Dans ses collections d’introuvables et de raretés, Le Chat qui fume a récemment édité trois films québécois : La mort d’un bucheron et La Tête de Normande St-Onge de Gilles Carle, ainsi que Gina de Denys Arcand. L’occasion pour nous de vous plonger dans ces trips bizarres aux accents de tabarnak mais profondément ancrés dans le réel.
Je reviendrai à Montréal
Lorsque l’on parle de cinéma québécois, à qui pense-t-on instinctivement ? Xavier Dolan, Denis Villeneuve, Jean-Marc Vallée et Denys Arcand pour les plus cinéphiles d’entre vous. Et pourtant, le cinéma québécois regorge de pépites, qui ont eu, peut-être, un peu plus du mal à s’exporter, moins (su)pportées par les grandes institutions festivalières, mais qui, depuis quelques années parviennent néanmoins à se frayer un petit chemin dans nos salles art et essai. On pense notamment à Félix et Meira (Maxime Giroux, 2014), Souterrain (Sophie Dupuis, 2020), Nelly (Anne Emond, 2016), Jeune Juliette (Anne Emond, 2019), Kuessipan (Myriam Verreault, 2019) ou plus récemment Noémie dit oui (Geneviève Albert, 2022) pour ce qui est du cinéma dit “d’auteur” mais aussi quelques flèches qui ne font pas genre tels que le Turbo Kid du collectif RKSS (2015). Force est de constater toutefois que l’on ne connait que trop peu le cinéma dit “de patrimoine” québécois. Un trou béant dans notre cinéphilie que l’on peut combler depuis quelques semaines avec ces trois nouvelles sorties estampillées Le Chat qui fume, rendues possibles grâce au travail de Elephant Cinéma, qui œuvre à restaurer les productions du Québec et à encourager leurs diffusions, aussi bien localement qu’à l’international ! C’est donc trois films et deux réalisateurs qui sont mis ici à l’honneur, Gilles Carle d’abord avec La mort d’un bucheron (1973) et La Tête de Normande St-Onge (1975) tous les deux présentés à Cannes à leur époque, ainsi que Gina (1975) de Denys Arcand, connu pour avoir mis en scène, quelques années plus tard, l’immense succès Le Déclin de l’empire américain (1986).
Plus encore que vous inciter à (re)découvrir chacun de ces longs-métrages, nous ne saurions vous conseiller de les découvrir ensemble tant ces trois productions possèdent en commun un amour du genre et de ses codes, lorgnant entre le polar et le thriller psychologique. La mort d’un bucheron va suivre les péripéties de Marie Chapdelaine cherchant à retrouver son père que le spectateur verra se faire assassiner dès la première séquence. Gina est tout simplement un rape & revenge movie au fin fond d’un Louiseville enneigé, tandis que La Tête de Normande St-Onge suit une marginale dans les années 70 à Montréal préoccupée par sa mère, internée dans un hôpital psychiatrique. Dans les trois cas, le genre se nourrit de l’étrangeté et de la bizarrerie inhérente à la réalité sociale propre au Québec des 70’s : critique d’une société déstabilisée par le capitalisme, dans laquelle le patriarcat broie des héroïnes qui se retrouveront toujours abusées que ce soit sexuellement ou psychologiquement. On pourrait d’ailleurs se questionner sur la volonté de sur-sexualiser ses héroïnes, puisqu’elles se retrouvent dans deux films sur trois à devoir se produire nue sur scène pour gagner leur vie – tandis que dans le troisième, on nous fait vite comprendre que sa marginalité se prolonge également à sa sexualité. Néanmoins, cela ne fait qu’accentuer le portrait de cette classe sociale qui lutte pour continuer à payer un loyer et pouvoir se nourrir, et en cela, le traitement de ces personnages devient intéressant.
Chose encore plus étrange, dans les trois cas, le genre et ses codes ne font leur apparition que dans le dernier tiers du récit. Dans les deux premiers, les cinéastes s’essayent davantage à un portrait de classe sociale modeste, voire pauvre. Dans ce sens, la mise en scène et la direction photographique ne trouvent une véritable envolée plastique qu’à la conclusion, jouant un jeu de grand écart qui pourrait en déstabiliser plus d’un. L’autre force de ces films est d’avoir des images qui restent en tête. On pense à la séance photo de La mort d’un bucheron permettant une introspection de Marie Chapdelaine, formidablement interprétée par Carole Laure (également l’héroïne de La Tête de Normande St-Onge), mais également à son générique d’ouverture : le meurtre d’un bucheron dans un paysage enneigé. Il en est de même pour Gina et sa séquence de vengeance, clé de voûte de l’édifice narratif et que le spectateur attendra dès la fin de la séquence de viol au début du récit. Dans le cas de La Tête de Normande St-Onge, ce n’est pas tant la forme des images qui marque mais la musique de Lewis Furey qui fait des ravages et porte chaque idée de mise en scène. Étrangement enfin, malgré la francophonie, le dépaysement procuré par le Québec offre également à ces trois films une étrangeté à l’ambiance générale. On aura l’impression d’être dans un autre temps. Cela donne une immersion digne d’une fable, allié aux grains et à la photographie naturelle assez spécifiques des productions québécoises de l’époque, qui sied si bien à chacun des scénarios.
Les éditions du Chat qui fume sont une nouvelles fois riches en bonus. Ici, dans chacun des Blu-Ray, Simon Laperrière – titulaire d’un mémoire de maîtrise en études cinématographiques de l’Université de Montréal – revient sur les contextes sociaux et artistiques de la création de ses trois longs-métrages. Il faut avouer que pour nous, européens, ces bonus sont presque à écouter en avant séance afin de mieux comprendre et appréhender les enjeux et contexte social qui peuvent, clairement, nous échapper si l’on se lance tête baissée dans la découverte de ces productions. Les restaurations sont également l’une des qualités de ces éditions : l’image est superbe, le son intact … et même fournis avec des sous-titres pour ne rien rater des expressions locales ! Amateur de découvertes et d’enrichissements de cinéphilie, vous allez capoter sévère.