[Entretien] Ariane Louis-Seize, sang frais


Véritable coup de cœur du PIFFF 2023 où il avait d’ailleurs remporté le Prix du Public, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant (Ariane Louis-Seize, 2023) est en salles partout en France depuis le 20 mars et s’impose déjà comme l’un des meilleurs teen movies de ces dernières années. L’occasion pour Fais pas Genre ! de s’entretenir avec sa réalisatrice, Ariane Louise-Seize, qui prolonge avec ce premier long, une œuvre singulière dédiée aux figures adolescentes complexes et au regard féminin.

La jeune vampire du film Vampire humaniste cherche suicidaire consentant cherche sa subsistance dans le frigo d'une banque de sang, contenant plusieurs bouteilles de d'hémoglobine fraîche.

© Wayna Pitch

Sang frais

Pour commencer, peut-on parler du titre de ton film ? Parce que le public semble y réagir très positivement sur les réseaux sociaux !

Le titre est venu très tôt dans le processus de création. J’avais l’idée de cette jeune vampire trop humaniste pour mordre et qui essaie de trouver une façon éthique de se nourrir. L’idée de base est qu’elle mettait des petites annonces de type Craigslist et le titre de l’annonce était justement : vampire humaniste cherche suicidaire consentant. Quand je suis allé chercher mon amie Christine Doyon pour écrire le film avec moi et qu’elle m’a demandé : “C’est quoi le titre de ton film ?”, je lui ai dit que j’avais pas encore de titre, juste cette idée de l’annonce et elle m’a répondu “Bah c’est ça le titre !” Donc, avant même la première version du scénario, on avait déjà ce titre là. Par la suite, à chaque fois qu’on parlait du film aux gens en l’appelant comme ça, il y avait un sourire immédiat, donc on l’a conservé même si plus tard, dans les discussions avec les distributeurs, certaines personnes disaient : « Est-ce que le titre n’est pas trop long ? Est-ce que les gens vont le retenir ? » Mais mon argument, c’était que le pitch était carrément dans le titre ! Et puis ça apportait déjà un ton un peu décalé, donc on s’est dit qu’il fallait vraiment le garder car c’est un titre qui sort du lot et puis j’aime beaucoup les longs titres… Beaucoup de gens m’ont dit qu’ils attendaient le film justement par rapport au titre qu’ils trouvaient prometteur. C’est un peu à double tranchant. Soit le film est à la hauteur du titre, soit il ne l’est pas. Finalement, j’ai eu plus de retours positifs qu’autre chose, donc je suis contente de me dire qu’il l’est !

Dans un salon à l'ambiance vintage, semble-t-il les années 60, toute une famille est assise à l'arrière-plan, derrière une petite fille, au premier plan, assise par terre, tout sourire, comme devant un spectacle ; scène du film Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d'Ariane Louis-Seize.

© Wayna Pitch

Le film brille par son équilibre ténu entre plusieurs tonalités parfois contradictoires. Il est à la fois drôle, cruel et émouvant. Comment avez-vous travaillé l’écriture pour atteindre cet équilibre ?

C’était assez instinctif en réalité. A la base, on voulait juste raconter une bonne histoire puis s’amuser avec la figure du vampire en l’ancrant dans quelque chose de plus contemporain. On voulait que les gens s’attachent à ces personnages de vampires comme si c’étaient des humains, parce que, au final, ils ont les mêmes combats, à part le fait qu’ils doivent tuer pour survivre, ce qui est quand même une grande différence ! Mais moi j’aime beaucoup les films qui mélangent l’humour, la mélancolie, qui traitent de nos contradictions, et celle de la société aussi. Donc ça n’a pas été un défi d’écriture ou un dosage qui ont été savamment réfléchis. C’est juste que c’est comme ça que c’est sorti. Mais c’est sûr que ce mélange était un défi à la direction d’acteurs et même au tournage. Je me disais : « Ça fonctionne dans ma tête, mais est-ce que ça va vraiment fonctionner ? Est-ce que créer des personnages colorés, mais qui ont toute cette charge émotive là, qui sont seuls, qui vivent des situations si décalées, est-ce que ce dosage là va fonctionner ? » On en sait rien en réalité. On fonctionne avec notre instinct et après, ça fonctionne ou pas.

Est-ce que le montage a été une étape d’harmonisation ou de réglage de ces différentes tonalités ?

C’est sûr que c’est quelque chose qui a été travaillé avec le monteur Stéphane Lafleur, mais il n’y a pas vraiment eu de réécriture en post-production. Le film s’est monté comme il a été écrit. On avait quand même 29 jours de tournage, 47 lieux, beaucoup de personnages, des cascades etc… Il y avait donc quelques gros défis de mise en scène, le tout sur des délais très courts. Avec le chef opérateur Shawn Pavlin, on a donc été très précis sur le découpage technique, sur ce qu’on voulait montrer. Après, c’est sûr que cet humour là passe beaucoup par le rythme et le montage donc oui, il y a eu un travail de fignolage pour trouver cet équilibre entre l’humour et puis ces moments tendres et plus émotionnels.

On pourrait se dire que la figure du vampire et toute sa puissance métaphorique est épuisée, qu’on a fait le tour, et pourtant, ton long-métrage parvient à la rendre à nouveau pertinente.

J’avais envie de faire un film de vampires contemporain et j’avais envie de faire un film lumineux sur la mort. Mes deux sources d’inspiration, ce sont les films de vampires un peu auteuristes qui m’ont marquée ces dernières années comme Only Lovers Left Alive (Jim Jarmusch, 2013), mélangés à un autre courant qui m’a toujours intéressé et qui sont les films de passage à l’âge adulte indépendants américain qu’on appelle en anglais les coming of age : un peu à la Juno (Jason Reitman, 2007) ou Harold et Maud (Hal Ashby, 1971). Ce qui m’intéresse, ce sont les personnages qui sont remplis de contradictions, qui se sentent seuls et qui ont ce besoin de connexion, puis qui trouvent chaussure à leur pied. Ce que j’avais un peu envie de changer dans la figure de vampires, c’est qu’il ont toujours quelque chose de très attirant, de très charnel. La sexualité est souvent très présente dans les films de vampires et moi j’avais envie de montrer un vampire qui ne soit pas sexualisé. Plutôt un vampire qui vit ses premières fois avec tout le malaise et l’inconfort qu’il peut y avoir. C’est une source d’humour, mais c’est aussi une chose dans laquelle on peut se reconnaître parce que c’est rare que les premières fois soient super et que ça se passe comme dans les films… Je me disais que ce serait intéressant de voir un vampire maladroit, et que cette connexion entre Sasha et Paul ne soit pas quelque chose de physique, que ça se passe plutôt au niveau du cœur et de la tête. Je n’avais surtout pas envie de filmer une énième fois le moment où ils s’embrassent. C’est pas ça le film, c’est plutôt deux grandes âmes qui se rencontrent, une grande histoire d’amitié plus qu’une histoire d’amour et de désir. Et je crois que ce genre de thème a été moins exploité dans les films de vampires.

Même si Vampire humaniste cherche suicidaire consentant est ton premier long, il s’inscrit dans la continuité de tes courts-métrages qui traitent presque tous de la question de l’adolescence vue à travers le point de vue de personnages féminins.

C’est intéressant parce que c’est quelque chose que je n’ai jamais fait de façon consciente. J’ai toujours eu l’impression de faire des films qui sont très différents. Mais avec le recul, c’est vrai que j’aborde toujours les mêmes sujets ! En tant que créateur, on a tous des obsessions, en tout cas des sujets dont qu’on a l’impression de ne jamais épuiser. Les personnages adolescents sont hyper intéressants parce que tout à l’adolescence est plus intense, c’est une source dramatique et comique vraiment riche. Dans mon cas, je crois que je retrouve dans cette figure adolescente quelque chose de l’ordre du désir, de la recherche de soi, au fait de vivre dans ce monde et de se sentir seul, même si faire des films ça me permet de se sentir moins seule parce que, au moins, on vit seul ensemble ! J’aime aussi créer des personnages qui testent leurs limites, celles des autres, qui se réapproprient leur identité et se laissent guider par leur instinct sans trop savoir où ça va les mener. Je pense que c’est comme ça que j’aborde l’écriture d’ailleurs. Une espèce de danse avec les personnages que je crée, qui sont très réels dans ma tête, un dialogue entre moi et eux.

La force de l’adolescence, est-ce que c’est pas justement de suivre son instinct, de ne pas être encore formaté par l’âge adulte ?

Oui mais au delà de ça je ne crois pas que l’on devienne adulte. Des remises en question, on en a à plein de moments de notre vie. Je pense qu’on a tous un adolescent intérieur avec lequel on peut reconnecter peu importe l’âge. Donc il y a quelque chose d’assez naturel pour moi d’aller explorer cette tranche d’âge là. J’ai 38 ans, mais j’adore encore regarder des films sur l’adolescence avec des personnages complexes. Je crois qu’on n’a pas fini de faire le tour de ces personnages au cinéma.

Gros plan sur une jeune fille qui touche sa dent de vampire, dans le film Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d'Ariane Louis-Seize.

© Wayna Pitch

Sasha, la jeune vampire, est interprétée par Sara Montpetit et elle crève littéralement l’écran, au point où le personnage semble devenir immédiatement iconique. Peux-tu nous parler de ta rencontre avec elle et de ce qu’elle a apporté à ton personnage ?

Elle est géniale Sara Montpetit ! Pour l’anecdote, je reçois beaucoup de photos de jeunes adolescents ou de jeunes adultes qui se sont déguisés en Sasha pour Halloween (le film est sorti au Québec en 2023), et ça me touche tellement parce que je me dis qu’ils se reconnaissent en elle. J’avais peur de faire une maladresse en voulant traiter un personnage adolescent d’aujourd’hui alors que mon adolescence, elle remonte à longtemps ! Donc je suis contente de ne pas avoir traité ça avec un regard ringard. Sara Montpetit je l’ai découverte dans Maria Chapdelaine (Sébastien Pilote, 2021), puis l’année suivante avec Falcon Lake (Charlotte Lebon, 2022). Dans ce film elle dégage quelque chose d’hyper fort. Son regard est tellement perçant, il y a tellement de choses qui se passent sans qu’elle n’ait rien à dire. En la découvrant, je me suis dit :”je peux croire que cette personne est un vampire de 68 ans !” Je savais que je voulais travailler avec elle, mais j’ai tout de même fait une audition parce que je voulais voir comment la communication allait se faire entre nous. Est-ce qu’elle était drôle ? Est-ce qu’elle allait s’adapter au ton particulier de mon film qui est assez différent de ce qu’elle avait fait avant ? Il se trouve qu’elle m’a vraiment surprise par un humour très fin, très précis. Elle a une intelligence du timing et c’est totalement ce que je cherchais dont ça a été une grande rencontre. Puis c’est une jeune femme très curieuse, très authentique. La discussion était continuelle entre nous. On a fait beaucoup de répétitions avec elle et Felix-Antoine Bénard qui joue Paul. Le but était d’entrer plus en profondeur dans les scènes puis de trouver la musicalité de chaque partie, parce que c’est vraiment un film qui repose sur une forme de musicalité. Sara n’a pas peur de poser des questions, de suggérer des choses puis d’embrasser le processus complètement. C’est un bonheur de travailler avec elle et puis, elle perce l’écran donc je regrette aucunement mon choix !

Dans ce qui paraît être une boutique de fourre-tout vieillotte, un jeune adolescent et une jeune fille sont face à un bac à vinyles ; chacun d'un côté, ils se jettent un regard à la fois méfiant et intimidé dans le film Vampire humaniste cherche suicidaire consentant réalisé par Ariane Louis-Seize.

© Wayna Pitch

Il y a une scène qui a particulièrement retenu notre attention, c’est celle de la chambre avec Paul et Sasha. Peux-tu nous en parler plus en détail ?

Paul, c’est le premier rôle de Felix-Antoine au cinéma et c’est une totale découverte. C’est un rôle que je trouvais dangereux à caster. Enfin, disons que ça me faisait peur de trouver ce personnage là parce je l’ai un écrit comme neuro-divergeant… Or, souvent, avec les jeunes acteurs, on travaille davantage à partir de leur énergie naturelle plutôt que sur des rôles de composition. Mais lui est arrivé justement avec un rôle de composition et même avec un personnage déjà placé sur le spectre de l’autisme alors que c’était même pas indiqué dans la description du casting ! J’ai trouvé ça super impressionnant car il était hyper crédible dès le départ. Ensuite j’ai appelé Sara et Felix en call back pour voir s’ il y allait avoir une chimie entre ces deux-là et il se trouve que la scène d’audition c’était justement celle de la chambre ! Or, durant cette audition avec eux, j’ai vu le ton de mon film naître sous mes yeux. Quand je les ai appelés pour leur annoncer la nouvelle, ils m’ont avoué que tous les deux avaient eu l’impression que ça n’avait pas fonctionné parce qu’ils étaient réellement déstabilisés l’un par l’autre. Mais moi, c’est justement ce que j’ai aimé ! Après ça, la chimie s’est rapidement établie entre eux. Cette scène est un plan séquence fixe. Je voulais pas aller dans une classique scène de danse qui aurait été plus cliché. J’avais envie que les deux s’apprivoisent, que les deux aient une façon différente de bouger qui représentent leurs personnalités. Ça a demandé un vrai travail de collaboration avec les deux acteurs pour trouver tous ces petits détails là. L’erreur de débutant aurait été de se dire : « tiens cette scène là, on va l’improviser, il y a quelque chose de brut qui va en sortir » mais si j’avais fait ça, la scène aurait juste paru très longue et ennuyeuse. Au contraire, d’avoir construit cette chorégraphie en finesse avec eux ça m’a permis de travailler davantage leur personnage, de me poser beaucoup de questions. Par exemple, Felix-Antoine est arrivé avec l’idée de réagir davantage au beat de la batterie parce qu’il trouvait son personnage plus analytique et je pense que ça fait toute la beauté de la scène. Ce qui me rend surtout très heureuse c’est que, quand on a tourné cette scène-là, il n’y avait pas un bruit sur le plateau. Par la suite, les gens sont venus me voir en me remerciant et en disant « merci ça faisait longtemps que j’avais pas vécu un moment comme ça sur un plateau de tournage ». Parfois ces choses qu’on vit sur le plateau ne se transmettent pas nécessairement au spectateur, il peut y avoir comme un décalage entre ce que l’on a vécu nous et ce que les gens ressentent à l’écran. Mais finalement c’est une scène dont tout le monde me parle donc je suis contente de voir que l’émotion se soit bien transmise comme je l’espérais.

Dès tes premiers courts-métrages, on est impressionné par l’aboutissement de la direction artistique qui dessine déjà ton regard singulier. Comment as-tu travaillé cet univers visuel pour le film ?

D’abord, j’aimerais noter que je travaille avec le même chef-opérateur, Shawn Pavlin, depuis mon tout premier court-métrage. On a vraiment développé notre esthétique et notre univers ensemble. Je ne sais pas si c’est rare, mais c’est quelque chose de très précieux d’avoir des collaborateurs artistiques de longue date pour un premier long-métrage et de ne pas se sentir seule au milieu d’une nouvelle équipe. J’avais également travaillé plusieurs fois avec la créatrice de costumes du film, Kelly-Anne Bonieux, donc j’avais avec moi des collaborateurs artistiques qui connaissent mon univers et je me suis sentie vraiment bien entourée. En terme de direction artistique, j’aime jouer avec les contrastes, que ce soit les contrastes d’époque mais aussi les lieux, les banlieues un peu figées dans le temps, les espaces vastes. J’aime bien quand il y a un côté un peu kitsch avec des intérieurs assez chargés, des cadres un peu picturaux. Dans le cadrage fixe il y a quelque chose de fort, de presque étouffant pour ces personnages qui se sentent mal à l’aise et seuls. Et c’est intéressant aussi de créer le dynamisme de la mise en scène par le mouvement des acteurs et pas nécessairement par un cadre constamment en mouvement et qui étourdit. En tant que spectateur je trouve qu’il y a quelque chose d’un peu frontal dans ces types de plans, on est obligé d’être dans le malaise avec les personnages. Après, que ce soit au niveau du décors, des costumes et du maquillage, je pourrais pointer à nouveau Only Lovers Left Alive (Jim Jarmush, 2013). J’aime beaucoup les textures, les tissus, les sources de lumière très variées qui donnent un côté presque baroque. Ludovic Dufresne, le directeur artistique a fait un travail incroyable, notamment pour les scènes dans l’immense loft de Denis, la cousine de Sasha. Ludovic avait trois ou quatre jours pour monter ce décor. Quand il m’a appelé, hyper fatigué, pour dire : « Ok Ariane c’est bon tu peux venir voir ! » j’avais l’impression de me promener chez un antiquaire ! C’est ça aussi de travailler avec des collaborateurs en qui tu as confiance, c’est leur laisser cet espace de création et de te laisser surprendre parce qu’ensemble on crée quelque chose de plus grand que ce que j’avais en tête.

Une jeune femme, casque audio sur la tête, semble captivée, un peu inquiète, par quelque chose ; son visage est inondé dans une brutale lumière rouge alors que le fond est noir ; plan issu du film Les Chambres Rouges de Pascal Plante.

« Les Chambres Rouges » (Pascal Plante, 2024) © Nemesis Films inc

On serait tenté de voir une filiation entre ton projet et Les chambres rouges (Pascal, Plante, 2024), un autre film de genre québécois sorti en France cette année. En effet, les deux longs-métrages partagent une certaine esthétique gothique, voire un goût pour le désuet, l’anachronique. Est-ce que ça dit quelque chose de la culture québécoise ?

J’étais consultante au scénario sur Les Chambres rouges ! Pascal Plante est un ami, donc je crois qu’il y a une filiation de sensibilité artistique, mais qui n’est pas vraiment liée au fait qu’on soit québécois. C’est intéressant parce qu’on donne souvent des masterclass ensemble avec Pascal et lui décrit Kelly-Anne, sa protagoniste, un peu comme une figure de vampire. Je ne le savais pas du tout à la lecture de son scénario, mais ça fonctionne vraiment bien dans le film. Après, je crois que ce dont tu parles, ce côté figé dans le temps, nostalgique, ça a plus à voir avec notre époque. Il y a quelque chose de contemporain dans ce goût de la société pour le kitsch ou le rétro.

Peux-tu nous parler de ton parcours et notamment de ton passage à l’INIS, l’institut national de l’image et du son du Québec ? Il me semble que cette expérience a été importante pour toi.

Au Québec, on a ce qu’on appelle le CEGEP ce sont deux années d’études pré-universitaires, et c’est à ce moment là que j’ai découvert le cinéma. Avant ça, cela dit, j’ai toujours raconté des histoires. A l’école primaire, j’écrivais des pièces de théâtre que je montrais devant ma classe. Au lycée, j’étais en option théâtre. D’ailleurs pendant mon CEGEP je voulais faire du théâtre mais il n’y avait pas d’option, donc je me suis dit que j’allais essayer le cinéma. Je suis très multi-disciplinaire dans mon approche des choses de la vie. C’est là que j’ai découvert le cinéma de David Lynch et toute cette imagerie, ces métaphores. Le côté onirique et décalé de son cinéma m’a vraiment parlé. C’est un peu à ce moment-là qu’à commencé ma passion pour le cinéma. Après ça, j’ai fait toutes sortes de choses : design de mode, travail social, licence en communication… J’ai mis de côté le cinéma parce que je me disais que c’était trop difficile, j’y croyais pas. Je sentais que j’avais une sensibilité pour ça, mais je ne me voyais pas être celle qui allait sortir du lot. Donc je me suis plutôt mise à travailler dans la communication. J’écrivais des communiqués de presse mais je ne me sentais pas à ma place. Arrive alors l’institut national de l’image et du son. C’est une école très professionnelle, très contingentée. Il y a seulement trois profils : réalisateurs, scénaristes et producteurs et seulement quatre personnes par profils sont admis. Je me suis motivée et je me suis inscrite en scénario en me disant : « je lance ça dans l’univers ! ». J’avais pas envie de regretter de ne pas avoir tenté de raconter mes histoires. Et j’ai été prise ! Il se trouve que cette école propose un parcours de six mois donc c’est pas très long mais c’est hyper condensé. Tu ne peux pas travailler en même temps et donc tu t’engages à être 100% dédié à l’école pendant cette période. J’ai adoré ça et j’ai tout de suite senti, en écrivant mes scénarios, que j’avais envie de les réaliser. En sortant de l’INIS, j’ai fait un concours de scénario et j’ai gagné le premier prix. C’était le scénario de La peau sauvage (2016). Je me souviens que le président du jury m’a demandé s’il pouvait le réaliser. J’étais impressionné mais j’ai refusé car il fallait absolument que j’essaye de le réaliser moi-même. La scénarisation et la réalisation, ce sont deux disciplines très complètes en soi et qui ne demandent pas les mêmes aptitudes, mais pour moi c’était vraiment comme une continuité. Depuis, je n’ai jamais été capable de les dissocier. J’écris une histoire, je la visualise et il faut que je la réalise ! C’est comme accoucher d’un bébé ! Il se trouve que La peau sauvage a eu un parcours en festival assez exceptionnel pour un premier court-métrage. C’est grâce à ce film que j’ai tout de suite eu une espèce de confiance de mes pairs. J’avoue que mon parcours est un peu atypique en ce sens-là. Ça a coulé super naturellement, j’ai réussi à faire financer tous mes films. J’ai jamais eu à faire des films avec mes amis, sans argent. Donc j’ai commencé un peu dans la ouate, disons !

Deux adolescentes sont allongées face à face, en chien de fusil, dans un lit ; l'une d'entre elle pose son doigt sur le nez de l'autre ; plan issu du film court-métrage "Comme une comète" d'Ariane Louis-Seize.

« Comme une Comète » de Ariane Louis-Seize © Travelling Distribution

Qu’est-ce que tes courts-métrages t’ont apporté pour la préparation de ce premier long ?

Je ne me posais pas trop la question du long-métrage. Pour moi chaque court-métrage était l’occasion de tester des choses, de prendre des risques artistiques un peu plus grands sans la crainte des conséquences économiques ! Et puis un long, c’est plus difficile à faire financer. Donc c’était tout naturel pour moi d’enchaîner les courts-métrages. J’écrivais un scénario, je tournais le film. Pendant que j’étais en post-production, j’écrivais le film d’après que je faisais financer pendant que j’étais en tournée avec le précédent court-métrage. Ça a vraiment été un cycle qui s’est répété sans cesse. A un moment, je me suis dit que créer un court ou un long, finalement, c’est pas si différent dans la préparation. Tu dois créer un univers et c’est beaucoup de travail dans tous les cas. Pour passer au long, il a donc fallu que j’arrête de faire des courts et que je me concentre uniquement là dessus. Donc ça a été une décision très assumée et consciente. D’ailleurs, sur mes derniers courts-métrages, Les profondeurs (2019) puis Comme une comète (2020), une fois le tournage terminé, je n’étais pas si fatiguée. Un petit dodo chez moi et j’étais prête à repartir tout de suite pour un autre ! Finalement, c’est Stéphane Lafleur, un réalisateur et un scénariste que j’adore et qui a monté Comme une comète, qui m’a confirmé que j’étais prête : « ton film a un souffle de long. T’as envie de repartir tourner la suite ? » Je sentais aussi que les institutions publiques qui me financent étaient en attente de mon premier long-métrage. Donc tous les signes étaient là pour que je me fasse confiance.

Comment a été reçu Vampire humaniste cherche suicidaire consentant au Québec, mais également à la Mostra de Venise où tu as reçu un prix ?

Au Québec, il a très bien fonctionné. Il est resté dix semaines à l’affiche. J’ai eu une belle réception critique aussi. C’était super émouvant de présenter le film lors des premières québécoises, devant toute ma famille, mon équipe, des pairs, des jeunes. J’ai mis du temps à m’en remettre ! Créer ses personnages et sentir que les gens connectent avec eux, ça me fait vraiment me sentir moins seule. La Mostra de Venise, c’était quand même particulier parce que je n’avais pas encore sorti le film à ce moment-là. Je ne l’avais même pas montré à mon équipe ! J’ai gagné le Grand Prix de La giornata degli autori qui est un peu comme la Quinzaine des cinéastes à Cannes et c’était fou ! D’autant que j’étais la première femme québécoise à être sélectionnée dans cette compétition et à la remporter. C’est sûr que ça a créé une attention médiatique et une attente par rapport au film. En France, j’ai eu une belle tournée d’avant-premières. J’ai fait salle comble à Lyon, à Grenoble et dans la grande salle de 500 places de l’UGC des Halles, c’était très chaleureux. Les gens sont curieux et posent beaucoup de questions. Après on ne sait pas, un film ne fait jamais l’unanimité donc on verra, mais je crois qu’il y a un beau potentiel d’être apprécié par le public français !


A propos de Clément Levassort

Biberonné aux films du dimanche soir et aux avis pas toujours éclairés du télé 7 jours, Clément use de sa maîtrise universitaire pour défendre son goût immodéré du cinéma des 80’s. La légende raconte qu’il a fait rejouer "Titanic” dans la cour de récré durant toute son année de CE2 et qu’il regarde "JFK" au moins une fois par an dans l’espoir de résoudre l’enquête. Non content d’écrire sur le cinéma populaire, il en parle sur sa chaîne The Look of Pop à grand renfort d’extraits et d’analyses formelles. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riSjm

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