[Masterclass] Paul Verhoeven, le Hollandais Violent 4


Invité d’honneur à la quatrième édition de Toute la mémoire du monde, Paul Verhoeven était présent à la Cinémathèque française pour un jeu de questions-réponses à la suite de la projection de Spetters (1980), avant-dernier film de la période néerlandaise du réalisateur. L’occasion de revenir sur la carrière du Hollandais Violent, à travers ses films européens et hollywoodiens.

© SBS Distributions (Kit Presse : Elle)

Spetters le détestable

« L’envie de faire ce film était par contraste avec l’une de ma précédente réalisation, Le choix du destin, qui se déroulait au sein d’une élite aristocrate autour de l’université de Leyde. Après avoir travaillé sur cette caste, mon scénariste et moi avons eu envie de nous intéresser à un milieu ouvrier. Nous nous sommes inspirés d’une pièce qui se jouait à l’époque à Londres, « De qui est-ce la vie ? », et qui racontait la vie d’un jeune homme paralysé des pieds à la tête et qui finissait par se suicider. Ces deux points ont formé le cœur du projet, avec le fait que mon scénariste Gerard Soeteman était fasciné par le motocross. Je voulais aussi faire contraste avec les trois films précédents qui étaient des adaptations de romans ou biographies : avec Spetters (1980) nous avons voulu nous rapprocher du réel, de la vie des petits villages hollandais. C’est un travail narratif beaucoup plus lent, car lorsqu’on part d’un livre on a déjà la structure, alors que là nous avons dû avancer progressivement étape par étape. Le scénario a mis à peu près une année à s’écrire. Il y a aussi eu un important problème de financement, les commissions de financement hollandaises trouvaient que nous peignions un portrait désagréable de la société hollandaise, et n’aimaient pas l’idée que le personnage principal était une prostituée. J’ai dû alors réécrire le scénario pour obtenir les financements, mais j’ai bien entendu tourné mon scénario original, manœuvre qui m’a posé pas mal de problèmes en Hollande. Contrairement au public, le milieu du cinéma hollandais, les critiques et les commissions ont détesté le film…Je crois que la première fois que j’ai lu une critique positive était en 1997, une quinzaine d’année après la sortie du film. Spetters n’a pas disparu des radars pour autant, car quand les critiques s’attaquaient à un autre de mes films, ils étaient capables de dire qu’au moins ce n’était pas aussi mauvais que Spetters. Il y avait aussi des manifestations devant les salles qui projetaient le film qui disaient qu’il était contre les gays, misogyne ou encore qu’il encourageait tous les handicapés au suicide. Je crois que Jacques Rivettes a été la seule personne à avoir fait une critique positive sur ce film à l’époque, j’en étais très heureux. Mais bien sûr tout le monde préfère Le choix du destin qui ne traîne personne dans la boue, comme Basic Instinct (1992) ! ».

Un hollandais à Hollywood

« Il faut que je précise que tous les films que j’ai tournés aux États-Unis ont été des commandes. C’est très différent de ce qui se passait en Hollande où j’étais à l’origine de tous les projets. Bien sûr je travaillais sur les scénarios qu’on m’envoyait, mais c’est très difficile de modifier un scénario américain car c’est un objet de haute précision, si on touche à quelque chose l’ensemble s’effondre. J’avais une plus grande liberté quand je travaillais en Hollande. Heureusement j’ai eu la chance incroyable de travailler avec le scénariste Edward Neumeier qui était à mes côtés pendant les tournages, ce qui signifiait que je pouvais changer bien davantage pendant le tournage qu’on ne le fait d’habitude aux États-Unis. La seule vraie décision de mon départ à Hollywood concernait Robocop (1987). Il y avait eu quelques propositions de scénarios avant que je n’ai pas considérées, je ne m’en souviens même plus. Robocop je n’ai pas aimé quand on me l’a envoyé, comme je le disais c’est ma femme qui a insisté pour que je le relise avec plus d’attention, ce qui a pris une semaine, et la décision a été prise à ce moment-là. Pour la suite, Mario Kassar et Arnold Schwarzenegger sont venus me proposer Total Recall (1990), puis Kassar m’a aussi proposé Basic Instinct, il y a eu un enchaînement de projets comme prédestinés. Je crois que l’essentiel est que j’essaie toujours de nuancer les films avec une couche sérieuse et puis amener en une sorte de couche comique sous-jacente. Aujourd’hui, on polarise le film et ça doit être soit l’un, soit l’autre, par exemple dans le cas de Total Recall, on est à fond sérieux, et je trouve que c’est un appauvrissement considérable. La scène où le médecin arrive et dit « tout ce que vous venez de vivre est absurde », c’est quelque chose que je ne ferais pas aujourd’hui, il y a une lourdeur, une sorte de détachement qui rend les choses invraisemblables et ne fonctionnent plus. Aux États-Unis il y a aussi un système de visa d’exploitation gradué, R, PG-13 ou NC-17 qui n’existe plus aujourd’hui mais servait pour les films X, et même les PG-13. On oblige aujourd’hui les réalisateurs à faire des films R, vous pouvez tourner tout ce que vous voulez, il faudra le couper au montage. Il suffit de prendre l’exemple de Basic Instinct, quand on regarde la version du film en France et celle aux États-Unis, on voit qu’il y a dans la version américaine certains petits détails intimes qu’il manque, et c’est déjà assez extraordinaire qu’ils aient accepté le plan où Sharon Stone écarte les jambes, c’est inexplicable. Au bout d’un processus de deux mois où je n’arrêtais pas de couper des choses pour obtenir ce fameux visa R, ils ont accepté le film avec cette coupe dedans, peut-être parce que Jack Valenti, qui était à la tête de la commission de censure, est le parrain de Michael Douglas. Pour Showgirls (1996), j’ai accepté le film à condition qu’il soit NC-17, c’est le dernier film qui a l’avoir été. La réalité c’est que les studios n’en veulent pas, ils détestent ça parce que ça diminue leur capital, ça diminue le public possible, un film R, si vous avez au moins 3 ans et que vous êtes avec votre père, vous pouvez y aller. Ce sont les studios qui empêchent que les films soient plus libres. Mais tant que les films marchent bien, tu fais ce que tu veux ! Il y a des problèmes quand le box-office ne suit pas, problèmes que j’ai eu après Showgirls, qui n’a fait que 20 millions de dollars, mais c’était très étonnant que j’ai eu le droit de faire Starship Troopers (1998). Pour ce projet la décision a été prise grâce à des connaissances et des amis que j’avais dans les studios de production. Cela dit partir à Hollywood, ce n’est pas vraiment ce que je voulais, mes modèles étaient plutôt Bergman ou Fellini, j’avais déjà mon équipe et mes comédiens en Hollande, mais c’était devenu très compliqué pour moi de tourner là-bas. Le succès du Choix du destin (1977) a fait que j’ai pu commencer à recevoir des scénarios étrangers, et donc américains, et je crois que vers 1985 c’est mon épouse qui m’a poussé à aller aux États-Unis. Et je l’ai fait ! Tout s’est passé très simplement en majeure partie grâce à Robocop, mais on a décidé de garder notre maison en Hollande, d’aller là-bas et d’essayer, pour revenir si ça ne marchait pas. Évidemment ça a marché, et j’y suis encore maintenant. »

L’œuvre américaine

« Il y a eu des processus très intéressants, comme avec Starship Troopers. Je travaillais avec la même équipe, les mêmes scénaristes et producteurs que sur Robocop, le producteur exécutif était à Tristar Pictures, et avait déjà financé La chair et le sang (1985) et Robocop chez Orion Pictures, un studio qui n’existe plus. Durant deux ans, pendant que nous travaillions sur le film, il y a eu cinq changements de PDG. Comme ça changeait tous les trois ou quatre mois, finalement aucun d’entre eux n’a jamais regardé le film. Quand le studio a enfin regardé le film, ils ont été très surpris, car ce film de héros montrait des gens qui étaient peut-être des fascistes. Et si vous avez vu le film, vous avez noté que les uniformes sont basés sur le design des uniformes allemands du film Le triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl (1934), j’ai même copié quelques plans de ce film. La production ne s’en est rendue compte que lors de la projection, mais c’était trop tard ! Évidemment le message politique est très subversif, on y voit en réalité un film sur les États-Unis. On peut dire finalement que j’ai eu beaucoup de chance qu’il n’y ait personne de responsable aux studios, sinon le film n’aurait jamais été fait, d’ailleurs on ne fera plus jamais un film comme celui-là. Le jeu d’acteur est également essentiel dans mes films, tout dépend. Avec certains acteurs on n’a pas besoin de s’appliquer autant sur le découpage, je viens par exemple de tourner avec Isabelle Huppert qui est remarquable, quelques fois je n’arrêtais pas le plan à la fin de la scène, et je la filmais en train de continuer sur sa lancée, et on se rendait compte après coup qu’on avait déjà tourné la scène suivante. Mais par exemple avec Basic Instinct, il fallait que je fasse vingt ou trente prises avec Sharon Stone quand j’en faisais deux ou trois avec Michael Douglas à tel point qu’il venait me demander de faire d’autres prises alors que pour moi c’était parfait. Après ce qui compte c’est la qualité du montage, j’avais un monteur génial, qui a travaillé sur Robocop, Total Recall et Basic Instinct et qui était capable de prendre le meilleur de Sharon, et au moment où la prise se dégrade, il partait sur une nouvelle prise, et les coupes sont invisibles. Aujourd’hui tout le monde se souvient de Sharon Stone dans ce film, par contre je l’ai vue dans Casino (Martin Scorsese, 1996), et là on voit les inégalités dans son jeu, car le montage n’est pas le même. Il y a également mon projet malheureusement avorté, Crusade. Le scénario est actuellement entre les mains d’Arnold Schwarzenegger. On était déjà en train de reconstruire les murs de la cité de Jérusalem au Maroc quand on a dû interrompre la construction car la société de production n’avait pas l’argent pour continuer. D’ailleurs j’ai vu après le film sur le même sujet, Kingdom of Heaven de Ridley Scott (2005), très sérieux. Notre projet avait lui des moments de légèreté, pas forcément de comédie mais de légèreté. C’était un travail où il y avait des séquences comme dans Robocop où on passait en force à des moments contrastés, ce qui est une grande différence. À la fin de Crusade, on voyait le personnage principal joué par Schwarzenegger à qui on proposait d’être le roi de Jérusalem, refuser et partir. »

Hollande VS Hollywood VS France

« La différence c’est l’argent. Il y a plus d’argent en France qu’en Hollande, et il y a plus d’argent aux Etats-Unis qu’en France. Cela dit, les Etats-Unis sont un pays capitaliste, la Hollande et la France sont des pays socialistes, mais quand on va sur le plateau il n’y a pas de différences dans les trois pays. Le directeur de la photo aura le même équipement et les mêmes idées. Pour la première partie de la question, j’ai toujours voulu faire un film sur Alexandre le Grand, c’est Oliver Stone qui l’a fait, et j’ai toujours voulu faire un film sur Jésus, et ça je le ferai peut-être encore, un Jésus un peu différent. Pour réaliser un film sur Alexandre le Grand, on ne peut le tourner qu’aux Etats-Unis car il coûtera 150 ou 200 millions de dollars. Pour un film sur Jésus, je pense que ce sera un petit peu différent, il pourrait être fait en France. »

Paul tout puissant

« Je pense que la religion est quelque chose d’encore plus puissant que la sexualité dans nos vies. On le voit actuellement, les interprétations extrêmes de la religion sont en plein essor. La vraie question est : pourquoi les gens ne se servent-ils pas plus de la religion qu’ils ne le font ? C’est la raison pour laquelle j’ai accepté de faire Robocop, et c’est précisément ça que ma femme Martine a vu avant moi, qu’il y a dans cette histoire la crucifixion au moment où on lui tire dessus, la résurrection quand il devient un robot et surtout le paradis perdu quand il a ses flashbacks de souvenir de sa vie de famille, qui sont pour moi cette image très belle, mythologique d’un paradis perdu, qui a compté. Il y a également dans Spetters la présence de la religion, puisque quand le protagoniste a son accident, un personnage religieux l’emmène dans la communauté. Pendant un moment, on pense que Jésus qui était très fort pour ces choses là pourrait le guérir mais ça ne marche pas. Dans mon cas j’ai eu à l’âge de 26 ou 27 ans un court épisode de crise psychologique, un petit moment de psychose, j’ai été dans ces communautés religieuses qui sont très fortes en Amérique du Sud, on danse beaucoup, on chante, au bout de 15 jours, le problème qui avait causé cette crise, qui était une grossesse, avait disparu. C’était la fin. »

Propos de Paul Verhoeven,
Recueillis et retranscrits par Jade Vincent
Discussion animée par Jean-François Rauger
4ème Festival International du Film restauré, Toute la Mémoire du Monde
Février 2016


A propos de Jade Vincent

Jeune sorcière attendant toujours sa lettre de Poudlard, Jade se contente pour le moment de la magie du cinéma. Fan absolue de Jurassic Park, Robin Williams et Sono Sion, elle espère pouvoir un jour apporter sa pierre à l'édifice du septième art en tant que scénariste. Les rumeurs prétendent qu'elle voue un culte non assumé aux found-footages, mais chut... Ses spécialités sont le cinéma japonais et asiatique en général.


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