Meurtre dans un jardin anglais


Jeu de faux semblants sur fond de lutte des classes, Meurtre dans un jardin anglais (1982), le film de Peter Greenaway ressort dans une très belle édition Blu-Ray signée Le Chat qui fume, qui semble vouloir réhabiliter ce long-métrage trop souvent ignoré… Une magnifique copie restaurée en 4K où brille un film fondamentalement pictural. Ça tombe bien !

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Le Jardin des Sévices

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De Peter Greenaway, on ne sait pas grand-chose. Du haut de ses 81 ans, le cinéaste britannique s’est essayé à plusieurs médiums parmi lesquels le cinéma tient une place de choix – il a réalisé une bonne vingtaine de long-métrages et autant de courts – mais il est aussi à l’origine de plusieurs expositions et installations d’œuvres plasticiennes, ou encore des sites internet à portée artistique. Un touche-à-tout qui se rapproche tout bonnement de l’artiste contemporain par excellence. De ses premiers essais filmiques en forme d’hommages à la peinture flamande à ses derniers travaux où il éprouve les limites de la 3D, Greenaway semble avoir une obsession : explorer les moindres possibilités de l’image, de ses lignes et de sa profondeur. Parfois au détriment du récit, l’exploration picturale fascine et c’est tout le sujet de Meurtre dans un jardin anglais, son deuxième film, sorte de croisement, à première vue, entre Blow Up (Michelangelo Antonioni, 1966) et Barry Lyndon (Stanley Kubrick, 1975). Dans ce film, Peter Greenaway explore la composition d’image comme jamais à la faveur de son (anti)héros Neville, un peintre aux origines modestes, qui est choisi par la riche famille Herbert pour dessiner douze dessins du domaine de Compton Anstey au XVIIe siècle. Le contrat passé entre le peintre et la femme d’un monsieur Herbert que l’on ne reverra jamais, et pour cause, comprend un accord de chair où Neville et Mme Herbert s’adonneront au sexe. Neville semble se réjouir de cette impression d’emprise sur cette famille, symbole de la classe dominante qu’il exècre. Un meurtre, celui de M. Herbert donc, vient gripper la machine et les dessins de Neville seront comme autant de pièces à conviction…

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Difficile de s’attaquer à cette critique tant Meurtre dans un jardin anglais est difficilement descriptible et relève de la quasi abstraction par moments. Le film de Peter Greenaway pourrait donc être vu comme une itération de Barry Lyndon dont il reprend le cadre britannique et le sujet du choc des milieux sociaux. Comme le chef-d’œuvre de Kubrick, Meurtre dans un jardin anglais adopte une mise en scène à l’élégance folle, tout en plans larges et compositions picturales. Mais le récit est plus intimiste, plus resserré et la tournure du long-métrage l’éloigne de ce modèle. On pense également à Blow Up donc, en espérant presque une partie de Cluedo résolue grâce aux images du peintre. Mais très vite le film se joue de cette fausse bonne idée pour partir dans une autre direction. En fait, Meurtre dans un jardin anglais ne ressemble à rien d’autre, et c’est ce qui le rend parfois compliqué à aborder. Dès son introduction, mêlant gros plans où l’aristocratie anglaise nous est montrée dans tout ce qu’elle a de plus répugnant et dès les panneaux de titres, on est déconcerté. La perfidie est illustrée dès les premiers photogrammes et le spectateur n’y est pas préparé. Il y a quelque chose qui relève du malaise et de l’inconfort et Greenaway se sert rapidement de Neville comme d’une bouée de sauvetage pour son auditoire. En suivant son parti, le récit prend devient une critique sociale assez mordante, notamment grâce à des dialogues plutôt savoureux, même si ce peintre à l’impolitesse caractérisée peut parfois sembler aussi antipathique que ceux dont il entend profiter. Cette mise à distance entre le spectateur et le personnage principal – que le cinéaste a surement souhaitée comme telle – participe à la dislocation du récit. Plus les personnages s’enlisent dans de petites luttes intestines concernant un drap, des bottes ou une échelle, plus le spectateur est acculé et dans un inconfort que ne saurait contrebalancer des cadrages symétriques et rassurants.

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Nous l’évoquions, Meurtre dans un jardin anglais déroule une mise en scène ample où les protagonistes évoluent comme les pions qu’ils sont sur un échiquier fait de lignes et de cases. Par instants, nous perdons notre regard dans l’outil de perspective de Neville pour y découvrir des cadres dans le cadre ; la caméra offrant un plan large tandis que le mesureur optique propose une seconde valeur de plan plus rapprochée. Le cinéma n’ose pas toujours cette déconstruction du plan, et Greenaway puise dans toute l’imagerie de Vermeer, notamment, pour transposer ce travail dans son œuvre. Et le rapprochement entre l’image animée et la peinture peut également se faire quant à l’immobilisme caractérisée des corps dans ces espaces : cadres fixes, frontaux où les personnages semblent poser pour un tableau. La force de ces plans larges, immobiles, longs et foisonnants est de noyer le regard du spectateur dans un déluge d’information et donc d’impuissance. La méthode artistique employée par Neville est répétitive et martiale, comme la fréquence des rapports sexuels entre lui et Mme Herbert, désincarnés et froids, ce qui participe à cette déshumanisation. Au final, ni les lieux ni ceux qui le peuplent ne sont vivants, comme figés sur dessin ou par des carcans sociaux, des perruques et atours inamovibles. La mise en scène de Greenaway est donc au diapason d’un propos parfois trouble avant son dernier acte, millimétré et ordonné comme un mouvement symphonique. Car le final révèle à la fois la clé du meurtre dans ce jardin mortifère mais aussi une impasse pour tous les protagonistes. Le jeu de dupes se referme ainsi sur tous et surtout sur M. Neville qui croyant maitriser les autres, sera pris à son propre piège.

Blu-Ray du film Meurtre dans un jardin anglais édité par Le Chat qui Fume.C’est donc un film important et assez fascinant que nous propose de redécouvrir Le Chat qui fume. Dans une copie 4K restaurée pour l’occasion, il brille de mille feux dans toute sa richesse colorimétrique. La photographie de Curtis Clark est brillamment restituée tandis que les nombreux bonus proposés en marge du film enrichissent et éclairent parfaitement sur le travail du cinéaste et des comédiens, dont on n’a peu parlé, mais qui livrent une prestation exemplaire, Anthony Higgins en tête. Pour finir et ne rien gâcher au plaisir, le documentaire The Greenaway Alphabet (Saskia Boddeke, 2017) vient nous présenter un cinéaste que l’on ne connait pas assez. Un coffret d’excellence de plus dans le désormais vaste catalogue de l’éditeur vidéo, qui continue à enchaîner les “belles prises”. 


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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