Foe : Le Remplaçant


Débarqué de nulle part sur le catalogue Amazon Prime Video, Foe (Garth Davis, 2024), sous-titré Le Remplaçant en France histoire de tout divulgâcher, constitue déjà une bonne surprise de ce début d’année. Une réussite qui, si elle n’est pas totale, doit beaucoup à ses comédiens géniaux dont l’alchimie fait des étincelles.

Un jeune couple s'embrasse sur la terrasse-veranda de leur pavillon dans le film Foe.

© Amazon Prime

Avant nous le déluge

Plan rapproché-épaule, dans un doux éclairage de clair-obscur, avec un soleil de fin de journée, sur l'acteur Aaron Pierre regardant devant lui, un interlocuteur on imagine, avec attention et quelque chose de la tristesse dans les yeux.

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Garth Davis s’est fait remarquer par Lion (2016) et Marie Madeleine (2018), deux œuvres radicalement différentes en apparence, mais qui traitent de la foi et d’une certaine idée de l’engagement. Le voir aujourd’hui s’attaquer à un film de science-fiction parait à la fois incongru et logique tant ce terrain lui est aussi éloigné comme genre qu’idéal pour développer ses thématiques. Foe : Le Remplaçant, qui raconte un futur tristement réaliste et proche de nous où des humains sont enrôlés pour conquérir d’autres territoires dans l’espace, est un sujet en or que le cinéaste aborde avec un certain sens de l’anti-spectaculaire. Si d’autres auraient choisi de suivre cette conquête au plus près, lui préfère s’intéresser aux à-côtés. Le scénario suit le couple formé par Hen et Junior et les choix cornéliens auxquels ils devront se confronter, remettant en perspective même l’existence de leur couple. Foe : Le Remplaçant fait alors penser à un épisode allongé de la série Black Mirror (Charlie Brooker, depuis 2011) qui jusque dans ses dernières saisons, continue de parler des petites histoires au milieu des changements de paradigmes de société. Ici, c’est le réchauffement climatique et l’inhospitalité future de notre bonne vieille Terre qui sert de toile de fond et nous met face à la catastrophe à venir. Mais sans jamais illustrer la terreur des populations, Garth Davis fait le portrait d’une société, et plus précisément d’un couple, ayant à vivre avec la mort sur ses épaules. Un certain nihilisme donc, que vient contrebalancer la question des sentiments, non sans une certaine émotion.

Paul Mescal se penche sur Saoirse Ronan pour lui embrasser l'épaule ; cette dernière est étendue sur le lit, en chien de fusil, et tourne le dos à son compagnon ; scène de nuit dans le film Foe.

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On s’attache donc à ces deux personnages qui occupent chaque scène de leurs atermoiements, de leurs ébats ou discussions. Saoirse Ronan et Paul Mescal, soit deux des acteurs les plus talentueux de leur génération, incarnent à la perfection ces méandres de non-dits et de ressentiments. Saoirse Ronan avec une force de conviction qu’on lui connait depuis Reviens-moi (Joe Wright, 2008), Paul Mescal avec cette douce étrangeté (re)découverte avec Aftersun (Charlotte Wells, 2022) et Sans Jamais nous connaître (Andrew Haugh, 2023). Sans trop en révéler, la palette de leurs jeux respectifs doit composer avec de nombreux retournements qui, s’ils finissent par perdre un peu le spectateur et on y reviendra, constituent autant d’épreuves pour leurs personnages que de jolies nuances d’interprétation. Aaron Pierre, qui joue une sorte d’antagoniste dans le développement de nos deux héros, compose habilement un personnage trouble venant bousculer ce couple et leurs acquis. Le tout est extrêmement bien mis en images par Garth Davis qui propose une ambiance chaude et confortable pour mieux faire s’immiscer le doute et le désagrément. En ne quittant pas ou presque l’intérieur de la maison, ce quasi huis clos joue sur le temps et les silences pour distiller à la fois le malaise et la mélancolie. De ce point de vue, le travail de Davis est une belle réussite car, contrairement à un épisode de Black Mirror par exemple, il propose une vraie mise en scène et ne se repose pas uniquement sur un concept pour tricoter une intrigue autour. Le concept est juste une toile de fond pour l’anatomie d’un couple que l’on aurait tout aussi bien pu voir dans un drame contemporain.

Un homme torse nu, les cheveux mouillés, l'air éreinté, se regarde dans le miroir, à sa droite et à sa gauche, le reflet de son épouse, qui le regarde, inquiète et interrogatrice ; plan issu du film Foe.

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Ceci étant dit, Foe : Le Remplaçant souffre quelque peu de son ambition. À force de tremper son intrigue dans une véritable langueur et un certain flou, le film se perd notamment sur la fin. Là où le cinéaste évitait de se confronter directement à son contexte futuriste, le dernier acte l’oblige à aborder frontalement la question de l’intelligence artificielle et des avatars ce qui a pour effet de nous sortir du drame et des histoires de couple de manière trop abrupte et de nous rappeler au postulat de départ. L’étrangeté y est toujours présente voire décuplée, mais le retournement final joue contre les ambitions de départ du réalisateur. Alors le long-métrage retombe sur des rails beaucoup plus standardisés et n’assume plus vraiment son parti pris. Et si c’est paradoxalement dans cette partie que le jeu de Paul Mescal prend tout son sens, on ne peut s’empêcher de nourrir quelques regrets sur ce qu’aurait pu être Foe : Le Remplaçant avec une meilleure conclusion. Reste que ce long-métrage constitue une belle surprise pour une production Prime Video, qu’il offre de belles compositions visuelles et nous ne sommes pas prêts d’oublier l’alchimie totale entre Saoirse Ronan et Paul Mescal, ni les élans romantiques que Garth Davis orchestre. Il y a du David Lowery chez ce cinéaste qu’on est impatient de retrouver sur de prochains projets.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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