Le Cercle Infernal


Dans une décennie marquée par un renouveau du cinéma d’épouvante américain, entre L’Exorciste (William Friedkin, 1973) et Halloween, La Nuit des masques (John Carpenter, 1978), quelques productions européennes auront su se faire une place de choix dans le cœur des amateurs de pelloches horrifiques. C’est le cas de ce Cercle infernal (Richard Loncraine, 1977), porté par la grande Mia Farrow, qui ressort cet été dans une belle édition Blu-Ray UltraHD signée Le Chat qui fume.

Plan rapproché-taille, issu du film Le cercle infernal, sur Mia Farrow, assise sur un vieux fauteuil dans un fauteuil sombre, qui observe en notre direction avec un regard fantomatique.

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Ghost in the Cercle

Mia Farrow regarde le reflet de son interlocuteur dans le miroir, d'un air proche de la folie, avec un étrange sourire absent, dans le film Le cercle infernal.

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Si la promotion du Cercle infernal a longtemps joué sur la filiation avec Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968), c’est plus par la simple présence de Mia Farrow que par un quelconque autre lien entre les deux œuvres. Bien sûr les deux productions traitent chacune à leur manière la figure maternelle et d’une entité démoniaque, mais là où Polanski s’appuyait sur toute une imagerie liée au satanisme, Richard Loncraine, dont c’est ici la première incursion dans le genre, aborde la chose sous un angle beaucoup plus intimiste et anti-spectaculaire en se limitant à la seule présence fantomatique. Moins torturé et halluciné que Rosemary’s Baby, Le Cercle infernal est donc une œuvre à aborder autrement que par le prisme du jeu des comparaisons. Dans une démarche toute anglaise, Loncraine, dont la carrière éclectique n’atteindra jamais plus cette maitrise, prend le temps, dose ses effets et s’appuie essentiellement sur les partitions de ses talentueux comédiens. Le film raconte l’histoire de Julia qui, alors qu’elle prend son petit-déjeuner avec Magnus son mari et sa fille Kate, assiste impuissante à l’étouffement mortel de cette dernière. Traumatisée et hospitalisée, elle décide de fuir son mari pour vivre son deuil dans une maison qu’elle achète, aidée par son meilleur ami Mark. Peu à peu, elle sent une présence surnaturelle auprès d’elle et décide d’enquêter pour en savoir plus sur cette maison… Clairement le récit ne fait pas dans l’originalité en reprenant tous les poncifs du film de maisons hantées – on a le droit pêle-mêle à l’enfant flippant, au jouet inquiétant, aux objets qui tombent à droite à gauche et à la séquence de spiritisme. Mais le film se distingue sur deux aspects : la puissance du hors-champ et son point de vue narratif orienté sur la question du deuil. Ce que le long-métrage ne montre pas – qu’il s’agisse de l’esprit hantant la maison ou du passé des uns et des autres – agit clairement comme un stimuli pour le spectateur. La mise en scène appuie à merveille cette idée que nous ne sommes pas obligés de tout voir pour en saisir l’effroi, les jeux de miroirs ou les différents non-dits sont savamment dosés et maitrisés. La petite enquête que mène le personnage de Mia Farrow permet de connecter les différents tenants et aboutissants qui ne font, finalement, que surligner le fait que l’intérêt se trouve ailleurs, dans un propos sur l’affliction.

Keir Dullea tend un miroir sans cadre à Mia Farrow qui se mire avec un grand sourire, au pied de l'escalier menant à l'étage de leur maison ; plan issu du film Le cercle infernal.

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Le Cercle Infernal traite donc du deuil de Julia, qui doit dépasser le traumatisme de la mort soudaine de sa fille pour se reconstruire en tant que femme, loin de son mari et de l’emprise des hommes. On suit alors toutes les étapes que l’on imagine inhérentes à la perte d’un enfant : l’errance, la solitude, les rêves ou hallucinations, etc. Le film prend le temps de dérouler ce récit de rétablissement quitte à mettre de côté son versant horrifique, mais dans un joli équilibre, son réalisateur arrive à faire cohabiter ses deux ambitions. C’est là, peut-être, que Le Cercle infernal se démarque des autres productions de l’époque par son visage plus européen de l’épouvante où l’horreur n’existe que par la puissance du drame initial. Ainsi, le long-métrage se repose énormément sur le talent de ses interprètes. On retrouve notamment Keir Dullea, échappé de 2001, L’Odyssée de l’Espace (Stanley Kubrick, 1968) ou le formidable Tom Conti aperçu dernièrement en Albert Einstein dans Oppenheimer (Christopher Nolan, 2023). Ces derniers jouent deux facettes de la masculinité entourant le personnage de Julia, bienveillante ou toxique. Julia, quant à elle, est campée par Mia Farrow qui déploie son jeu tout en retenue teintée d’étrangeté. La voir s’emparer à ce point de son personnage nous rappelle la grande actrice qu’elle est et le gâchis immense qu’aura été sa deuxième partie de carrière, empêchée par son combat contre Woody Allen. D’ailleurs, rétrospectivement, il est toujours fascinant de contempler Mia Farrow dans ce genre de rôle de mère chamboulée quand on sait les luttes qui sont les siennes aujourd’hui et les drames qu’elle a pu vivre. Ou quand la réalité vient renforcer la fiction… Au-delà de ses comédien.ne.s, le film bénéficie d’une mise en scène sobre et élégante que la patine du temps aura indéniablement bonifiée ! En refusant tout effet horrifique vu et revu, il évite donc le kitch des clichés démodés. On pourra regretter une résolution un brin décevante compte tenu des promesses mises en place au fur et à mesure, ou encore une bande originale trop fonctionnelle voire même aux fraises par moments. Mais ces aspects n’occultent jamais les réussites d’une production qui gagne à être (re)découverte en 2023…

Blu-Ray du film Le cercle infernal édité par Le Chat qui Fume.Dans cette optique, l’édition toute fraîche du Cercle infernal par Le Chat qui fume est une bénédiction ! Le film a profité d’une superbe restauration en 4K qui offre des plans d’une grande beauté, notamment dans les séquences obscures. Précis et riche en termes de couleurs, ce remaster justifie à lui seul de se jeter sur la galette ! Vous y trouverez également de jolis bonus avec quelques interviews des membres de l’équipe et du réalisateur, puis surtout, une belle analyse de l’œuvre par Vincent Capes. Une opportunité incroyable de donner une nouvelle chance à ce long-métrage trop souvent déconsidéré par rapport aux classiques du fantastique des années 70.


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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