Les récentes sorties à une semaine d’intervalle de Ma (Tate Taylor, 5 juin 2019) et Greta (Neil Jordan, 12 juin 2019) nous ont donné envie de les associer dans un billet d’humeur sur la figure maternelle dans le genre horrifique. Ou comment deux mauvais films nous poussent à en savoir un peu plus sur cet archétype…
Le Mal de Mère
C’était dans la toute relative chaleur du début du mois de juin – souvenez-vous, quand l’air était respirable et le mercure en-dessous des 30°C – et, armé d’une bouteille d’eau, je cherchais une salle obscure pour étancher ma soif de bons films, ayant déjà bu jusqu’à la dernière goutte Parasite (Bong Joon-ho, 2019) mais ayant été un peu sec avec The Dead Don’t Die (Jim Jarmusch, 2019)… Se dressant devant moi, les deux lettres rouges Netflix du nouvel arrivage Blumhouse, MA (Tate Taylor, 2019) sentaient la bonne affaire : un thriller horrifique potable qui ferait bien mon plaisir. Au mieux, on nous servirait un chef-d’œuvre type Get Out (Jordan Peele, 2017), sinon un très bon divertissement sauce Happy Birthdead (Christopher Landon, 2017) ou, au pire, une franche et inoffensive rigolade adolescente telle Action ou vérité (Jeff Wadlow, 2018). Puis, quelques mètres plus loin, les visages de marbre de deux actrices que tout oppose m’intriguaient également, celui d’Isabelle Huppert ayant fait ses preuves chez Chabrol et Haneke dans le genre grinçant, derrière celui de Chloë Grace Moretz, passée par quelques décevants remakes tels Carrie, la vengeance (Kimberley Peirce, 2013) et Suspiria (Luca Guadagnino, 2018). C’en était décidé, Ma et Greta (Neil Jordan, 2019) seraient au programme !
Disons-le d’emblée, les deux productions n’ont rien d’exceptionnel, et il faudra repasser pour trouver de quoi se repaître de bonnes idées. Cependant, il était frappant de voir que les deux scénarios tournaient – sans jamais, hélas, l’atteindre… – autour de la figure maternelle, personnage-type bien connu de l’horreur car puisant ses sources dans les anciens contes de fées. En effet, tout le monde se souvient de son effroi quand nous regardions, petits et impuissants, la méchante marâtre vouloir tuer Blanche-Neige –comme quoi, Disney avait sûrement tout compris du cinéma d’horreur, voir pour s’en convaincre notre article intitulé 10 scènes d’horreur dans les films Disney – ou la belle-mère de Cendrillon punir sadiquement la jeune orpheline. Jung, Bettelheim, von Franz et bien d’autres nous ont déjà touché deux mots de cet archétype nécessaire à la construction de l’enfant, afin qu’il puisse y projeter toute sa colère et son agressivité en gardant l’image de sa mère intacte. Il n’est donc pas surprenant que le cinéma d’épouvante se soit emparé de cette figure puissamment évocatrice : si la mère devient un être malfaisant, alors le dernier rempart de protection s’effondre et plus rien ni personne n’est sûr. Lorsque celle que l’on appelle en dernier secours ne répond plus présente, vous n’avez plus grand-chose à quoi vous raccrocher. Dans les deux films qui nous intéressent, il est question d’une mère de substitution. Dans Ma, Sue Ann (Octavia Spencer) va vite se faire appeler par le diminutif « Ma » par les jeunes du lycée, lorsqu’elle entreprend de jouer les mamans cool en leur achetant de l’alcool et en hébergeant leurs soirées dans sa cave. Quant à Greta, dont le personnage éponyme est interprétée par Isabelle Huppert, il s’agit d’une véritable psychopathe tendant des pièges aux jeunes filles pour les attirer chez elle et refermer son emprise psychologique (puis physique) sur ces pauvres enfants. Frances (Chloë Grace Moretz) tombera dans le panneau à cause de son déséquilibre émotionnel lié à la disparition brutale de sa propre mère. En plein deuil, elle verra en Greta une mère de substitution… qui se montrera plus sadique que bienveillante.
L’écueil principal dans lequel tombent ces deux longs-métrages est de vouloir trop expliquer les causes psychologiques des deux « mères folles ». C’est particulièrement vrai dans Ma, dont on peut se poser la question de qui est le personnage principal : la jeune lycéenne Maggie, dont la relation à sa propre mère reste trouble et trop fusionnelle, ou précisément Sue Ann alias « Ma », dont le trauma adolescent constitue la clé de voûte de toute sa personnalité ? Les flash-backs précoces sont d’une lourdeur explicative sans pareil, si bien qu’on comprend dès le premier quart du récit tous les enjeux du personnage, dont notre ressentiment ambivalent va ternir tout le reste du visionnage. Supposée porter l’horreur et l’angoisse, « Ma » va devenir objet de sympathie devant ce qui se révèle être [attention spoiler] un acte de vengeance [fin du spoil]. Dès lors, on ne peut complètement la détester, et donc complètement en avoir peur. Quant à Greta, la caractérisation outrancière du personnage d’Isabelle Huppert peine à convaincre. N’est pas Norman Bates qui veut. Pour finir en beauté sur la paresse (ou la peur de l’incompréhension) scénaristique, on assistera même à une explication psychanalytique de comptoir de la part de la colocataire de Frances : « C’est parce que tu trouves en elle la mère qui te manque » … Merci, on n’avait pas compris. Dès lors, on est en droit de se poser la question de savoir s’il est possible de faire un bon film d’horreur/d’épouvante/thriller autour de ce personnage-type plutôt réservé au conte ? On pense évidemment à l’évocateur Mama (Andrés Muschetti, 2013), même si à l’époque, notre rédaction ne l’avait pas trouvé si exceptionnel que cela, malgré l’enthousiasme général des festivaliers de Gérardmer… Vient ensuite le fabuleux Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968), même si le traitement de folie de Mia Farrow fait d’elle une mère obsédée par la sécurité de son enfant. Et bien sûr, l’implacable Psychose (Alfred Hitchcock, 1960) dont le rapport à la mère, s’il n’est que brièvement exposé, n’en reste pas moins fondamental dans la construction psychologique d’un des personnages…
Mais on peut également aller chercher parmi les personnages secondaires du répertoire de l’horreur pour y trouver d’affreuses mamans : de Margaret White, mère de Carrie dans Carrie au bal du diable (Brian de Palma, 1976) ; en passant par Beverly Sutphin, dans un registre plutôt comique dans Serial Mother (John Waters 1994) ; et enfin, la très gore Vera Cosgrove, envahissante marâtre zombifiée dans Braindead (Peter Jackson, 1992). Dans un registre plus doux cette fois, Coraline (Henry Selick, 2009) offre une vision de la maternité (et plus généralement de la filiation) du point de vue des plus jeunes. Utiliser l’angoisse relative à l’ambivalence d’un personnage de mauvaise mère est donc possible, encore faut-il savoir comment le composer. La nouvelle production Blumhouse passe à côté de son sujet en voulant faire d’Octavia Spencer une figure d’épouvante tout en s’évertuant à justifier chacun de ses faits et gestes, ce qui rend le personnage trop crédible pour être véritablement anxiogène – et ce ne sont pas les deux trois jump scare glissés maladroitement en début de film, comme un aveu d’impuissance, qui rattraperont le coup. Greta ne fait guère mieux en basculant d’une moitié de film étrange assez intéressante à un survival des plus classiques et sans surprise. Une fois qu’il ne fait plus de doute que Greta est folle à lier – pour le personnage, le spectateur ayant souvent trois tours d’avance dans ces cas-là – l’intrigue devient un jeu du chat et la souris sans aller plus loin dans l’arc dramatique des personnages. Re-Greta-ble… D’autant plus regrettable que certain(e)s psychanalystes contemporaines redonnent sa dignité à la « marâtre » dans une société où les familles recomposées deviennent plus une norme que l’exception. Dans Le Complexe de la Marâtre de Catherine Audibert, l’auteure compare la situation d’une Cendrillon, dont la mère, morte, est objet de fantasme d’amour et de perfection avec celle des enfants actuels, dont la mère, divorcée, existe toujours bel et bien. Si bien que l’ombre de la mère plane constamment sur la nouvelle famille et ne peut donc faire de place à la belle-mère, quand bien même cette dernière se mettrait en quatre pour se faire une place. Retournement de situation, changement de paradigme. À quand un film résolument moderne avec une belle-mère (vraiment) gentille et une mère (vraiment) méchante ? Pas en juin 2019 en tout cas.