Jesus Shows You The Way To The Highway


Très difficile de mettre des mots sur un film aussi fou. A la croisée du cinéma d’espionnage et de la science-fiction rétro-futuriste, l’absurdité règne en maître dans Jesus Shows You The Way To The Highway (Miguel Llansó, 2019). Œuvre sans pareilles, il s’agit tout simplement du film le plus barré du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, et même au-delà. Bon… Par où commencer ?

Un faux Batman contre les méchants du film  Jesus Shows You The Way To The Highway (critique)

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Opération Xanadu

Déjà dans Crumbs, son premier long-métrage (2015), Miguel Llansó posait les bases d’un univers absurde et unique : dans une Éthiopie post-apocalyptique, Candy est persuadé d’être d’origine extra-terrestre. Il quitte alors son bowling désaffecté pour aller à la rencontre du Père Noël et lui demander un ticket pour emprunter le vaisseau spatial planant au-dessus du pays et ainsi rentrer chez lui… L’annonce d’un deuxième film nous rendait bien évidemment jouasse, une œuvre au titre plein de promesses, Jesus Shows You The Way To The Highway. Si singulière et délirante que la résumer est un véritable défi : en 2035 en Estonie, la ville de Tallinn est sous le contrôle du super-ordinateur Psychobook, mais un virus informatique nommé « Soviet Union » menace alors l’équilibre de cette intelligence artificielle. Le fautif ? Le maléfique Général Staline ! Deux agents de la CIA, Palmer Eldritch et DT Gagano, débutent l’Opération Jungle : comme dans Matrix (Lilly & Lana Wachowski, 1999), leur conscience est transférée dans Psychobook pour détruire le virus de l’intérieur et débusquer le Général Staline. L’agent Gagano s’en serait bien passé car sur le point de se retirer de la CIA, il rêve d’ouvrir sa propre pizzeria et une école de kickboxing avec sa femme Malin…Catastrophe, la mission dégénère lorsque l’esprit de Gagano se retrouve piégé dans le système puis re-matérialisé à Betta-Etiopia, une Éthiopie futuriste. Là-bas, il doit faire face au belliqueux Batfro, maître du kung-fu et également premier ministre du pays. Heureusement, Jésus est là pour venir en aide à Gagano et le ramener dans le monde réel…L’intrigue suffit pour rendre compte d’à quel point le film est un bordel innommable. D’une créativité sans limite, Miguel Llansó réalise une œuvre où littéralement tout semble possible. A la fois récit d’espionnage et de science-fiction délirant, le tout agrémenté de super-héros, de kung-fu, de monstres et d’une bonne dose de romance mielleuse, Jesus Shows You The Way To The Highway est un joyeux foutoir à l’ambition folle. Unique en son genre, il offre aux spectateurs une expérience cinématographique profondément déstabilisante et unique.

Deux mouches géantes dans le film Jesus Shows You The Way To The Highway (critique)

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A l’instar de Crumbs, Miguel Llansó évite tous les poncifs du genre en délocalisant son action loin des grandes villes américaines. Ses terrains de jeu sont l’Estonie et l’Éthiopie, d’ailleurs co-producteurs du film. Plongeant ces pays dans une troublante dystopie, il se focalise sur les petites gens plutôt que sur les héros méga-baraqués et sans un poil sur le caillou qu’Hollywood sacralise. Tournant en dérision tout ce qui se rapproche de près ou de loin aux États-Unis, regarder Jesus Shows You The Way To The Highway constitue un véritable voyage à travers la contre-culture internationale, notamment par le cinéma des années 60. Tourné en pellicule, créant une image saturée de grain, l’objet est bourré de références : il rappelle le cinéma d’exploitation philippin de l’époque et la pléthore de parodies de James Bond ; le doublage – volontairement catastrophique – rappelle celui du cinéma italien de la même époque, tout aussi calamiteux ; les séquences de kung-fu quant à elles évoquent la carrière chinoise de Bruce Lee, remplacé dans le film par un génial Batman africain et cocaïné ; la tradition du spectacle de marionnettes est même ressuscitée dans des séquences en stop-motion assez dérangeantes…Le réalisateur joue par ailleurs avec les formats filmiques selon les strates de réalité dans lesquelles Gagano se trouve propulsé, optant pour du 16mm, du 35 ou de l’animation selon les séquences. De la même manière, la musique étonne et détonne oscillant entre free jazz expérimental et morceaux techno en 8-bits analogiques, la bande son rit également de la réalité. Pour couronner le tout, le film mélange les époques par son esthétique rétro-futuriste déstabilisante : télévisions des années 70, casques de réalité virtuelle, téléphones archaïques, intelligence artificielle, Guerre Froide, Apocalypse…L’intrigue se déroule-t-elle réellement en 2035 ? En bref, Jesus Shows You The Way To The Highway est le véritable boss final d’une narration absurde, quasiment chaque séquence constituant un moment d’anthologie hallucinant, si bien qu’on en vient à se demander si certaines d’entre elles n’ont pas été rêvées.

Photogramme du film Jesus Shows You The Way To The Highway (critique)

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Miguel Llansó va d’ailleurs si loin dans son délire qu’il en perd le spectateur. Allant à l’inverse du confort filmique offert par Netflix, le cinéaste poursuit sa quête de l’absurde en bousculant allègrement le confort du spectateur, même celui des plus cinéphiles. L’intrigue initiale est progressivement occultée ; les arcs narratifs se multiplient de façon compulsive, ne se clôturant jamais complètement ; les personnages sont antipathiques au possible ; les enjeux sont flous…Le véritable moteur de la narration est le non-sens, si bien que le spectateur ne sait jamais s’il assiste au rêve d’un autre ou au trip d’un junkie. Les amateurs de curiosités et de bizarreries y trouveront leur Jardin d’Eden, tandis que les autres rejetteront très certainement le tout. En définitive, en considérant la profusion de clins d’œil au cinéma, l’hybridité des parti-pris artistiques et la surcharge narrative, Jesus semble proposer une réflexion sur le monde par l’image. Progressivement vidé de tout sens, le film reflète peut-être l’état du monde actuel, un monde nonsensique et noyé dans des théories conspirationnistes farfelues, un monde à la technologie effrayante et aberrante. Llansó parle d’ailleurs lui-même de « modernité liquide » où la réalité devient incertaine, poreuse, en crise. A l’image de Gagano, déphasé et perdu dans les méandres spatio-temporels de Psychobook, le spectateur ne comprend plus rien, si bien qu’il devient difficile de croire aux images de ce monde et donc au monde, devenu ambigu et abracadabrant. Pourtant, dans le même temps, l’image devient aussi une source d’idées créatrices et créatives, elle devient une merveilleuse toile blanche où toute la fantaisie de l’imaginaire semble possible. 


A propos de Calvin Roy

En plus de sa (quasi) obsession pour les sorcières, Calvin s’envoie régulièrement David Lynch & Alejandro Jodorowsky en intraveineuse. Biberonné à Star Gate/Wars, au Cinquième Élément et au cinéma de Spielberg, il a les yeux tournés vers les étoiles. Sa déesse est Roberta Findlay, réalisatrice de films d’exploitation parfois porno, parfois ultra-violents. Irrévérencieux, il prend un malin plaisir à partager son mauvais goût, une tasse de thé entre les mains. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNH2w

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