Mulan


Après de nombreux classiques Disney comme Aladin, Cendrillon ou Le Roi Lion, c’est au tour de Mulan d’avoir le droit à sa version live action. Cette revisite du classique de 1998 arriverait-t-elle à point nommé, au moment où “female gaze” et représentation féminine au cinéma sont plus importantes que jamais ?

Mulan regarde l'horizon, derrière elle, un ciel de crépuscule orangé au dessus des montagnes.

                             © The Walt Disney Company / Disney+

Big Trouble in Imperial China

Mulan (Tony Bancroft & Barry Cook, 1998) trente-sixième dans la liste des “Classiques d’Animations Disney » est à bien des égards un film culte. Il faut dire qu’il prit part à ce que l’on nomme communément “Le Second Âge d’Or” des studios Disney qui après une longue traversée du désert artistique dans les années quatre-vingt, retrouva la formule gagnante dans la décennie suivante. Pour ce qui concerne le long-métrage qui nous intéresse, le succès d’estime qu’il remporta s’appuyait notamment sur une galerie de personnages hautement mémorables, de Mulan à Mushu – sans oublier les redoutables Huns qui terrifièrent une génération entière –  et une recette qui a fait ses preuves chez Disney : adapter une légende/conte très localisé tout en offrant aux spectateurs un certain dépaysement dans ledit pays dont l’histoire est issue. C’est aussi la première fois qu’une héroïne sort en si grande pompe des sentiers battus dans un film du studio. Pas de baisers salvateurs, pas de chevaliers blancs. Bon, une petite histoire d’amour quand même à la fin, qui fait potentiellement retourner l’héroïne à un destin rentrant dans la norme un peu plan-plan du «ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » cher aux racines des contes qui ont façonné, pour partie, l’identité Disney. Malgré tout, à sa sortie, Mulan faisait office de guide, de lumière : pionnier dans cette démarche de proposer des histoires différentes pour les jeunes enfants, plus modernes, le tout enveloppé dans un film à l’animation absolument sublime, et aux chansons cultissimes. Avouez-le, vous avez Je Ferai De Vrais Hommes De Vous dans la tête là, maintenant. 

Mulan sur le champ de bataille se tient en garde avec son sabre.

                         © The Walt Disney Company / Disney+

Autant dire qu’une version live de ce désormais classique indiscutable était assez logiquement attendu au tournant, et pas nécessairement du meilleur œil. Les multiples rebondissements depuis sa sortie originelle prévue en mars en font une aventure relativement tumultueuse, et ce, avant-même que le grand public n’ait pu le découvrir. Après l’avoir décalé à l’été pour des raisons pandémiques qu’il n’est plus nécessaire d’expliciter, le grand manitou Disney a finalement pris une décision qui a fait grand bruit : ne pas sortir du tout le film en salles, en Europe et aux États-Unis, mais directement sur sa plateforme (fraîchement débarquée en France durant le confinement) qu’on ne vous présente plus non plus, Disney +. Les exploitants de salles (qu’ils aient des battes de baseball ou pas) et bien d’autres acteurs de l’industrie se retrouvaient donc désormais évincés du plan de sortie de ce qui devait être un des grands blockbusters de l’année, ce qui provoqua (au moins chez nous) de nombreuses et vives réactions, gestes de désespoir, déclarations par communiqués, appels au boycott. Au cœur de ce marasme, voilà que des propos de l’actrice principale Liu Yifei plongent le film dans une tourmente supplémentaire. Défendant publiquement les actions du gouvernement chinois face aux révoltes de Hong-Kong, l’actrice a également mis le feu aux poudres sur les réseaux sociaux, d’où certains appellent désormais au boycott de Mulan par solidarité avec les manifestants. Pire encore, même si le long-métrage a pu sortir en Chine (un comble), ses résultats au box-office du pays d’origine de la véritable Mulan ont été pour Disney assez décevants, alors même que le studio espérait battre tous les records avec ce blockbuster taillé sur mesure pour ce nouveau marché d’expansion qu’est l’Empire du Milieu.

Outre les problèmes et les débats qu’a donc suscité la sortie du film, l’intérêt du remake était en soi questionnable, dans la lignée récente des live action de Disney, qui, pour une bonne partie, ont du mal à convaincre et à trouver une réelle originalité face à leur prédécesseur (voir notre article 2018, L’année où Disney a failli retrouver la magie). N’ayant de plus qu’une vingtaine d’années le séparant de son ancêtre animé, ce nouveau portage se confronte donc directement, comme le Roi Lion (Jon Favreau, 2019) l’an dernier, à son public d’origine ayant un souvenir encore vivace. L’intérêt qu’on pouvait trouver au film se manifestait surement ailleurs, puisque cette ré-adaptation du personnage de Mulan qui a été, à sa façon, l’un des symboles du Girl Power des 90’s – devait sortir précisément dans une période où de nouveaux questionnements agitent la sphère cinéma, comme la société. Depuis 2019 et la création du concept de female Gaze théorisée par Laura Mulvey, la volonté de faire exister davantage une vision et des imaginaires féminins au cinéma est au cœur de nombreux débats cinéphiliques intenses. Bons nombres de films récemment sortis, traitent ainsi directement de cette question (ou tout du moins, l’alimentent) d’une représentation de l’expérience féminine, aussi bien devant ou derrière la caméra. Le regard se porte d’abord sur le cinéma d’auteur,  ici en France avec des films comme Portrait de la Jeune Fille en Feu (Céline Sciamma, 2019), Une Fille Facile (Rebecca Zlotowski, 2019) ou dans un genre qui nous intéresse davantage en ces lieux avec Revenge (Coralie Fargeat, 2018), mais aussi dans le cinéma américain avec des propositions aussi différentes que Midsommar (Ari Aster, 2019) – qui tente à sa manière de coller à l’expérience de la féminité – jusqu’aux films de super-héros avec Wonder Woman (Patty Jenkins, 2017) et Birds of Prey (Cathy Yan, 2020) de plus en plus nourris par ses réflexions.

Charge d'un groupe de soldats à cheval, tous alignés, en fond, une grande montagne, scène du film Mulan.

                                     © The Walt Disney Company / Disney+

On connait à peu près tous le personnage de Mulan aujourd’hui : jeune femme chinoise qui, pour sauver son père infirme, prend sa place dans l’armée impériale. La trame générale est ici, peu ou prou conservée : « l’échec » de Mulan dans le rôle d’épouse idéale qui lui est destiné et son émancipation via une voie qui lui est normalement strictement interdite. Quelques changements notables se distinguent malgré tout et ne manqueront pas de faire tiquer les plus fervents adorateurs de l’original. La première est la création d’un personnage secondaire, la sœur de Mulan. A l’inverse, plusieurs personnages disparaissent, notamment Mushu (une absence déplorée par certains fans lors de la sortie des bandes-annonces) ce facétieux dragon miniature devenu la mascotte du premier film, avec un Eddy Murphy (ou José Garcia) flamboyant au doublage. Même traitement pour l’autre sidekick du dessin-animé, Cri-Kee, criquet « porte bonheur » de Mulan, lui aussi remisé à l’oubli. Autre changement notable, l’étape « histoire d’amour » un poil superflu du film d’animation est fortement mise en sourdine, au profit d’une conclusion moins « traditionnelle » pour le personnage de Mulan. Toutes ces modifications, suppressions et écarts vont dans le même sens : celui de se resserrer sur le parcours de Mulan tout en l’approfondissant, s’appuyant moins sur les comic reliefs qu’étaient Mushu et Cri-kee, que sur la volonté de raffermir la morale du film. Le message est assez clair, surtout quand on y ajoute un nouveau personnage féminin – une sorcière mise au ban de la société – et des scènes abordant assez explicitement la question de la libération de la parole et de son écoute. Malheureusement, l’inclusion de ces questions dans le scénario n’est pas toujours heureuse, allant souvent dans une forte simplification de problématiques complexes, et certains dialogues qui manquent assez franchement de subtilité n’arrange pas l’affaire.

L'empereur de Chine assis sur un immense trône, un faisceau jaune l'éclaire du haut, comme du ciel, scène du film Mulan 2020.

                   © The Walt Disney Company / Disney+

Reste encore à trancher cela dit si ce Mulan nouvelle génération réussit son pari de divertissement. Visuellement, contrairement à pas mal de ses prédécesseurs de la série Disney live action, Mulan est plutôt une bonne surprise. Sa grande force est d’utiliser, pour une fois, avec parcimonie les décors, paysages et effets numériques. Les décors naturels ou réellement construits sont bien plus présents que dans bon nombres de blockbusters contemporains. Un bémol visuel est notable cela dit : les apparitions récurrentes d’un phénix, comme symbole de l’esprit combatif de Mulan, jamais vraiment convaincantes ou bienheureuses. L’écueil du tout numérique un peu sans saveur est tout de même largement évité, et cela se distingue aussi dans les choix de mise en scène des scènes d’action. Alors que la tendance moderne du blockbuster tend presque toujours vers une dernière demi-heure débordant d’effets numériques, Mulan opte au contraire pour plus de sobriété, l’action centrant son action sur quelques personnages, nous rappelant que le souffle épique nécessaire à ce type de récit, peut naitre aussi bien – voire mieux – sans l’utilisation débridée et machinale d’images de synthèse. La bataille contre les Huns est à cet égard révélatrice. C’est presque surprenant, aujourd’hui, de voir seulement une poignée de cavaliers dans une course poursuite, en lieu et place d’une armée numérique informe et à perte de vue. Enfin, Mulan saisit aussi l’occasion de livrer quelques séquences d’arts martiaux plutôt bien senties – et qui se font trop rares au cinéma ces jours-ci – empruntant aux codes du wu xia pan les plus anciens comme les plus récents. On pense notamment au cinéma de Zhang Yimou ou de Tsui Hark, toute proportion gardée. Et pour cause, en plus des personnages principaux constitués de Mulan et des quatre soldats de son unité, quelques pointures du film d’arts martiaux asiatiques sont convoquées : c’est donc avec joie qu’on retrouve l’indémodable Donnie Yen, interprète du grand, du seul, du légendaire Ip Man (Wilson Yip, 2008), campant ici la figure d’autorité « sévère mais juste ». On note aussi l’apparition de Jet Li, vieilli pour l’occasion, afin d’interpréter l’empereur de Chine, rien que ça. Pour toutes ces raisons, il est donc d’autant plus regrettable que Disney ait dû écarter (ou a décidé d’écarter, on vous laissera choisir si vous estimez que la pandémie est plus ou moins responsable que la stratégie commerciale du studio) son long-métrage des grands écrans, tant il s’agit ici, dans ces productions live-action que le studio a produit en masse ces dernières années, peut-être de celui qui le méritait le plus.


A propos de Martin Courgeon

Un beau jour de projection de "The Room", après avoir reçu une petite cuillère en plastique de plein fouet, Martin eu l'illumination et se décida enfin à écrire sur sa plus grande passion, le cinéma. Il est fan absolu des films "coming of age movies" des années 80, notamment ceux de son saint patron John Hughes, du cinéma japonais, et de Scooby Doo, le Film. Il rêve d'une résidence secondaire à Twin Peaks ou à Hill Valley, c'est au choix. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riwIY

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