De mémoire, on a rarement vu un projet aussi attendu, craint, conspué avant même la diffusion des premières images voire même avant le premier tour de manivelle. Vous l’aurez compris, Fais Pas Genre se plonge à corps perdu dans Blade Runner 2049 et va tenter de savoir si le film est une véritable catastrophe industrielle ou si il est à la hauteur du chef-d’œuvre original de Ridley Scott.
Les Androïdes rêvent de moutons électriques
1982 : le monde voit sortir Blade Runner de Ridley Scott. Adaptation du roman « Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » de Philip K. Dick, le troisième film du papa d’Alien (1979) qui va alors marquer l’histoire du cinéma à jamais. Car oui, c’est indéniable, il y a un avant et un après Blade Runner. L’influence du film est telle qu’il est devenu un mètre étalon allant même jusqu’à créer un sous-genre – le film noir de science-fiction – dont on peut déceler l’influence dans pléthore de films, mangas, comics, jeux vidéos – l’excellent Snatcher (1988) de Hideo Kojima en est un très bon exemple – et j’en passe. L’idée d’offrir une suite à cette œuvre culte – grâce au marché de la vidéo et aux divers montages du film que l’on a vus sortir jusqu’en 2009 – tout en conservant la patine, la texture, le visuel mais surtout l’onirisme et le vertige métaphysique sous jacent au récit de ce blade runner, (sorte de privé traquant des androïdes renégats dans un monde pluvieux et détruit, préfiguration de notre ère) pouvait juste apparaître, au bas mot, totalement saugrenue voire même prétentieuse ou carrément effrayante pour toute une fan-base très protectrice de l’oeuvre originale. Qu’allons-nous voir ? Qu’est-ce qui sera gardé ? Comment continuer l’histoire ? Après Prometheus (2012) où Scott nous proposait de retourner dans un autre univers mythique de la science-fiction qu’il avait mis en images quelques années avant, le trouillomètre a atteint des sommets. L’annonce de l’arrivée de Denis Villeneuve (grand fan du film de Ridley Scott) à la réalisation a peut être calmé un peu les tensions mais ce serait un doux euphémisme de dire que l’on était curieux de voir ce que le réalisateur de Sicario (2015) et de l’excellent Premier Contact (2016) allait nous pondre.
Et bien le résultat peut être exprimé de la manière suivante : Blade Runner 2049 est un choc ! Villeneuve s’engage dans la voie toute tracée de l’hommage à l’oeuvre matricielle sans pour autant délivrer une débauche de fan-service racoleur. Mieux : le réalisateur parvient à faire sien le matériau d’origine et y insuffler des thématiques qui lui sont propres et chères comme le rapport à la filiation, à la perte d’identité ou encore à la violence et, par la même occasion, à développer le propos du film de 1982 à la lumière de notre temps. Villeneuve n’hésite pas à jouer sur un tableau plus frontal avec une représentation du sexe et une violence très maîtrisée mais jamais ridicule, toujours au service d’un propos et du récit tout en exploitant de manière intelligente sa classification Rated-R. Une vision intéressante qui replace la science-fiction dans un contexte plus mature mais néanmoins jamais vulgaire. L’autre aspect intéressant est la manière dont le monde, que dis-je, “l’univers” de Blade Runner est ici retranscrit. Si le premier film interrogeait entre autre notre humanité – qu’est-ce qui fait de nous des humains ? – mais aussi notre rapport au monde environnant au point d’être perçu comme prophétique sur certains aspects du développement de notre société contemporaine, ce second volet en prend le chemin. Villeneuve, dans une quasi absence de manichéisme, nous dépeint un monde tout aussi chaotique qu’en 2019 – et c’était déjà pas la joie ! – où, en trois décennies, le monde a été ravagé par de nombreuses catastrophes naturelles, la pénurie de nourriture a vu émerger une nouvelle forme d’agriculture à base d’insectes, les réplicants sont devenus hors de contrôle et n’ont jamais été autant traqués et conspués même si, paradoxalement, de plus en plus sont crées sur les cendres de la Tyrell Corp. Le réalisateur de Enemy (2013) se fend aussi d’un discours questionnant nos rapports à la technologie au détour de dialogues et de scènes jouant habilement sur les apparences, mais aussi avec la théorie de la vallée, dérangeante comme une scène de « préliminaires » où une intelligence artificielle se synchronise à un être humain en vue d’une partie de jambes en l’air. La puissance du film vient également de son traitement des personnages. Villeneuve parvient à créer une galerie de personnages complexes et porteurs des thématiques du film où les rapports entre eux mais aussi entre humains et réplicants ne sont jamais fixes. Le réalisateur de Prisoners (2013) parvient même à relancer le débat – malgré le côté « définitif » de la réponse de Scott lors de la sortie du Final Cut – sur la nature de Deckard à l’aide de dialogues bien pensés. Bon, le débat à savoir si le personnage de Harrison Ford – en grande forme je dois l’admettre – est un humain ou un réplicant, lance aussi une interrogation tout autre : à partir de quelle version Villeneuve a t-il construit 2049 ? Mais nous allons laisser cela pour plus tard voire même réserver ledit débat pour la section « commentaires ». Villeneuve ne se contente pas de recréer des personnages dans un univers bien défini et connu mais parvient aussi à les rapprocher de la nouvelle et, plus largement de l’œuvre de Philip K. Dick, les plongeant littéralement dans des questionnements existentiels et identitaires chers à l’auteur de Ubik ou de Loterie Solaire.
Il faut également parler de la direction artistique du film. Attention, accrochez vos ceintures, ouvrez grand les yeux et préparez-vous. L’image de Roger Deakins est tout simplement sublime. Tout est d’une précision folle voire quasi irréelle, rendant compte du monde, de l’atmosphère, des textures. L’image accompagne et sublime la mise en scène tantôt contemplative, tantôt brutale de Villeneuve. Les effets spéciaux se marient à la perfection aux décors et sont sensiblement mieux pensés en terme d’interactions avec l’architecture et la population que les effets comme les immenses pubs holographiques de Ghost in the Shell (Rupert Sanders, 2017). Le réalisateur met les mains dans le cambouis et va chercher la beauté et l’émerveillement dans les endroits les plus insolites, à la recherche de la moindre pépite, d’« un miracle » dans toute cette destruction. Mais il faut aussi saluer le travail sur la bande sonore assez remarquable – bien que parfois trop forte dans les salles de cinéma – rappelant celle de Premier Contact dans sa précision et sa richesse et aussi noter l’apport non négligeable à l’ambiance générale du film de la musique co-signée par Hans Zimmer et Benjamin Wallfisch. Ayant la (très) lourde tâche de succéder au score de Vangelis – véritable joyaux musical pour les fans de science-fiction mais aussi pour les aficionados de musiques électroniques – les deux comparses délivrent une musique cohérente, une bande originale pétrie de son illustre passé – ou du moins de l’appréciation qu’on lui porte – qui n’est pas qu’un simple hommage.
Fuyant les carcans hollywoodiens classiques, Villeneuve parvient avec Blade Runner 2049 à proposer une suite aussi intéressante que le premier film sans pour autant tomber dans le respect béat de son aîné, telle une lettre d’amour grotesque, nostalgique et vide. Bien au contraire, le cinéaste se ré-approprie l’univers en y insufflant sa propre vision au détour d’une mise en scène audacieuse et radicale, ressuscitant le souvenir d’une science-fiction adulte et sombre. Un très bon film à défaut d’être un chef-d’œuvre car au final, seul le temps pourra donner ses lettres de noblesse à cette œuvre ou voir ce moment de cinéma se perdre en lui, comme des larmes dans la pluie.
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