Joe Dante fait partie de cette génération de réalisateurs, de l’équipe Spielberg, qui ont été les fleurons du cinéma populaire et grand public des années ’80 à ’90, ayant façonné des symboles de culture pop pour toute une génération. Si Steven Spielberg et certains de ses camarades en sont devenus des pontes, des producteurs puissants, le cas de Joe Dante est encore plus particulier. Ce Gremlin d’Hollywood, mauvais garçon par excellence, s’est vu refermer au nez les portes des studios qui lui doivent pourtant la plupart des gros succès des années ’80. Et si la disparition de Joe Dante de la sphère hollywoodienne allait donc foncièrement de paire avec la disparition d’un certain type de cinéma sur nos écrans?
The New Batch
Avant la sortie en salle de Gremlins en 1984, personne ne croit au capital succès du film. Les studios n’y voient qu’une idée un peu idiote. Steven Spielberg, lui, même s’il aime le film, ne l’envisage qu’en tant que petit film d’horreur destiné à lancer sa boîte de production. Joe Dante, de son côté, accepte son premier film de commande pour Hollywood. S’il effectue le job comme il se doit, il n’imagine pas alors que le film va le propulser comme l’un des réalisateurs les plus appréciés du public. Le succès du film est tel qu’il provoque un véritable électrochoc chez les majors. C’est la grosse surprise. Le raz de marée Gremlins redessine en seulement quelques mois les contours d’Hollywood, devenant l’un des blockbusters les plus cultes de sa génération. On détermine souvent le phénomène Les Dents de la Mer (1975), comme le premier blockbuster de l’histoire du cinéma. Ce qualificatif qui définit le film « populaire » encore aujourd’hui a pourtant, en 2012, bien changé de sens, on l’utilise même plutôt péjorativement. Dans les années ’80, le blockbuster n’était pas qu’une bombe à retardement commerciale programmée pour exploser au bon endroit, et sur les bonnes personnes. La plupart de ces blockbusters d’époque sont ancrés dans la postérité, et font partie de la mémoire populaire collective tandis que les films à qui on alloue ces qualificatifs aujourd’hui sont souvent des films à gros budget et à gros spectacle, aussi vite sortis qu’oubliés et remplacés, alors que certains films de l’époque ont littéralement marqué et défini une part de l’histoire du cinéma.
Les blockbusters de Steven Spielberg et consorts témoignaient d’une volonté de plaire aux spectateurs tout en leur proposant des films de qualité. Le consumérisme par essence lié à l’industrie cinématographique – fonctionnant sur le schéma simple de l’offre et la demande – était sous-jacent, assumé, mais pas prioritaire. C’est d’abord parce que les gens qui faisaient ces films étaient eux mêmes des spectateurs, des cinéphiles, des conteurs. Là, où, en 2012, les faiseurs d’Hollywood se sont transformés en des techniciens sans âme et sans point de vue. Le cinéma d’alors étaient un cinéma fait par des grands gosses. Des enfants à barbe, des adultes n’ayant jamais grandi. Aussi, lorsqu’ils filmaient leurs histoires – parfois merveilleuses, parfois terrifiantes – c’était toujours avec le regard d’un adulte qui voit le monde avec des yeux d’enfant. Le cinéma de Joe Dante en est une des meilleures représentations, tant les enfants sont au centre de ses histoires, de Explorers (1985) jusqu’à Small Soldiers (1998), sans oublier de citer aussi d’autres films, d’autres cinéastes, Les Goonies (1985) de Richard Donner ou E.T (1982) de Spielberg. Si ce cinéma mettait le plus souvent les enfants en vedette, ils étaient parfois adultes, ces gosses: des adultes qui refusent de grandir, des grands gamins qui font joujou. Prenons les exemples de Retour vers le Futur (1985) ou de SOS Fantômes (1984), tous ces films transparaissaient d’une même énergie pour l’enfance, et d’un amour irrationnel envers cet esprit enfantin. C’était un cinéma destiné à tout le monde, certes, mais qui parlait aux enfants comme à des adultes, et aux adultes comme à des enfants. Si tout le monde s’y retrouvait, c’était spécifiquement parce que ce cinéma ne ciblait personne en particulier; il ciblait tout le monde. Une équation pas si évidente que ça si l’on jette un œil à ce que Hollywood en a fait. L’équation d’aujourd’hui a oublié des retenues, et passe presque à chaque fois à côté d’une des matrices du cinéma qu’est son universalité. Les films pour enfants qui inondent de nos jours les salles, rejettent les parents au statut d’accompagnateurs, résignés à dormir pendant la séance. Quant aux films « pour les grands », ils sont tout bonnement immontrables aux plus jeunes.
La transformation n’a pas attendu dix ans pour être effective. Entre temps, c’est l’émerveillement étrange qui s’est perdu, à mesure que l’étrange est devenu monstrueux. Aujourd’hui, tous les films de monstres ou d’aliens, plutôt que de traiter de rencontres, d’émerveillements, de découvertes d’un ailleurs, de découvertes de l’autre, se transforment en films apocalyptiques dans lesquels, pour la survie de l’humanité, il devient nécessaire de massacrer les envahisseurs dès leur première apparition hors du vaisseau. Et ce n’est pas la peur qui a grandi: c’est la notion du toujours plus spectaculaire. Même s’il a rectifié le coche depuis, Steven Spielberg avait lui même représenté la fin d’un cycle avec sa version très noire de La Guerre des Mondes (2005), à mon sens l’un de ses films les moins réussis, tant le maître y a gommé toutes les touches de charme de sa vision de grand enfant. Même Jurassic Park (1993) témoignait encore, malgré ses scènes d’horreur, d’une certaine vision enfantine émerveillée. C’est d’abord parce que le Spielberg adulte y semblait vouloir parler de ses peurs et fascinations de gamin – et quel gamin n’a pas joué avec des petits dinosaures? – au contraire de La Guerre des Mondes dans lequel il semble plutôt représenter une peur beaucoup plus mature sans prendre parti du côté des enfants. Ce film est donc à mon sens la définition même de cette métamorphose d’Hollywood et de son invasion par des esprits trop adultes. C’est aussi une sortie de route incontrôlée et maladroite du maître, qui a laissé déborder une partie de sa filmographie sur l’autre. Sa Guerre des Mondes, c’est donc un peu comme la mauvaise idée de lier l’esprit d’émerveillement de Rencontres du Troisième Type (1977) avec celui beaucoup plus sombre de La Liste de Shindler (1993). Mais malgré tout, Steven Spielberg reste le plus digne défenseur de ce cinéma d’alors et puisqu’il est aujourd’hui devenu l’un des plus puissants nababs d’Hollywood, accordons-lui toutefois d’avoir produit et sollicité plus que souvent la défense de cette idée de cinéma universel, en continuant de produire des films familiaux et émerveillés, dans l’esprit des films de l’époque qui apparaissent le plus souvent comme des ovnis dans le ramassis indigeste des films d’actions violents et bêtes que l’on sert aujourd’hui aux plus jeunes. Il reste donc un brin d’espoir, je pense bien sûr à Attack the Block (2011) de Joe Cornish ou encore plus à Super 8 (2011) de J.J Abrams, même s’il faut constater qu’à sa sortie, le film a été accueilli comme un « film hommage », comme s’il était acquis qu’il ne serait qu’une anecdote pour rappeler un cinéma déjà bien enterré et révolu.
L’hybridation entre les films pour enfants et pour adultes s’est donc totalement perdue. Si j’ai vu des films d’horreur lorsque j’étais petit, c’est d’abord parce qu’on m’a donné le droit d’en voir, ou plutôt, la possibilité d’en voir. Ce « on », c’est le Hollywood d’alors, et c’est Joe Dante et ses Gremlins, par exemple. Voilà le film idéal pour illustrer ce cinéma révolu. Derrière cette comédie populaire et familiale destinée à plaire « à toute la famille, petits et grands » se cache un brûlot politique, une satire sociale forte, et un goût outrancier pour les jeux de massacre horrifiques, qui forgent l’enfance à la brutalité de la vie, en douceur, tout en amusant l’adulte par sa double lecture. Les ressorts de cette manière de faire sont éparses, tout au long des années 1990, mais beaucoup moins présents aujourd’hui. Les dernières comédies d’horreur familiales notables ont déjà plus de dix ans d’âge. Des films comme Mars Attacks! (1996) de Tim Burton, Fantômes contre Fantômes (1996) de Peter Jackson, Jumanji (1995) de Joe Johnston, Men in Black (1997) ou justement – encore et toujours – Joe Dante avec Small Soldiers (1998) sont les derniers vestiges sur lesquels on détecte quelques codes de ces films des années ’80 sans être déjà dans l’hommage.
Aujourd’hui, les comédies d’horreur ne sont plus familiales. Si elles sont drôles, elles ne le sont que par des ressorts gores et outranciers: more sex, more gore, more trash. Les enfants qui aiment tant se faire peur n’ont plus de films qui sont fait pour eux en ce sens. Cette analyse quant à la modification de la démographie de la production hollywoodienne permet à mon avis de comprendre une bonne partie de la métamorphose de certains rapports à l’image constatés dans notre société contemporaine. Nul besoin d’un diplôme de sociologie pour démontrer que le rapport à l’image, et plus encore, à la représentation de la violence, a totalement changé lors de la dernière décennie. L’absence de comédies d’horreur destinées aux enfants fait donc se retourner les jeunes en quête de frissons vers les productions d’horreur à leur portée. Il ne faut donc pas s’étonner si des jeunes enfants à l’aube de leur dix ans, regardent déjà du torture porn et s’en délectent. Des films comme Saw ou Hostel sont des best-sellers dans les collèges! C’est une génération qui a grandi avec les images de l’effondrement des Twin Towers en boucle, et à qui on a montré Nuit et Brouillard (1955) dès la primaire. Cela en a fait une génération totalement désensibilisée à la représentation de la souffrance, plus encore, immunisée à tous ces traumatismes, puisqu’ils sont acquis. Lorsque l’on pense que leurs parents furent choqués par L’Exorciste (1973), Cannibal Holocaust (1980) ou le Salò (1975) de Pier Paolo Pasolini… Montrez-leur ces films: à côté de ceux qu’ils ont l’habitude de voir, ces trois brûlots sont des Walt Disney ! Et que dire de Gremlins, sinon qu’il les fera, au mieux rire « parce que c’est trop mal fait », et au pire changer de disque pour plus de voyeurisme malsain, de masturbation des yeux, devant ce sous-cinéma d’horreur dont ils se délectent désormais. Le débat autour de cette mode du torture porn mériterait un article seul, mais il reste intéressant d’appuyer ce constat, de cause à conséquence, vis à vis de la disparition de ces films qui ont fait les générations de jeunes cinéphiles que nous sommes. Pour ma part, je m’effraie moi même en pensant: mais quelle génération de cinéphiles nous suivra? J’ai la réponse: une génération de Gremlins. Nous, on les regardait passer dans le mixeur, avec nos yeux de mogwaïs semi-effrayés/semi-amusés, mais eux se sont bel et bien transformés. C’est désormais eux-mêmes qui actionnent le mixeur, le doigt sur le bouton. Ils regardent les films dans leur posture, ricaneurs, non pas devant l’horreur, mais devant la torture la plus inhumaine qui soit, et à laquelle on les fait participer. Oui. Il se pourrait bien que ce soit ça, la « nouvelle génération » de Gremlins.
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