Un cirque cinématographique. Voilà comment on pourrait résumer le petit dernier des frères chouchous du cinéma, Ave, César ! (2016). Dans le « merveilleux » Hollywood des années 50, au cœur des studios grouillant de figurants et autres stars capricieuses, l’acteur Baird Whitlock disparaît. C’est au fixer Eddie Mannix, arrangeur de problèmes à plein temps, de le retrouver pour achever le tournage du film “Ave, César !”.
Ave, Coen !
Le projet avait déjà effleuré l’esprit des frères en 2004, avec l’idée de compléter la trilogie des idiots, regroupant les précédents O’Brother (2000) et Intolérable cruauté (2003). Plus de dix ans plus tard, les Coen redonnent vie à Eddie Mannix, célèbre fixer de l’âge d’or d’Hollywood. Son métier ? Gérer les dures réalités de ce milieu ô combien volage, pailleté et décalé. Bob Hoskins l’avait déjà incarné dans Hollywoodland (Allen Coulter, 2006), mais c’est ici Josh Brolin qui reprend le rôle avec brio pour une vision d’un homme à qui on en demande trop, mais qui jamais ne se plaint. Si le sujet du film aurait pu être traité avec davantage de noirceur, il n’en est rien pour Joel et Ethan qui dépeignent une fresque comique et burlesque à travers un ensemble de scénettes drolatiques. Un hommage au Hollywood des 50’s ou une dure réalité dénoncée de manière légère ? Le fameux (et redouté) communisme du début de Guerre Froide vient s’imposer en tant que grand antagoniste, délirant, on s’y laisserait presque enrôler ! Le film s’écoule sur une temporalité très courte avoisinant les quelques vingt quatre heures durant lesquelles une star fictionnelle, Baird Witlock (George, merveilleux George) se fait enlever par une bande d’intellectuels communistes fort sympathiques. Eddie Mannix, qui a bien d’autres chats à fouetter, se retrouve en charge de gérer la rançon. S’enchaîne un ensemble de scénettes peignant les nombreux aspects de l’industrie cinématographique populaire de l’âge d’or d’Hollywood, où acteurs, professionnels et autres journalistes viennent se côtoyer, plus ou moins à la recherche de l’acteur disparu.
On nous l’avait déjà annoncé, le casting promettait d’être monstrueux, et on ne nous a pas menti. George Clooney, Josh Brolin, Scarlett Johansson, Channing Tatum, Tilda Swinton dédoublée… C’est un casting en or que révèle Ave, César ! ce qui constitue son premier gage de qualité. La comédie se prête parfaitement au ton parodique des Coen, qui s’amusent à recréer séquences de claquettes, fresques historiques, westerns et autres ballets aquatiques : véritables plaisirs pour les amateurs de l’époque bénie d’Hollywood. C’est une version bien plus joyeuse de cet univers qu’exploitent les frères après le désenchanté Barton Fink, fameuse Palme d’Or en 1991. C’est par un travail parfait et minutieux de la photographie que l’ambiance d’antan illumine de nouveau les salles noires, pour notre plus grand bonheur. Le scénario se veut à l’image du film, délirant et léger, aux gags bien pensés. Là se trouve pourtant le point faible de cette comédie, se résumant à un ensemble de farces astucieusement mises en scènes, où le kidnapping de Baird Witlock vient prendre un aspect très secondaire. D’autres personnages, entraînants et charismatiques, auraient davantage mérité de place dans l’histoire, entre autres l’excellent Channing-danseur-communiste, ou la charmante Scarlett-nageuse-pimbêche. Les séquences cinématographiques viennent se perdre dans l’histoire, divertissante mais manquant parfois de cohérence quant à son fil conducteur.
La magie du film repose en cet univers où chaque instant devient un extrait à part entière, jusqu’à perdre le spectateur en jouant sur la frontière ténue entre réalité et fiction. Les plans de productions fictionnelles s’associent aux plus grands noms du cinéma, d’Un jour à New-York (Stanley Donen & Gene Kelly, 1949) au Bal des sirènes (George Sydney, 1944). Les acteurs perdent leur superbe dès la caméra éteinte pour se révéler au grand jour, alcooliques, maladroits, imbuvables ou pire, communistes. Les frères s’amusent à faire planer la menace au dessus de chaque tête, dans un univers où ragots et simples mots dans une feuille de chou peuvent être fatals. Si le film reste plutôt universel, il n’en est pas moins une création totalement cinéphile, et aborde des aspects touchant un public de connaisseurs. Des références plus ou moins évidentes au milieu professionnel lui-même, dévoilant un panel de fonctions souvent ignorées du grand public, à commencer par celle du fixer, au centre de l’intrigue.
Avé, César ! demeure avant tout une comédie écrite par des cinéphiles pour des cinéphiles, regorgeant de clins d’œil à tout va aux classiques et autres films musicaux de la grande période hollywoodienne. Œuvre mineure mais non négligeable dans la filmographie des frères, on se souviendra éternellement de Channing Tatum et son numéro de claquettes, ou d’Alden Ehrenreich en cowboy incapable de jouer hors western. Les Coen livrent un hommage et une fresque cinématographique splendide, drôle et intelligente, où chacun trouvera sa part d’humour et d’affection envers le géant qu’est le septième art.
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