soi-disant pour les détendre, et, une par une, ces jeunes femmes reçoivent des traitements « de faveur » la nuit venue. Entre danses du serpent et positions sexuelles dignes du plus haut niveau du kamasutra, on commence à perdre de vue le sujet initial. Au fur et à mesure que le « stage » (à ce stade on préfère mettre des guillemets) s’intensifie, les jeunes femmes souffrent de terreurs nocturnes et de visions terrifiantes. Les scènes hallucinogènes s’enchainent sans pour autant faire avancer l’intrigue ; fatalement tout cela commence à tourner en rond. En parallèle, la police mène l’enquête sur un double meurtre commis par une jeune femme qui, elle aussi, s’était adonnée au yoga kundalini. Le manque de continuité entre les scènes dans le studio de yoga et les scènes d’investigation ferait presque penser que l’on regarde deux films différents. La faute peut-être à cette dualité incarnée par cette réalisation bicéphale ? On en vient surtout à le penser lorsque la fin approche. Soudainement, le délire des hommes-serpents et des fantômes trouve une explication relativement rationnelle. Plutôt que d’assumer son propos jusqu’au bout, quitte à diviser, The Cursed Lesson choisit de maladroitement se justifier. Encore aurait-il fallu amener cette justification de manière subtile et progressive. Mais les réalisateurs ont opté pour ce qui peut se faire de pire : un personnage qui explique tout, de A à Z. Tout bonnement insupportable !

Une femme avec la peau bleue et une robe rouge hurle debout au milieu de quatre bougies ; elle est toute courbée comme si elle était possédée par un démon ; scène du film The Cursed Lesson.

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Problème d’entente entre les deux réalisateurs ? Problème de vision globale ? De rythme ? Quel dommage de rationaliser et bâcler la fin d’un métrage qui semblait pourtant assumer jusque-là son délire. Certes le scénario n’a jamais été l’atout premier de The Cursed Lesson, mais l’esthétique est tellement soignée, la direction artistique est si travaillée, qu’on aurait pu pardonner ces fantaisies scénaristiques et prendre le film tel qu’il s’offrait, décalé et jusqu’au-boutiste. Il aurait pu ainsi être une critique acerbe des diktats de la beauté, mais l’écriture à la va-vite aura eu raison de son succès. Par comparaison, le film d’animation, lui aussi sud-coréen, Beauty Water (Cho Kyung-hun, 2021), sélectionné cette fois hors-compétition au festival, s’attaquait également à la quête de la perfection physique tout en ayant au moins le mérite de pousser à fond son propos, comme les films coréens que l’on aime (cf Parasite de Bong Joon-Ho)  pour finir sur un climax tragicomique. Deux films sur la même thématique, deux ambiances assez dérangeantes, deux films plus ou moins réussis : il est peu de dire que la sélection asiatique de ce cru 2021 aura laissé les spectateurs quelque peu sur leur faim…


A propos de Emma Ben Hadj

Étudiante de doctorat et enseignante à l’université de Pittsburgh, Emma commence actuellement l’écriture de sa thèse sur l’industrie des films d’horreur en France. Étrangement fascinée par les femmes cannibales au cinéma, elle n’a pourtant aucune intention de reproduire ces méfaits dans la vraie vie. Enfin, il ne faut jamais dire jamais.

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