Comme chaque année apporte son lot de reprises de All I Want For Christmas Is You de Mariah Carey ou d’autres tubes de Noël, le cinéma de genre a fait du recyclage une seconde nature : on poursuit notre calendrier de l’avent sanguinolent avec une critique du premier remake de Black Christmas (Bob Clark, 1974), réalisé en 2006 par Glenn Morgan.

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Ce que je ne saurais voir

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Les années 2000 auront une saveur spéciale sur le cinéma de genre. Avec le recul qui nous est aujourd’hui permis, deux dizaines dans les dents, on peut tabler que cette décennie aura fait preuve d’une richesse particulièrement significative en ce qu’elle a, comme signe d’un nouveau millénaire, bousculé l’industrie ou de manière pérenne ou de manière plus court-termiste. Le plus court-termiste – tant mieux, d’aucuns diront, plus ou moins hélas selon l’auteur de ces lignes – c’est la vague de la French Frayeurs, entamée avec Haute Tension (Alexandre Aja, 2004), poussée à balle par Frontières (Xavier Gens, 2007), A l’intérieur (Alexandre Bustillo & Nicolas Maury, 2007) ou Martyrs (Pascal Laugier, 2008) entre autres. Mouvement sauvage qui s’écrasera pour plusieurs raisons (lire notre article Pourquoi le cinéma de genre français est-il si mauvais ?) mais qui aura le mérite d’avoir montré à certains les prétendues erreurs à ne pas faire. De ce qui s’est avéré pérenne, on note la véritable apparition et l’impact du cinéma sud-coréen suite notamment aux coups de poings critiques Old Boy (Park Chan-wook, 2003) et Memories of Murder (Bong Joon-ho, 2003). Plus tristement, c’est aussi lors des années 2000, après le succès de Massacre à la tronçonneuse (Marcus Nipsel, 2003), que la mode des remakes va prendre son envol dans une récurrence industrielle sans commune mesure avec la façon dont le cinéma de genre a toujours joué avec son histoire et ses aïeux jusque-là.
Tous les plus grands classiques, en particulier des seventies, ont eu le droit à leurs refabrications avec plus ou moins de réussite artistique – il y a une béance d’intérêt filmique entre le Halloween (2007) de Rob Zombie, véritable tentative d’un auteur, et le Vendredi 13 (2009) de Marcus Nipsel, insipide concentré de shaky cam vide de sens, quand Alexandre Aja fait carrément mieux que son modèle sur beaucoup d’aspects de La Colline a des yeux (2006). Hollywood affamé n’a toutefois pas pu se limiter aux classiques – par essence, ils sont peu – et a vite dû jeter son dévolu sur des modèles plus modestes au moins sur le plan de la notoriété, surtout en ce qui concerne les slashers : Le Bal de l’horreur (Nelson McCormick, 2008) reprend le film éponyme de Paul Lynch en 1980, Meurtres à la Saint-Valentin 3D (Patrick Lussier, 2009) l’initial Meurtres à la Saint-Valentin de George Mihalka (1981), Blood Camp (2008) remake de Massacre au camp d’été (1983), ici tous deux chapeautés par le même cinéaste, Robert Hiltzik… Alors quid, du modeste classique, qu’est Black Christmas (Bob Clark, 1974) ? Il va y avoir le droit aussi « grâce » à Harvey Weinstein et Dimension Films, qui se sont fait des couilles en or avec la saga Scream (1996- ?)… Et ça a son importance.
Glenn Morgan, l’auteur-réalisateur de ce remake de Black Christmas sorti en 2006, opère, c’est à son crédit, une véritable ré-écriture du projet original. Il garde le contexte de la sororité étudiante, groupe de jeunes filles réunies pour les fêtes de fin d’année, qui va subir les assauts d’un tueur caché dans leur résidence ; il conserve la mécanique des appels téléphoniques menaçants, qui finiront par trahir aux pourchassées que leur bourreau est littéralement chez elle depuis le début, et qu’il cache les cadavres dans la propriété ; il préserve enfin l’humeur dérangée de l’assassin, qui semble avoir de gros problèmes avec la féminité. Mais en parallèle, il opère une succession de variations d’importance variable, allant du pivot référentiel – cette séquence où au lieu d’être planqué dans le grenier tout au long du récit comme dans le film de 1974, le tueur se cache et épie sous les pieds, dans le sous-sol – à l’innovation scénaristique majeure qu’est de décrire la personnalité et le passé du tueur, tout à fait inconnus chez Bob Clark. Ici, le taré est Billy, dont l’histoire nous est contée par une série de flash-backs : issu d’un couple plutôt toxique, il assiste au meurtre de son père par sa mère et son beau-père, qui « l’élèveront » en le tenant prisonnier dans le grenier. Accessoirement, sa mère viendra copuler avec lui, et il en naîtra une fille-sœur incestueuse, que Billy, le jour où il se vengera et tuera sa mère et son beau-père, épargnera avant d’être embarqué par les services psychiatriques – dont il s’est échappé au début du long-métrage pour commencer ses massacres. Ce background, choix discutable pour ceux qui apprécieront le mystère du film original, permet au moins au spectateur qui aura envie de faire marcher ses méninges de s’aventurer dans une interprétation œdipienne de la perversion du tueur, arracher les yeux de ses victimes. Car souvenez-vous qu’Œdipe se crève les yeux, après la découverte de son union contre-nature avec sa mère… Donnée mythique surprenante au sein d’une telle production.

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Au-delà de ces points et de sa générosité graphique – le film est plutôt corsé en termes de gore pour un slasher grand public ; Morgan essaie de s’amuser avec sa caméra, sans être d’un grand élan créatif ; la photo est particulièrement travaillée, gorgée de jaune et de rouge – Black Christmas souffre des clichés du néo-slasher, variation de genre lancée par un Scream premier du nom (1996) bien plus malin que ses suiveurs. De la bande son orchestrale entendue mille fois ailleurs, utilisée pile là comme on l’attend, à une caractérisation des personnages inerte, stéréotypée en diable, et un jeu d’acteurs plutôt incertain, le remake 2006 est une tentative de faire passer une partie de la dynamique du film de Clark à travers le tamis du cinéma de genre post-Scream voire Destination Finale (cette scène où une protagoniste meurt carrément par malchance, et non tuée par le sadique). C’est-à-dire, à sa façon, aussi marquée dans son temps que ce que l’on peut reprocher aux slashers décérébrés des années 80, ceux qu’on ne regarde plus que par nostalgie… Et peut-être que 2006 est encore trop proche pour cela, actuellement.