Au rayon des nombreuses productions de science-fiction américaines réalisées en pleine Guerre Froide, Le Blob (Irvin S. Yeaworth Jr. , 1958) est peut-être l’une des plus mythiques. ESC ressort ce mois un Blu-Ray somptueux qui propose de remettre en lumière l’une des créatures les plus inattendues et surprenantes du genre.
L’Attaque de la Gelée anglaise Géante
Les années cinquante marquent, à bien des égards, des charnières considérables et multiples dans l’histoire du cinéma de genre(s) américain. En premier lieu, l’arrivée triomphale du large format offert par le Cinemascope a incité les studios à miser la carte aventureuse de films aussi majestueux que possible, donnant la part belle aux péplums, aux comédies musicales et aux westerns, ce dernier genre trouvant alors dans la largeur du Scope, une occasion de magnifier les grands espaces de l’Ouest. Parallèlement, le film noir, fleuron de l’industrie cinématographique américaine des années 40, bat de l’aile jusqu’à son chant du cygne sublime que fut, dit-on, La Soif du Mal (Orson Welles, 1958). Plus encore, se cristallise à cette époque de Guerre Froide, une production qui capitalisera sur cette peur de l’atome et d’une guerre nucléaire imminente : le cinéma de science-fiction. Ainsi, la radioactivité et ce qu’elle peut supposément faire à un corps humain devient l’une des angoisses générationnelles principales, transfusée dans des œuvres telles que L’Homme qui rétrécit (Jack Arnolds, 1957) tout autant que l’invasion d’êtres venus d’ailleurs révélant la crainte existentielle de la découverte d’une vie extraterrestre dont on commence à se soucier depuis 1947 et l’événement survenu à Roswell, et tout autant que celle de l’invasion du « rouge » ou du « bolchevik » qui devient l’ennemi numéro un des Etats-Unis en dehors et sur l’écran. A ce titre, Le Blob (Irvin S. Yeaworth Jr. , 1958) s’inscrit totalement dans cette mouvance bien qu’il puisse surprendre en faisant œuvre d’une certaine ironie d’entrée de jeu, avec un générique presque parodique, qui semble ricaner de se savoir manier des codes de la série B et toutes les représentations sous-jacentes.
L’histoire commence auprès d’un jeune couple incarné par le duo Aneta Corsaut et Steve McQueen – qui démarre alors tout juste sa carrière débutée en 1956 dans un film de Robert Wise intitulé Marqué par la Haine – qui sont témoins de la chute d’une météorite. Un vieillard du coin qui a vu aussi ce cailloux de l’espace s’écrouler non loin de chez lui se rend sur les lieux et se fait contaminer par un organisme gluant qui lui enserre la main et semble vouloir l’assimiler jusqu’à le gober entièrement. Ce que l’on nommera donc Le Blob – qui n’est pas à confondre avec le Blog, qui dans certains cas peut aussi être un organisme gélatineux, on ne donnera pas d’exemples – se met alors en chasse et engloutit tout être vivant qu’il trouve sur son chemin. Le monstre mythique qui en découle, une espèce de gelée anglaise géante qui semble davantage représenter métaphoriquement une invasion de la gastronomie anglaise qu’une attaque communiste – bien que le Blob soit rouge et cela n’est certainement pas un choix anodin – a largement contribué à la postérité de ce film et a imposeéson monstre éponyme comme l’une des créatures les plus mythiques (parce qu’aussi assez… étonnante) de l’histoire du cinéma.
Si le long-métrage se laisse apprécier comme la série B qu’il est – il ciblait le public des Drive-In, en plein âge d’or à cette époque – il amuse aussi par l’évidente distance qu’il place vis à vis de lui-même. Comme dit plus tôt, le film donne ses clés de lecture dès son générique chanté, décalé, qui sent bon la comédie. En cela, Le Blob est peut-être intéressant à contextualiser comme l’une des toutes premières productions à jouer la carte d’une comédie s’amusant des codes d’un genre, dans une démarche qui flirte par moment avec la parodie. On ne s’étonnera pas alors de le voir se terminer dans une scène à rebondissement avec un « The End ? » conclu d’un point d’interrogation, qui sonne autant prophétique – la solution trouvée pour se débarrasser du Blob étant de le congeler dans les mers de l’arctique : on est donc pas dans la merde… – qu’il n’apparaît aussi comme un pied de nez amusé à la franchisation déjà en vogue à l’époque dans la série B. Un point d’interrogation prophétique aussi, en un autre sens, parce que le film donnera en effet lieu à plusieurs suites et remake au fil des années, du plus que parodique Beware ! The Blob (1972) réalisé par Larry Hagman – il s’agit bien du mythique J.R de l’inénarrable série Dallas (1978-2012) – à un remake plus craspec et gore réalisé par Chuck Russell en 1988, en passant par une ré-interprétation grecque totalement what the fuck avec le désormais célèbre L’Attaque de la Moussaka Géante (Panos H. Koutras, 1999).
Le Blob s’offre une très belle édition combo DVD et Blu-Ray, agrémentée d’un livret signé Marc Toullec. Tout cela est assemblé dans un petit écrin soigné, habillé du rouge vif du monstre. Le contenu s’il n’est pas foisonnant est néanmoins sérieux, avec notamment un riche entretien de quinze minutes avec Gilles Diment. La copie restaurée est somptueuse et magnifie l’éclairage si caractéristique des tournages en studio de l’époque – l’image est signée Thomas E. Spalding – à condition d’être sensible à son charme désuet. Du côté du son, vous aurez le choix entre une version 5.1 anglaise très propre où le doublage français datant de la resortie du film dans les salles de l’Hexagone en 1977. Si cette version n’est disponible qu’en stéréo, elle permet pour les plus anciens de re-convoquer les bons souvenirs de la voix française indissociable de Steve McQueen qui est celle du très bon Jacques Thébault.