Vous ne l’attendiez pas ? Sony vous l’offre quand même ! Madame Web (S.J. Clarkson, 2024), que personne sinon les experts ne connaissent, déboule sur les écrans, précédé d’une réputation sulfureuse de nanar de luxe. Eh bien figurez-vous que cette réputation n’était pas usurpée…
Into the Spider-Merde
Et vous, que faites-vous quand vous passez à côté d’un accident de la route ? Vous regardez furtivement pour apercevoir un peu de sang et constater l’ampleur du dégât, avouez-le. Eh bien Madame Web (S.J. Clarkson, 2024), c’est pareil : votre serviteur n’a pas pu s’empêcher de tourner la tête et il a souhaité aller au plus près d’une catastrophe industrielle comme on n’en voit que très rarement. C’est bien simple, heureusement que Sony a pris la folle décision d’entreprendre un univers Spider-Man sans Spider-Man – le fameux Sony’s Spider-Man Universe, qui sévit en parallèle du MCU – pour nous régaler et étancher notre curiosité morbide car c’est souvent sur leur line-up que les plus gros crashs se produisent. Depuis Venom (Ruben Fleischer, 2018) jusqu’à ce Madame Web, nous aurons subi Venom : Let There Be Carnage (Andy Serkis, 2021) et Morbius (Daniel Espinosa, 2022), perdant toujours un peu plus foi en ce septième art que nous aimons tant. Chaque nouveau film est une marche supplémentaire vers des tréfonds de médiocrité, mais il serait dommage de passer à côté du plaisir régressif et rigolard que procurent les intentions cyniques de Sony. Si miser sur le personnage de Venom pouvait prendre sens – il était déjà à l’honneur dans Spider-Man 3 (Sam Raimi, 2007) – on peut se demander quelle araignée a piqué les pontes du studio pour tabler sur celui de Madame Web qui, à part pour les lecteurs du comics ou les enfants ayant grandi devant la fabuleuse série animée Spider-Man, l’homme-araignée (Stan Lee & Steve Ditko, 1994-1998), est une parfaite inconnue.
L’histoire commence dans les années 70, alors que Constance Webb explore la jungle péruvienne pour trouver une araignée spécifique. Quand elle y parvient, elle est trahie par son collègue Ezekiel Sims qui la tue et emporte l’araignée avec lui. Avant qu’elle ne meure, Constance est aidée par Las Aranas, une tribu locale, qui l’aide à accoucher et dote l’enfant de pouvoirs spéciaux. En 2003, la petite fille a grandi et s’appelle Cassandra Webb. Elle est ambulancière et commence à faire preuve de dons de voyance. Elle croise alors la route de trois jeunes femmes qui deviendront des Spider-Women traquées par Ezekiel Sims, persuadé qu’elles causeront sa mort dans un futur plus ou moins proche. Cassandra va donc aider le trio en les prenant sous son aile. Un bien long résumé pour un film qui n’en méritait pas tant, l’intrigue souffrant d’un manque cruel d’originalité et d’ambitions, doublé d’un mépris à peu près total envers le matériau d’origine et à l’adresse de son public. Car non, la Madame Web proposée ici n’a que très peu à voir avec son homologue de papier, et contrairement à ce que la promotion a essayé de nous faire croire, vous ne verrez aucune Spider-Woman. Oui, ici Sony se fout ouvertement de son audience – au cas où le douloureux souvenir de Morbius n’avait pas été assez clair – en faisant de ce Madame Web une origin story dont personne n’aura envie de voir la suite.
On pourrait s’épancher sur la laideur de l’ensemble en parlant d’effets spéciaux tout droit sortis des années 2000 que le long-métrage retranscrit – et ce dès la première apparition du peuple Las Aranas qui ressemble à s’y méprendre à une animatique du premier Tomb Raider – ou en évoquant la laideur crasse de la photographie – pourtant signée par Mauro Fiore, derrière celle d’Avatar (James Cameron, 2009) – toute en plans débullés et réglages pendant la prise. On pourrait témoigner d’un montage clipesque aux effets hasardeux ou d’une reconstitution des années 2000 se contentant de mettre un morceau de Britney Spears par-ci, par-là et un poster des NSYNC dans le fond du décor comme seule volonté de direction artistique. On pourrait même évoquer la détresse évidente des actrices et acteurs qui ne savent visiblement pas ce qu’ils sont en train de jouer – mention spéciale à Tahar Rahim dont on apprend qu’il peut être mauvais. On pourrait mentionner les faux raccords en pagailles, les incohérences scénaristiques et un climax moins prenant que celui d’Elektra (Rob Bowman, 2005). Toutefois n’est-ce pas là finalement le propre d’un nanar que de rater tout ce qui est entrepris ? C’est donc par ce prisme qu’il faut aborder Madame Web : savoir rire des intentions ratées dans les grandes largeurs et de la pauvreté globale d’une production qui espérait jouer dans la même catégorie qu’un MCU lui-même en perdition. Après tout, si Sony la joue cynique, autant l’être nous aussi !
Le studio, qui collabore avec Disney pour le personnage de Spider-Man en ce qui concerne les films en prises de vue réelles, doit composer avec l’absence de l’araignée sympa du quartier et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça commence à se voir ! On pouvait encore espérer ou trouver cela logique dans le cas des films Venom, mais comment interpréter la présence de Ben Parker dans Madame Web et la naissance hors champ d’un petit garçon que l’on sait tous être le futur Peter, comme autre chose qu’une tentative désespérée d’indiquer au spectateur le lien entre une « héroïne » dont on se fiche éperdument et le tisseur que l’on connait tous ? Le design du peuple Las Aranas, celui du grand méchant, les toiles d’araignées dans tous les coins de l’écran, tout est là pour rappeler la figure d’un héros dont la question des droits aura eu raison de l’aspect artistique. Cela fait-il du long-métrage de S.J. Clarkson un préquel de Spider-Man : Homecoming (Jon Watts, 2017) ? En a-t-on vraiment envie ? Est-ce qu’on s’en fiche ? Oui. Là où Sony réussissait brillamment à questionner la figure de Spider-Man dans Spider-Man : Across The Spider-Verse (Kemp Powers, Joaquim Dos Santos & Justin L. Thompson, 2023), pas plus tard qu’il y a un an, le studio interroge ici, involontairement, l’utilité de son absence. En définitive, Madame Web est un ratage total qui rappelle plus Catwoman (Pitof, 2004) que The Dark Knight (Christopher Nolan, 2008). Un véhicule mal conçu dont les freins ont été sabotés par Sony, et qui se plante au box-office, histoire de tuer tout espoir de reprendre une bonne tranche de rire devant les efforts désespérés de Dakota Johnson et Sydney Sweeney…