[Entretien] Alexandre Poncet, sur le Phil


Depuis sa plus tendre enfance, Alexandre Poncet est un amoureux des monstres et des effets spéciaux. Il l’a prouvé en prêtant sa plume à la revue Mad Movies mais depuis 2009, avec son comparse Gilles Penso, il s’est lancé dans l’aventure du documentaire. Après Ray Harryhausen – Le Titan des effets spéciaux (2011) et Le Complexe de Frankenstein (2016), il nous présente son dernier bébé, Phil Tippett : Des rêves et des monstres. On revient avec lui sur sa rencontre et son rapport avec ce dernier représentant d’un artisanat perdu, grand magicien de la stop motion – l’animation image par image – concepteur d’une vraie galerie de créatures magistrales et symbole de tout un pan de l’histoire des effets spéciaux.

Le réalisateur Alexandre Poncet pose entre deux squelettes de maquettes - un dinosaure et un gorille sur un socle - pour son documentaire sur Phil Tippett.

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Ça ne tenait qu’à un Phil

Débutons avec votre passion pour les monstres et les créatures. On l’imagine, tout ça doit remonter à l’enfance. Racontez-nous vos premiers chocs cinéphiliques en termes de monstres.

Ça a commencé assez tôt. J’ai vu un extrait de Jason et les Argonautes (Don Chaffey, 1963) avec ma grand-mère. J’étais très jeune, je devais avoir cinq ans. C’était le fameux extrait du combat contre les squelettes, et je n’avais jamais vu un truc pareil. En réalité, à quatre ans j’ai vu Le Retour du Jedi (Richard Marquand, 1983) en salle. Ça m’a laissé une impression très forte mais j’étais très petit et je n’avais pas vu les précédents. J’ai gardé des images mais je n’ai rien compris au film concrètement. Le deuxième film que j’ai vu au cinéma, c’était Taram et le chaudron magique (Richard Rich et Ted Berman, 1985). En fait, ça m’a beaucoup plus porté. J’ai découvert la saga Star Wars un peu plus tard à la télévision, et là j’ai tout de suite compris que c’était totalement un univers pour moi. (rires) Ensuite, je n’aurai jamais dû voir ça à cet âge-là, mais à huit ans j’ai vu Robocop (Paul Verhoeven, 1988). C’était une projection en plein air, dans un camping avec mes frères, et là, ça a changé ma vie. C’est-à-dire que j’ai vu cette créature, l’ED-209, ce robot géant qui m’a bluffé. Et même tout le parcours dramatique de Robocop m’a vraiment impressionné. Je pense que j’aimais déjà à l’époque le film pour les mêmes raisons qu’aujourd’hui, sauf qu’aujourd’hui je peux mettre des mots dessus. En tout cas, entre Le Retour du Jedi et Robocop, j’ai été très tôt bercé par l’art de Phil Tippett qui œuvrait sur ces deux films.

Robocop 2 (Irvin Kershner, 1990), même s’il n’est pas au niveau de l’original, a permis à Phil Tippett de pousser encore plus loin les effets spéciaux que dans le premier.

Les effets spéciaux de Robocop 2, c’est le summum de la stop motion en tant qu’effet visuel au cinéma. Je pense qu’on n’a jamais fait mieux. Même le climax de Robocop 2, qui est presque entièrement réalisé par Phil Tippett, est totalement hallucinant. Encore aujourd’hui, on regarde le premier Iron Man (Jon Favreau, 2008) par exemple qui montre aussi un combat entre deux robots en milieu urbain, et bah c’est vraiment petit joueur à côté de Robocop 2. Ce qu’ils ont fait à l’époque était complètement dingue !

Alexandre Poncet pose devant trois maquettes modèle réduit dans l'atelier de Phil Tippett.

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On a parlé de votre passion pour les monstres qui s’est réveillée très jeune, est-ce ce qui vous a poussé à entrer dans le journalisme ? Parce que vous officiez depuis un bon moment chez Mad Movies, un peu l’endroit rêvé pour parler de monstres, d’horreurs et de créatures.

Tout ça, c’est lié encore une fois à Robocop ! (rires) Le premier Mad Movies que j’ai eu entre les mains, c’est le numéro 51. J’étais très jeune, c’était un de mes grands frères qui l’avait acheté. C’était un numéro spécial Avoriaz, et aussi, comme articles, il y avait untexte sur Star Tek 4 : Retour sur Terre (Léonard Nimoy, 1988) et un autre sur Robocop. C’est la première fois que j’ai vu des photos de Robocop et je me suis dit, “qu’est-ce que c’est que ce truc ?”. On voyait des photos de Murphy avec le bras arraché qui se fait attaquer par les méchants, donc c’était complètement fou ! Je me suis dit, je veux voir ce film. J’étais déjà attiré par ce genre d’univers quand j’étais gamin sans être un psychopathe, j’espère. (rires) Donc, assez tôt, je me suis mis à lire Mad Movies. Ma grand-mère devait me donner vingt ou vingt-cinq francs à l’époque. J’étais allé dans un kiosque dans mon village de sept cent habitants, il y avait un bar malfamé qui vendait des magazines. Je suis allé voir quel magazine je pouvais acheter, et je suis tombé sur la couverture du Mad Movies N°74. Il y avait une photo d’Evil Dead 3 : L’Armée des ténèbres (Sam Raimi, 1992) en couverture. J’avais déjà vu Evil Dead 2 (Sam Raimi, 1987) avec mes frères, plus grands que moi, donc je regardais avec eux tout ce que je n’avais pas le droit de regarder. Mes parents étaient totalement irresponsables ! (rires) Donc j’ai acheté ce magazine, et je n’ai plus arrêté de l’acheter par la suite. Et quand j’étais gamin, je rêvais de faire du cinéma, mais aussi d’écrire dans Mad Movies.

Des rêves qui se sont réalisés

Exactement. Je suis chez Mad Movies depuis 2006, donc ça commence à faire un bail. Quatorze ans ! (rires)

Vous avez pu assister à une belle évolution en termes d’industrie du fantastique et d’utilisation des effets spéciaux. Depuis vingt ans, on a vu que le cinéma fantastique est presque devenu la norme à Hollywood. Peut-être pour le pire, plus que pour le meilleur

Oui, maintenant c’est devenu la norme ! Avant ce n’était pas la même chose, c’est-à-dire que c’était presque un sous-genre. Maintenant, quand on regarde les magazines grands publics, finalement le sommaire pourrait être un sommaire de Mad Movies. Parfois, parce qu’il y a beaucoup de films fantastiques qui sont mainstream. Et c’est vrai qu’on se retrouve à avoir un genre assez générationnel. Ceux qui aimaient ça quand ils étaient gamins maintenant sont devenus adultes et décident aussi de ce qui se produit. Mais c’est vrai que ça s’est complètement démocratisé. Pour le meilleur ou pour le pire, je n’en sais rien. Je trouve qu’il y a encore des choses formidables qui sont produites et réalisées. Robert Egger, par exemple. C’est un cinéaste qui peut être vu comme pédant, mainstream. Moi je trouve ça absolument formidable. Tout comme Ari Aster. Tout le monde n’aime pas mais moi, j’ai beaucoup aimé ses deux films – Hérédité (2018) et Midsommar (2019) – et même ses courts-métrages qui sont assez barrés aussi.

Par ailleurs, vous avez cofondé le site Frenetic Arts, ce qui vous a permis de faire vos premières expériences dans la réalisation avec notamment The Incredible Horror Show (une émission dédiée à l’horreur et au gore sous toutes ses formes). Est-ce que ces premiers pas dans la réalisation vous ont permis d’arriver aujourd’hui à faire du documentaire ?

En fait, j’ai fondé Frenetic’s Art avec deux amis vers 2007. Ça devait être un site d’actualités de cinéma, jeu vidéo, bandes dessinées, etc. Mais, j’ai fait rajouter dans les statuts “production audiovisuelle”, parce que je voulais développer des bonus DVD, etc. On en a fait quelques-uns très tôt, notamment pour le DVD d’A l’intérieur (Alexandre Bustillo et Julien Maury, 2007), des choses comme ça. On avait pas du tout le matos. Mais, on a fait cette émission sur No Life (chaîne de télévision axée sur la culture geek, ndlr), qui n’a pas duré très longtemps. C’était amusant à faire, mais le diffuseur ne nous donnait aucun moyen ! (rires) Et à un moment, il faut savoir dire stop avant de faire quelque chose qui n’est pas terrible. En revanche, j’ai rencontré Gilles Penso au festival Gérardmer en début 2009.

Gilles Penso qui officiait alors en tant que critique et journaliste pour la revue L’écran fantastique.

Tout à fait ! Il avait eu une société de production, il fut un temps, qui produisait des émissions pour Disney Channel. Il a réalisé plusieurs documentaires sur Louis de Funès ou Le Splendid et il a écrit pour le magazine SFX. Il a écrit un livre absolument formidable sur la stop-motion au début des années 2000 (Stop-motion : l’animation image par image dans le cinéma fantastique, 2002) et il est en train de faire une nouvelle version de ce livre qui va sortir en fin d’année, si tout va bien. Le bouquin est beaucoup plus dense qu’avant, mieux mis en page et je pense que ça va devenir une sorte de modèle dans le domaine des publications sur l’animation et la stop-motion. Quoiqu’il en soit, j’ai rencontré Gilles en 2009 à Gérardmer et il m’a expliqué qu’il essayait de monter un documentaire sur Ray Harryhausen depuis des années. Il avait enregistré et filmé avec sa société de production une interview de Ray où il brassait absolument toute sa filmographie. Et personne ne voulait le produire. Sa société de production à lui s’était effondré quelques temps plus tôt, et moi je lui ai dit, “écoute, j’ai lancé ma société de production, je cherche depuis un moment un projet qui puisse la faire passer au niveau supérieur et sincèrement, je rêve de faire un documentaire sur Ray Harryhausen”. Donc, on s’est associé. Ça a duré quatre ans et de fil en aiguille, d’aventures en aventures, on a eu un documentaire qui a eu une portée internationale, qui a été adopté par la fondation Ray Harryhausen et on est même devenus amis avec Ray Harryhausen. C’était assez surréaliste ! Donc, Frenetic Arts s’est lancé. Là, le site internet n’est plus Frenetic Arts, ça s’appelle Regard Critique maintenant. On s’est séparé avec Nathanaël (Bouton-Drouard) qui a gardé le site et moi, je ne m’occupe plus que de la société de production.

Si l’on considère les trois films – Ray Harryhausen : Le titan des effets spéciaux, Le Complexe de Frankenstein et Phil Tippett : Des rêves et des monstres – comme une trilogie, on peut dire que c’était parfait de débuter avec le maître Ray Harryhausen.

En fait, on n’a jamais envisagé de faire une trilogie. Débuter par Ray Harryhausen, pour nous, c’était déjà une fin en soi. Même si on ne gagnait pas de quoi se rembourser les frais, dans l’hypothèse où on ne gagnerait pas un euro dessus, c’était déjà une victoire de rendre hommage à Ray Harryhausen ! Parce que c’est quelqu’un qui a inspiré absolument tous les cinéastes qui sont aujourd’hui mainstream, tous les cinéastes qui pour ma génération ont été importants : Spielberg, Cameron, Peter Jackson, Tim Burton, Terry Gilliam, etc. C’était vraiment important de remettre les points sur les “i”, de replacer dans l’histoire du cinéma comme un totem. Et ça a fonctionné. Ensuite, du parcours du documentaire à travers le monde, est né Le Complexe de Frankenstein.

Dans Le Complexe de Frankenstein vous revenez sur cent ans de créatures au cinéma. Vous parlez notamment des mutations numériques dans l’industrie des effets spéciaux qui ont été aussi douloureuses que révolutionnaires. Ainsi, poursuivre avec un film sur Phil Tippett, c’est un enchaînement logique puisque Tippett symbolise cette transition numérique. Aussi, peut-on dire que Phil Tippett est en quelque sorte le dernier représentant de l’art de Ray Harryhausen ?

C’est le descendant direct, l’héritier. S’il y avait une figure à isoler après Le Complexe de Frankenstein, pour nous c’était Phil Tippett. Le Complexe de Frankenstein raconte déjà en filigrane son histoire. Parce que Phil devient en fait le symbole, l’allégorie, de la transition vers le numérique. Au milieu du Complexe de Frankenstein, il y a une sorte de climax avec Jurassic Park (Steven Spielberg, 1993) où l’on raconte tout le parcours intime de Phil Tippett en coulisse, où il a vu clairement son art disparaître. Il a dû s’adapter aux outils numériques et au nouvel Hollywood des années 90/2000. Alors, le problème quand on attaque juste après à un documentaire sur Phil Tippett, c’est qu’on a déjà raconté cette histoire d’une certaine façon. On est obligé d’inclure ça dans le nouveau documentaire, donc il faut trouver un nouvel angle.

Comment avez-vous fait pour trouver ce nouvel angle ?

Eh bien, on a fait un p’tit peu à la Rashõmon (Akira Kurosawa, 1950), c’est-à-dire qu’on a pris la même intrigue mais on l’a regardé d’un autre point de vue. Il y a un personnage primordial dans le documentaire sur Phil Tippett, c’est sa femme, Jules Roman, qui est la présidente de Tippett Studio, qui est une artiste et une femme forte. C’est elle qui a débloqué la situation à l’époque de Jurassic Park. Et il y’a un autre personnage très important, Dennis Murren, qui était déjà dans Le Complexe de Frankenstein mais qui cette-fois est montré beaucoup plus comme l’ami proche de Phil Tippett. Il y a un triangle qui s’opère entre Phil, Dennis et Jules qui éclate presque au moment de ce qu’il se passe dans les coulisses de Jurassic Park. Donc ça, c’était un point de vue assez différent pour raconter l’histoire. On a pu regarder les choses de façon plus intime, aborder la musique aussi différemment.

Phil Tippett assis dans son atelier à côté de deux maquettes de tyrannosaures taille réduite.

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En plus, c’est vrai qu’on a souvent tendance à pointer Dennis Murren comme le Diable, si on exagère un peu. Alors qu’à la base, ils formaient tous une petite bande. Ils ont toujours été proches depuis leur première collaboration sur Star Wars (Georges Lucas, 1977).

Ils sont toujours très proches, d’ailleurs. Ils sont toujours les meilleurs amis du monde et se rejoignent très régulièrement pour aller manger des hot-dogs là où ils en mangeaient il y a trente ou quarante ans. Leur amitié a survécu à Jurassic Park parce qu’en fait, Dennis Murren avait raison. A un moment, ça allait se produire. Cette révolution devait arriver. Et la stop motion, en tant qu’effet spécial, devait s’arrêter. C’était écrit à l’avance parce que, toutes les techniques d’effets spéciaux ont été inventées pour palier à des problèmes, pour répondre à des problématiques spécifiques au scénario. Si une créature doit bouger, et bien il faut trouver une manière de la faire bouger. Si on n’a pas l’outil numérique, l’ordinateur, il faut trouver une autre manière de le faire. Et la stop motion a permis de faire bouger en plan large des marionnettes et de les incruster dans des images. Le problème c’est que ça prend du temps et que ça peut coûter cher. Quand on a des images de synthèse, celles-ci sont “photo-réalistes” – entre guillemets parce qu’un dinosaure de Jurassic Park ne sera jamais photo-réaliste, c’est quoi qu’il arrive une image fantastique – et crédibles. La technologie est arrivée à un point où elle devient de moins en moins chère au niveau du rendu. Les producteurs vont donc logiquement vers ce qui est le plus installé et ce qui est le moins cher. Evidemment, certaines technologies old school comme les animatroniques peuvent coûter moins cher dans certaines circonstances. Avec une marionnette, on peut tourner plusieurs plans, les avoir directement et ensuite, on ne va pas y revenir en post-production. Mais il faut que la marionnette fonctionne bien…

C’est vrai qu’à l’époque, ça devait parfois être casse-gueule comme pratique.

Oui, parce qu’à chaque fois on jonglait avec les limites de la technologie ! Une marionnette pouvait avancer et ensuite avoir un problème de cerveau-moteur, s’enrayer, et puis il fallait couper le plan au montage ou le recommencer, etc. C’est compliqué tout ça. C’est une logistique, il y a quinze opérateurs autour donc plus de gens autour des acteurs. Il y a une distance entre le réalisateur et l’acteur. Certains réalisateurs vont aussi dire qu’il y avait une proximité avec la créature. Le réalisateur peut mettre en scène sa créature, il la voit. Les acteurs réagissent à la créature. Donc, il y a plusieurs écoles qui s’affrontent. Personnellement, je préfère toujours qu’il y ait quelque chose sur le plateau. C’est plus organique, même si ça ne fait pas forcément vrai. C’est Matt Winston, le fils de Stan Winston, qui a dit, “une image de synthèse ça peut être parfait mais ce n’est pas vrai parce que ça vient de l’ordinateur, un costume à la Godzilla ça fait faux mais c’est vrai, c’est sur le tournage”. C’est un peu paradoxal, mais on sent que c’est là. On sent qu’il se passe quelque chose devant la caméra, on répond à l’artisanat.

Ceci explique peut-être toutes ces réserves qu’on peut avoir sur l’industrie d’aujourd’hui, avec tous ces blockbusters super-héroïques. Quand on compare ça à l’industrie du divertissement des années 80, on observe quand même un grand écart.

Oui, mais pas seulement des années 80. Il suffit de comparer Avengers : Infinity War (Joe et Anthony Russo, 2018) et le Spiderman 2 (2004) de Sam Raimi. Ce dernier c’est avant tout une comédie dramatique avec un super-héros et un super-méchant qui sont l’un et l’autre extrêmement touchants. Il y a peu de scènes d’actions mais elles sont incroyablement mémorables, elles sont resserrées. Les enjeux intimes qui sont posés tout au long du film éclatent pendant les scènes d’action. Vraiment, ce sont ces enjeux-là qui nous font suivre les scènes d’action. Ce ne sont pas les scènes d’action qui interrompent l’histoire. Dans Infinity War il y a une scène où les héros sont sur une autre planète et il y a Thanos qui fait exploser une lune rien qu’en serrant le poing. Il avance son poing et il y a des débris de la lune qui sont projetés vers la planète et donc vers les gentils, et les gentils s’en sortent ! Donc, à partir de ce moment-là, je suis complètement déconnecté. C’est-à-dire qu’on peut tout faire, mais ce « tout » ne m’intéresse plus.

Phil Tippett au travail, dans son atelier, sous un éclairage intense par des projecteurs.

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Revenons à Phil Tippett. Comment est-ce que vous dériveriez sa personnalité ?

C’est vraiment quelqu’un d’unique avec un talent extraordinaire. Très torturé, très drôle, mais très taciturne en même temps. C’est un vrai artiste, contrairement à beaucoup d’autres. Et lui, d’ailleurs, a du mal à se voir comme un artiste ! Il se voit comme un artisan, mais je pense que c’est réellement un artiste. C’est quelqu’un qui laisse parler son instinct, qui ne réfléchit pas scientifiquement à ce qu’il est en train de faire mais qui laisse son imaginaire prendre le dessus. Il utilise son artisanat, sa maîtrise du geste, pour laisser parler son imagination. C’est aussi quelqu’un qui n’est pas du tout politiquement correct. Donc, dans le Hollywood d’aujourd’hui, ça peut être compliqué. Il n’est pas corporate, il n‘est pas non plus un business man. Il dit souvent que si on lui avait laissé le business, il serait out of business depuis longtemps. Mais je dirais que c’est avant tout un style qui se reconnait de film en film, comme Ray Harryhausen. Quand on voit plusieurs créatures de Phil Tippett, on sait instinctivement que c’est lui. Même quand il engage des gens pour s’occuper du design, il rajoute des petits détails qui font qu’on reconnait sa patte. Et donc ça, c’est très rare dans les effets spéciaux, en particulier aujourd’hui parce que dans la nouvelle génération il est très difficile d’isoler des noms d’artistes d’effets spéciaux. Vous voyez des studios. C’est comme les jeux-vidéos en fait. Vous savez que c’est un jeu d’Activision, un jeu d’Electronic Arts, un jeu de Capcom ou un jeu de Rockstar. Là, même s’il y a des grands artistes partout, vous allez avoir des effets visuels de Weta, des effets visuels d’ILM, des effets visuels de Framestore, etc. J’insiste, il y a beaucoup de grands artistes, mais le grand public ne l’est connaît plus. Il fut un temps, à l’époque de Terminator 2 (James Cameron, 1991), Jurassic Park ou avant, on connaissait des gens relativement grands publics. On avait entendu parler de Dennis Murren, de Tom Savini, de Stan Winston, de Phil Tippett ou de Ray Harryhausen. Voilà, c’est quelque chose qui a changé. Phil c’est l’un des derniers mastodontes du cinéma fantastique et des effets spéciaux qui a une identité, qui évoque tout de suite quelque chose. D’ailleurs, c’est devenu un mème. On a ce fameux mème sur internet où l’on voit son crédit de Jurassic Park, “Dinosaur Supervisor Phil Tippett“, avec le gag, “tu les as mal supervisés, y’a des gens qui sont morts”. (rires) Et c’est une blague qui court sur internet depuis dix ans !

Vous l’avez accompagné pendant plusieurs années. Vous êtes allés directement dans son atelier. Vous avez eu accès à des collections, à des archives. C’est une chance !

En réalité, après la sortie de Ray Harryhausen : Le titan des effets spéciaux, on était en 2012, je lui ai demandé si je pouvais venir au studio quelques mois pour en humer l’air, vivre un petit peu là-bas, voir comment ça se passe. Je n’y étais jamais allé. On avait fait un film sur les effets spéciaux, mais je n’étais jamais allé aux Etats-Unis, dans des studios d’effets spéciaux comme ça. On s’était déjà un peu lié d’amitié pendant la production du documentaire sur Ray Harryhausen et il m’a accueilli chez lui pendant une semaine et demie, en 2013. J’ai donc vécu au studio et chez lui. Là on est vraiment devenu ami. Chaque année après, j’y suis retourné, avec Gilles Penso et on a tourné Le Complexe de Frankenstein sur plusieurs années. Quand on allait chez ILM tourner des choses ou dans d’autres endroits à San Francisco, on allait chez Phil. Il nous hébergeait. Et ensuite, forcément, on a eu l’idée de faire un livre sur Phil. J’ai commencé à scanner toutes ses archives. Il m’avait préparé une quinzaine de cartons gigantesques. Sur chaque carton, il y avait marqué Le Retour du Jedi, L’Empire Contre-attaque

Waow, on imagine les frissons dans le dos !

C’était totalement fou ! Donc, j’ai passé presque deux semaines à scanner jours et nuits toutes ses archives. Il m’avait mis un bureau chez Tippett Studio où j’avais mon ordinateur portable et un scanner et toute la journée je scannais. La nuit, dans sa cuisine, je scannais. (rires) Il se levait et il venait me voir. “Qu’est-ce que t’as trouvé ? – Oh bah… j’ai trouvé une lettre d’Irvin Kershner qui te souhaite bonne chance sur le tournage de Robocop 2. Enfin, des choses complètement folles ! En fait, on a voulu faire un bouquin, donc on a filmé et photographié toutes ses miniatures, toutes ses sculptures. On a fait le plus d’images possibles, on a tout catalogué. Puis on s’est vite dit que, si un jour on voulait adapter ce bouquin en film, il faudrait tout recommencer. Donc on a sagement décidé de faire le film en premier. Ça paraissait plus logique. Parce que, si on faisait une interview juste en audio, il faudrait forcément la refaire après si on voulait faire le film. Et on ne voulait pas juste faire des interviews à la va-vite entre deux couloirs. On voulait mettre ça en scène. On voulait soigner les éclairages, raconter quelque chose par l’image. Donc on a vraiment changé notre fusil d’épaule et on a réalisé le film. Et le livre est en cours.

Phil Tippett anime avec ses mains plusieurs maquettes de monstres sur une table noire, devant deux collaborateurs.

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Est-ce que vous avez pu voir le maître à l’œuvre durant vos tournages ?

On a vu le maître à l’œuvre plusieurs fois ! Par exemple, on s’est retrouvé – je crois en février ou mars 2015 – sur le tournage de Star Wars Episode VII, Le Réveil de la force (J.J. Abrams, 2015). En gros, Phil m’a dit : “viens par-là, j’ai besoin de quelqu’un pour filmer”. Et on s’est donc retrouvé à filmer le making of de la scène du jeu d’échec. Il y avait Dennis Murren et Jon Berg, qui était l’autre animateur de la partie de jeu d’échec de 1977. C’était complètement fou ! On a participé au jeu d’échec, on échangeait nos idées tous ensemble, ce que les marionnettes devaient faire, etc. C’était assez dingue.

On associe Phil Tippett avant tout à la stop motion. Alors qu’avec cette reconversion forcée suite à Jurassic Park, il a été responsable de quelques-unes des créatures numériques les plus importantes de ces vingt dernières années. On pense notamment aux insectes géants de Starship Troopers (Paul Verhoeven, 1997).

Ah, sublime ! C’est un de mes films préférés. D’ailleurs, on a été invité avec Phil à un festival à Trieste en Italie en octobre ou novembre dernier. Il y avait eu une projection évènement de Starship Troopers qu’on nous a demandé de présenter. Je pense que c’est le film dont il est le plus fier dans sa carrière. Paul Verhoeven est le réalisateur qu’il préfère. A cette occasion on a revu le film sur grand écran et on s’est dit que ça n’a pas pris une une ride. C’est incroyable. Je l’ai vu sept fois sur grand écran ! (rires) Je l’ai vu le jour de la sortie, je l’ai vu le lendemain, je l’ai vu le samedi suivant et le samedi d’après. Je n’en revenais pas !

Même Robocop aujourd’hui ne vieillit pas. Pour avoir revu l’original plusieurs fois, il a encore aujourd’hui une force incroyable.

Robocop, incroyable ! C’est un film qui est toujours aussi important pour moi. C’est aussi la première fois que Verhoeven s’est attaqué à la science-fiction et a compris que c’était un genre qui pouvait être fait pour lui. Je pense que c’est l’éclosion d’un cinéaste dans un genre qu’il n’avait pas envisagé au départ. C’était une véritable anomalie hollywoodienne à cette époque. Il débarquait tout juste de Hollande. Il avait juste fait La Chair et le sang (1985) juste avant, qui est aussi un film incroyable. Mais ce qui est fou avec Robocop, c’est qu’il n’a failli jamais le tourner. Il avait jeté le script à la poubelle. Sa femme a récupéré le script dans la poubelle. Elle l’a lu et elle lui a dit, “écoute, tu peux en faire quelque chose”.

Gros plan d'un squelette de maquette T-Rex, sur fond noir.

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Vous-même, vous vous êtes également essayé à la réalisation d’animation puisque vous avez animé des séquences en stop motion. Vous avez carrément ressuscité des veilles figures bien connus.

Absolument ! On était à l’atelier. On était autour des miniatures de Phil. On s’est dit que puisque c’est un film sur l’animation, il faudrait qu’il y ait des plans d’animation inédits pour un petit peu traverser le quatrième mur. Ça donnait un sens supplémentaire au film. On a décidé, avec l’accord de Phil, de réanimer littéralement Robocop 2, le T-Rex de Jurassic Park, certaines créatures du jeu d’échec, l’ED-209… donc là encore c’était surréaliste. J’ai fait deux ou trois plans d’animation. On avait trois autres animateurs, Ri Crawford et David Lower qui sont d’excellent animateurs vivants dans la Bay Area à San Francisco, et on avait surtout Phil Tippett qui nous a fait un plan ! C’était un grand moment ça. J’ai pu voir à quel point la marionnette d’origine de Robocop 2, donc de Cain, est incroyable. C’est la plus belle marionnette que j’ai jamais vu de ma vie. J’ai vu plusieurs marionnettes de stop motion, mais celle-là elle est folle. C’est une grosse figurine dans les quarante ou cinquante centimètres de haut, mais surtout absolument tout est articulée ! Il y a plus de deux cents pièces séparées qui forment cette figurine. C’est énorme ! J’ai passé une heure et demie juste à analyser tout ce qui pouvait bouger sur la figurine avant de commencer à animer. Il faut apprendre à connaitre une figurine avant de se lancer. Il faut discuter un peu avec elle. (rires) Qu’est-ce que tu peux faire ? Qu’est-ce que tu sais faire ? Qu’est-ce que tu peux bouger ? Ça peut paraître un peu schizophrène, mais il y a une relation très spécial qui se noue entre l’animateur et sa figurine, parce que c’est une sorte d’avatar en fait. On transmet son mouvement à la figurine. Pour Robocop 2, j’ai fait notamment un plan de sept secondes qui m’a demandé quatre heures d’animation ! C’est la moyenne. Quand on fait de la 24 images par seconde pour un film en prise de vues réelles, c’est à peu près ça. Evidemment, quand il y a plus de personnages, ça peut être plusieurs jours de travail pour un plan très court.

On voit qu’aujourd’hui, que la pratique du stop-motion est devenue minoritaire. Tout de même, cette pratique subsiste toujours mais elle s’est reconvertie en pure forme d’expression artistique plutôt qu’en simple outil d’effet spéciaux. On pense notamment aux films du studio Laika, aux films qu’ont pu faire Tim Burton et Henry Sellick…

Oui ! D’ailleurs, Ray Harryhausen était ravi que ça arrive. Parce que Ray a commencé à faire des films d’animations en stop-motion qui n’étaient pas du tout en prises de vues réelles. Il était ravi de voir L’étrange Noël de Monsieur Jack (Henry Sellick, 1993). ça faisait perdurer son art, et l’art de Willis O’Brien et de Wadislaw Starewicz. Effectivement, aujourd’hui ce n’est plus un effet spécial. C’est une forme d’animation à part entière. Pour Laika, il y a des débats autour du rendu de leurs films d’animation. Moi je trouve ça très impressionnant, vraiment. Mais je connais des animateurs qui n’aiment pas forcément la manière dont ils abordent la stop-motion parce que c’est tellement propre, tellement fluide, tellement sans limites, que ça ressemble finalement à l’image synthèse. Les têtes sont imprimées numériquement en 3D. Il y des millions et des millions de têtes différentes pour tous les mouvements du visage, de la bouche, etc. A chaque frame, les animateurs changent les têtes pour des mouvements prédéfinis. Après, c’est quand même assez incroyable ce qu’ils font. Je suis quand même plus sensible à ce que fait Aaardman animation (Wallace et Gromit). Même si je suis un peu moins fan des derniers films. Mais quand même, Shaun le mouton (Ricxhard Goleszowski et Mark Burton, 2015) c’est excellent ! J’aime bien qu’on ressente la stop-motion. J’aime bien qu’on ressente le côté pratique, le côté imparfait. Ça, c’est très personnel. Par contre, Kubo et l’Armure magique (Travis Knight, 2016), je trouve que c’est un film magnifique. C’est le meilleur film de Laika pour moi.

Paul Verhoeven présente la réplique miniature du robot tueur de Robocop, conçu par Phil Tippett.

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Dans votre dernier film sur Phil Tippett, il y a plusieurs personnalités qui interviennent, notamment Joe Dante ou Paul Verhoeven. Comment se sont déroulées ces interviews ? Etaient-elles prévues dés le départ ?

Quand on commence un documentaire, on se demande quelles personnalités est à envisager, quelle autre est importante ou dispensable ? On a une liste idéale et on a une liste un petit peu plus dépouillée, mais avec quelques personnes sans lesquelles le film n’existera pas. Par exemple, pour Le Complexe de Frankenstein, on ne voulait pas le sortir sans Guillermo Del Toro. Sinon, le film n’était pas fini pour nous. Si on n’avait pas le réalisateur de films de monstres ultime de notre époque, on n’avait pas le film. La dernière interview du Complexe de Frankenstein, c’était Guillermo. Et la dernière phrase de la dernière interview, c’est la dernière réplique du film. Il n’y a pas de hasard. En fait, on s’est couru après avec Guillermo. Pendant un an et demi, lorsque j’étais aux Etats-Unis, il était au Canada. Quand il était en France, j’étais ailleurs, etc. Un jour il m’a appelé, “je suis là”. Ok, cool ! On a calé l’interview le lendemain et c’était à Paris. Après, pour ce qui est du documentaire sur Phil Tippett, on s’est dit qu’on n’avait pas besoin forcément d’avoir autant de réalisateurs ultra-célèbres que dans Le Complexe de Frankenstein ou Le Titan des effets spéciaux, où l’on avait eu Spielberg, Terry Gilliam, Tim Burton, Peter Jackson, James Cameron, etc. On avait déjà tous ces gens-là dans la trilogie. On s’est limités à ceux qui étaient totalement pertinents dans l’intrigue. Donc, on a quelques stars. On a Joe Dante. On a Paul Verhoeven effectivement. On a Joe Johnston qui a travaillé en tant que directeur artistique sur la première trilogie Star Wars, mais qui a aussi réalisé Chéri, j’ai rétréci les gosses (1989) sur lequel a travaillé Phil.

Avec cette incroyable scène de combat entre une fourmi et un scorpion.

Absolument, scène qui est excellente ! Et le scorpion est animé par Phil et son équipe. La fourmi était animée par quelqu’un d’autre, si je ne m’abuse. Mais par exemple, on s’est dit, le film sur Phil Tippett, on ne peut pas le faire sans Paul Verhoeven. On avait dans notre liste idéale Spielberg, Georges Lucas – qui était occupé à autre chose mais qui nous a quand même aidés en post-production. Steven Spielberg était occupé entre Pentagone Papers (2017) et Ready Player One (2018) après quoi il a pris six mois de vacances… C’est arrivé pile au moment où on avait besoin de lui. En revanche, il nous a aidés pour débloquer des extraits de Jurassic Park et autres.

Peux tu nous en dire plus sur la façon dont vous négociez les extraits ?

Une fois que le gros du film est tourné, vient après tout un travail de production qui n’est pas du tout le même que celui de réalisateur. Il faut négocier tout ce qui apparaît à l’écran. Donc, il faut avoir l’accord de tous les studios… Il y a plusieurs façons de faire. On peut faire du fair use. On prend un avocat, on essaye de tourner le film d’une certaine façon pour pouvoir utiliser un maximum d’images. Mais ça ne marche pas dans tous les pays. C’est assez compliqué juridiquement. Il y a une sorte de ligne un peu floue. Ou alors, on contacte tous les studios et on deal directement avec eux. C’est ce que j’avais fait sur Le Complexe de Frankenstein. Ça m’avait demandé neuf mois. Et là, ça m’a demandé sept mois. Et je dois dire merci Disney, parce que Disney nous a totalement soutenus. Ils avaient adoré les deux premiers documentaires et ils nous ont donc complètement soutenus sur celui ci. On a commencé la négociation avec eux, ensuite tous les autres studios ont suivi en domino.

Parlons de la campagne KissKissBankBank et de l’implication de l’éditeur Carlotta. Avec le coffret collector du film, on peut retrouver une multitude de bonus dont il aurait été dommage de se débarrasser.

On sort dans le commerce une édition du film avec beaucoup de bonus, c’était prévu comme ça. Il y a un making of d’1h40 qui s’appelle “Meeting the Monsters” et qui sans interview intermédiaire, nous suit pendant plusieurs années sur le tournage et la production du documentaire. Donc, vous allez voir pas à pas ce qu’il s’est passé. Tout, des premières visites chez Tippett studio, la scène où l’on est sur le plateau du Reveil de la Force, le moment où l’on a décidé de faire l’animation des marionnettes, etc. On a vraiment plein de moments de vie. Toute la post-production, le tournage des effets spéciaux, les génériques, la musique, le montage. Ça c’est dans l’édition accessible partout. On a aussi un commentaire audio qu’on a enregistré avec le co-réalisateur Gilles Penso. On a une piste musicale isolée qui est la conséquence d’une anomalie : on a sorti une copie numérique du film destinée au cinéma et il y a eu un plantage. On n’avait plus que la musique, et c’était intéressant de voir que la musique racontait l’histoire du début à la fin, donc, on a décidé de la conserver. Ensuite, on avait beaucoup d’autres bonus qu’on ne voulait pas perdre. Plein de galeries d’interviews, des petites featurettes. On a donc décidé de faire une édition limitée collector via une campagne de pré-commande. Ce deuxième disque, je crois qu’il y a plus de trois heures de bonus dessus. Il y a notamment Prehistoric Beast qui est le premier court-métrage réalisé par Phil Tippett au milieu des années 80. C’est une sorte de combat de dinosaures de dix minutes en stop-motion qui est absolument sublime qu’il avait réalisé juste avant de s’attaquer à Jurassic Park. Il est en full HD en plus ! Il y a aussi une interview de Paul Verhoeven et Jon Davison (producteur de Starship Troopers, ndlr) sur le développement d’un film qui s’appelle Dinosaures, qui est devenu un film d’animation des studios Disney alors qu’il devait initialement être réalisé par Paul Verhoeven avec la stop-motion de Phil Tippett. Ce sont eux qui ont développé le projet. Oui, donc Carlotta a super bien bossé sur cette campagne et on était assez surpris. Avant qu’on lance la campagne, je me disais, “est-ce que ça va intéresser les gens ?” Mais au bout de 70h, on avait déjà atteint les 100% !

C’est ça, il ne faut pas croire que votre film est juste un petit délire de geek. C’est clairement un documentaire sur un artiste qui ne s’adresse pas qu’à un public de niche en particulier.

Ah, eh bien merci beaucoup ! Parce qu’on essaye de ne pas le faire. On essaye de ne pas faire un film de niche. L’idée, c’est vraiment que n’importe qui, comme une grand-mère qui vit à la campagne et qui n’a jamais vu un film de monstres, puisse tomber sur ce film et avoir envie de regarder et comprendre. Parce que de toute façon, les fans de cinéma fantastique ou d’effets spéciaux, ils seront intéressés par le film. Alors évidemment, on rajoute des choses qui vont leur parler, j’espère. Mais il faut que ça parle à tout le monde sans être lisse. C’est un équilibre à trouver. Mais en tout cas oui, c’est un portrait d’artiste. C’est le portrait d’une personnalité assez unique. Je pense que c’est ce qui a plu à Carlotta d’ailleurs. Ils sont tombés amoureux du film, ils ont aimé notre approche.

Est-ce qu’il y aura un coffret collector avec les trois volets ?

Dans la campagne KissKissBankBank, une des options était d’acheter un coffret de la trilogie. Il y avait donc les trois films réunis avec les bonus des deux précédents, mais aussi les bonus relatifs à la campagne. On a même créé une affiche spéciale pour la trilogie, qu’on appelait “La trilogie des monstres“. Et c’est Paul Wee qui nous a fait l’affiche façon Léonard De Vinci pour le film sur Phil Tippett et cette nouvelle affiche. On est super contents car on a Ray Harryhausen et Phil Tippett qui font face à la créature de Frankenstein sur la même image ! Je l’ai tout de suite imprimée et mise dans mon bureau. (rires)

Il faut qu’on revienne aussi sur la musique. Car, on ne l’a pas évoqué, mais vous êtes également compositeur.

Oui, j’ai composé la musique des trois films. Et dans le dernier, il y a beaucoup de musique. Soixante dix sept minutes de musique, donc c’était beaucoup de travail. Il faut savoir que Gilles Penso est comme moi, un mélomane qui adore les musiques de film. Et il a une très grande culture. Son frère est pianiste classique, donc il baigne dedans depuis longtemps. On a vraiment une passion commune pour la musique, et c’est pour nous un outil narratif très important. Avant de tourner, on travaille toujours sur un thème ou deux. On essaye de trouver la couleur du film, sa couleur orchestrale. Quand on tourne, on sait quel type de musique il y aura. Ça nous influence sur l’image, ça nous influence sur les éclairages, sur le ton…. Parce que le ton des interviews aussi est important. Ce n’est pas pareil d’avoir quelqu’un qui hurle et quelqu’un qui chuchote pendant les interviews. Et souvent, vu qu’on le fait sur plusieurs années, on fait attention pour les dernières sessions d’interview. S’il y a une interview qui arrive un moment précis du film, on va voir ce qu’il y a avant et ce qu’il y a après pour bien saisir le ton de la séquence qu’on doit tourner. Il y aussi un peu de direction là-dessus. C’est un travail invisible pour le spectateur, mais qui pour nous est primordial. La musique rentre là-dedans. Il y a une sorte de narration musicale tout au long du film, donc avec beaucoup de thèmes différents. Phil a plusieurs thèmes parce que c’est un personnage très complexe et très divers. Il a un thème nostalgique, un thème un peu lugubre, un thème un peu savant fou… Il y a un love theme aussi dans le film. Jon Devison et Joe Dante ont un thème. Paul Verhoeven a un thème. Donc, tout ça mis bout à bout fait une sorte de narration musicale. Ce qui rend la piste musicale isolée assez intéressante.

Un documentaire étant par essence, en grande partie, pensé et monté en même temps qu’il est tourné, j’imagine que le film a beaucoup évolué tout au long du processus de réalisation ?

On avait presque fini une première version en début 2018, et ensuite on l’a retravaillée. On a retravaillé le dernier acte, parce qu’il ne fonctionnait pas aussi bien qu’on le voulait. Il fallait qu’il soit plus intime, qu’il brasse plus de Phil tout en rentrant un peu plus encore dans sa tête. Il y a une question de ton aussi qui est difficile à trouver. Est-ce qu’on est trop sombre ou pas assez ? Il ne fallait pas non plus montrer Phil comme un personnage ultra-torturé s’il ne l’était pas à une certaine période de sa vie. Enfin, je pense qu’on a trouvé cet équilibre peu à peu, jusqu’à la fin du processus de montage. C’est de la broderie. On enlève un plan, on en rajoute un autre, des fois ça change toute une séquence. Aujourd’hui, franchement, on ne changerait rien du tout dans le film. Ce qui ne veut pas dire qu’il est parfait, c’est au spectateur de dire s’il aime ou pas. Il ne nous appartient plus maintenant. Il sort. Il est gravé. Il appartient au public. Nous, on est en tout cas fiers d’avoir pu rendre hommage à Ray Harryhausen, à Phil Tippett et à tous ces artistes de l’ombre qui méritent vraiment qu’on s’intéresse à eux autrement que dans une liste interminable de noms à la fin d’un blockbuster hollywoodien.

Phil Tippett pose avec les deux réalisateurs Alexandre Poncet et Gilles Penso dans on atelier.

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Quels autres artistes, dans la trempe de Phil Tippett, peuvent potentiellement vous intéresser pour un futur documentaire ?

Il y a plein d’autres artistes qui mériteraient des documentaires. Mais est-ce qu’on a envie de le faire maintenant ? Je ne sais pas. On m’a demandé si je voulais faire un film sur Rick Baker par exemple, qui est un maquilleur de génie, qui a fait Le Loup-garou de Londres (John Landis, 1981), le clip Thriller de Michael Jackson (John Landis, 1982), la trilogie Men In Black, Gremlins 2 (Joe Dante, 1990). Je serais ravi de faire un documentaire sur lui, mais est-ce que j’ai envie de le faire maintenant ? Est-ce qu’on n’a pas clôturé un chapitre pour le moment ? Il faut faire un pas de côté. On travaille actuellement sur un nouveau documentaire qui est sur l’animation en général. Aujourd’hui (l’entretien a été réalisé en avril 2020 pendant le confinement, ndlr), on devait être en tournage aux Etats-Unis, chez Dreamworks, chez Disney, Pixar, etc… mais bon… (rires) La situation en a voulu autrement. Ce n’est pas grave, ça sortira un peu plus tard. On essaye avec ce projet de faire un pas de côté justement, on a une autre approche. D’ailleurs, on est en train d’essayer de trouver l’histoire, l’intrigue, les trois actes qui vont nous donner la trame du film. Parce qu’un documentaire, ça peut être plein de choses. Ça peut être une succession d’interview un petit peu aléatoire. On n’a pas d’histoire, pas de progression. Nous, on essaye de penser la structure comme pour une fiction. Il faut un milieu, une fin, des montées et des descentes d’intensité narrative et dramatique. Ça demande plus de travail et de temps. C’est peut-être un luxe, mais c’est aussi une prise de risque de notre part, parce qu’on parie sur notre capacité à intéresser les diffuseurs et les distributeurs. Et ce n’est jamais gagné d’avance ! Le marché du DVD et du documentaire est très compliqué ces temps-ci. Avec l’arrivée des géants du streaming, on pourrait croire que ça multiplie les diffuseurs, mais en fait ça les réduit. Pour se battre sur le marché, ils sont tous en train de chercher des têtes de gondole, des gros noms porteurs.

Alors qu’au contraire, ça pourrait justement être le lieu rêvé pour voir ce genre de films qui seraient habituellement boudés par les distributeurs.

Tout à fait. C’est une période très complexe au niveau de la distribution. Ça touche tout le monde. Ça touche les petits films de fiction aussi. Tout le monde se regarde un petit peu en chien de faïence. Donc, nous on avance. On essaye d’avancer sur notre prochain long. On est en train de préparer un premier montage de tout ce qu’on a tourné. On prévoit la suite. On est en train de développer aussi des idées de fiction. Rien n’est arrêté pour l’instant. Voilà, je pense que c’est ce qu’il faut faire. Il faut essayer de créer. Je pense qu’il faut créer au jour le jour. Il ne faut pas abandonner, il faut juste être créatif. Faut essayer de proposer des choses et ensuite, on verra. Parce que demain, ça peut être tout et son contraire.

Propos de Alexandre Poncet
Recueillis et retranscrits par Axel Millieroux
Merci à Carlotta


A propos de Axel Millieroux

Gamin, Axel envisageait une carrière en tant que sosie de Bruce Lee. Mais l’horreur l’a contaminé. A jamais, il restera traumatisé par la petite fille flottant au-dessus d'un lit et crachant du vomi vert. Grand dévoreur d’objets filmiques violents, trash et tordus - avec un net penchant pour le survival et le giallo - il envisage sérieusement un traitement Ludovico. Mais dans ses bonnes phases, Il est également un fanatique de Tarantino, de Scorsese et tout récemment de Lynch. Quant aux vapeurs psychédéliques d’Apocalypse Now, elles ne le lâcheront plus. Sinon, il compte bientôt se greffer un micro à la place des mains. Et le bruit court qu’il est le seul à avoir survécu aux Cénobites.

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