Quasiment un an jour pour jour après Okja (Bong Joon-Ho, 2017), Netflix signe un nouveau contrat avec le cinéma sud-coréen en proposant Psychokinesis (2018) nouveau film du très en vue Yeon Sang-Ho réalisateur du génial Dernier Train pour Busan (2016).
Rocket-Man
Depuis plusieurs années, la rédaction de Fais pas Genre ! a rejoint les rangs de ceux qui considèrent le cinéma sud-coréen comme la cinématographie la plus vivifiante de notre époque. L’an dernier, le seul film à nous avoir quasiment intégralement réunis fut le très beau Okja de Bong-Joon Ho (2017), fable vegan sous fond d’hommage aux films de monstres. Le film,avait reçu notre label du Film qui fait pas genre 2017, un après que ce dernier n’ait été décerné à un autre film sud-coréen, l’incroyable Dernier Train pour Busan de Yeon Sang-Ho (2016). Aussi, quand fut annoncé que Netflix, qui avait déjà produit Okja – souvenez-vous de la polémique qui avait enflé il y a pile un an lors de sa présentation en Compétition au Festival de Cannes – remettait le prix pour s’octroyer les services de Yeon Sang-Ho, cela nous avait suffit à considérer Psychokinesis (2018) comme un potentiel candidat pour compléter ce tiercé sud-coréen en 2018. Sorti en catimini face à la déferlante super-héroïque de Marvel – nous y reviendrons quand vous l’aurez tous vu – le nouveau blockbuster sud-coréen estampillé Netflix joue pourtant sur le même terrain puisqu’il est, à sa façon, lui aussi, un film de super-héros. L’histoire est celle de Seok-Hyeon, un agent de sécurité, sud-coréen moyen, porté sur la bibine. Un jour, alors qu’il boit de l’eau à la source, il va se retrouver contaminé par un étrange liquide extra-terrestre. Dès lors, il va développer des pouvoirs de télékinésie assez impressionnants qu’il peine toutefois à contrôler. Parallèlement, sa fille qu’il n’a pas vue depuis des années, tenancière d’un restaurant où l’on sert le meilleur poulet frit dit-on, se retrouve harcelée par une multinationale et ses sbires qui veulent l’expulser pour construire un centre commercial en lieu et place de son échoppe. La mort de sa mère dans une manifestation de soutien l’amène à revoir son père le temps de l’enterrement de cette dernière. Ce dernier va se décider à mettre à profit ses nouveaux pouvoirs pour défendre sa fille contre ceux qui veulent l’expulser.
Comme souvent dans le cinéma coréen, les genres s’éclatent pour se mêler les uns les autres dans une joyeuse farandole. Au même titre que les films de Bollywood, les films sud-coréens sont un peu tout à la fois. Ici, l’argument du film de super-héros cache par moment une comédie, un film social, un film policier, un thriller, un drame. Cette richesse de ton est à la fois la force et le talon d’Achille de cette cinématographie. Car si le mélange des ingrédients n’est pas pleinement maîtrisé, comme c’est le cas malheureusement ici, la sauce ne prend jamais véritablement. Tout autant politiquement incorrect qu’un The Host (Bong-Joon Ho, 2006) – qui tirait à boulets rouges sur l’occupation américaine en Corée du Sud – ou encore d’Okja – véritable croisade contre l’industrie agro-alimentaire – Psychokinesis (2018) dénonce avec fermeté l’invasion industrielle chinoise, le monopole des multinationales et grandes firmes qui nuiraient à la survie des petits commerces locaux et plus étonnant et virulent encore, la complicité du gouvernement sud-coréen et de sa police. De ce point de vue là, le cinéma sud-coréen prouve une nouvelle fois qu’il comprend le sens du mot populaire, en proposant des œuvres mettant en scène des héros ou anti-héros qui ressemblent potentiellement au public ciblé et qui leur offre matière à penser leur vie et leur situation. Si le spectateur coréen est semble-t-il habitué à ce faufilement d’un genre à un autre, nous pouvons assez légitimement en tant que spectateur occidental, se défendre de ne pas totalement s’y retrouver. En bien ou en mal, chacun en jugera, les longs-métrages de notre côté du continent sont certes engoncés dans des niches, mais garantissent une unité de ton et une lecture plus littérale. Certains diraient que la vie, la vraie, n’est pas monotone et qu’en cela, le cinéma coréen en retranscrit bien plus fidèlement les aléas. Toutefois il convient d’admettre que les numéros d’équilibristes, sur un fil, que cela impose à la narration, impliquent souvent de risquer de se casser la gueule. Ce que Psychokinesis n’arrive pas vraiment à éviter. A force de changer son fusil d’épaule, le film finit par nous perdre, voire pire encore, à nous ennuyer.
Si le choc provoqué par Dernier Train pour Busan (2016) fut grand, la relative déception que procure ce Psychokinesis aura peut-être de quoi calmer les ardeurs et les emballements autour de Yeon Sang-Ho qu’on avait peut-être considéré un peu trop vite comme le digne héritier des Bong-Joon Ho et autres Park Chan-wook. Certes, le cinéma coréen témoigne d’une vitalité ébouriffante, enlaçant tous les genres et sous-genres, concurrençant le cinéma américain sur son propre terrain, tout en conservant – et c’est bien là sa force – une identité coréenne indéniable. Mais force est de constater que toutes les tentatives ne se valent pas tout à fait. Okja ou Le Transperceneige (Bong Joon-Ho, 2013) touchait à une certaine universalité, Dernier Train pour Busan étonnait par son dynamitage du cinéma américain sur le terrain du film de zombie alors à bout de souffle… Ce Psychokinesis quant à lui, s’il propose une version du film de super-héros plus locale et intime – on pense fortement au film Italien, On l’appelle Jeeg Robot (Gabriele Mainetti, 2016) infiniment plus réussi – et un ancrage social et politique plus marqué, pêche surtout là où on l’attendait concurrencer son antagoniste américain : les scènes d’action et les effets numériques ou en un mot, le spectacle.