La sortie récente du film Les Mondes parallèles (Yuhei Sakuragi, 2020) et l’interrogation sur le renouveau du cinéma d’animation japonais nous a donné l’envie de revenir sur le dernier film de Makoto Shinkai sorti en tout début d’année, Les Enfants du temps (Makoto Shinkai, 2020) : ou comment se caricaturer soi-même.
La pluie et le beau temps
La déferlante Your Name (Makoto Shinkai, 2016) avait fait parler dans le monde entier : un carton au box-office japonais qui avait tenu la dragée haute à l’indétronable Le Voyage de Chihiro (Hayao Miyazaki, 2001) et glané pas moins de 250.000 entrées en France – soit le premier film japonais de l’année, devançant de loin Le Garçon et la Bête (Mamoru Hosoda, 2016) distribué par Gaumont. Beaucoup lui accordaient le titre de « nouveau Miyazaki », moins dans ses thèmes de prédilection que dans sa capacité à fédérer un large public autour de ses oeuvres. Distribué sous la bannière de Bac Films, Les Enfants du temps (Makoto Shinkai, 2020) était donc attendu au tournant. L’histoire se présente comme une romance adolescente, propice aux envolées lyriques et aux réflexions innocentes (naïves ?) sur l’amour. Le jeune lycéen Hodaka fugue le domicile familial isolé sur une île pour rejoindre la mégapole pluvieuse du Grand Tokyo. Pour gagner de quoi subsister, Hodaka va faire des piges pour Keisuke, le propriétaire d’un petit journal aussi louche que lui. Alors que la pluie tombe inlassablement, Hodaka enquête sur ce phénomène météorologique aussi extrême qu’inexplicable. Il va rencontrer Hina, une jeune fille joyeuse s’occupant seule de son petit frère et qui possède l’étonnant pouvoir de contrôler la météo…
Une love story lassante et rythmée par une écoeurante musique J-pop, voilà ce que nous réserve ce bien décevant film. Your Name tirait déjà la corde sensible dans un style emphatique qu’on acceptait pour l’incroyable sincérité et l’énergie qui débordait de chaque plan. Dans Les Enfants du temps, la recette a été digérée et les effets sonores, visuels et narratifs n’en sont que plus prévisibles. Avec sa caméra virevoltante, ses flares optiques présents un plan sur deux ou les reflets poétiques dans les flaques, Makoto Shinkai prend le risque de forcer les émotions de ses spectateurs et donc de s’en couper. Sa maîtrise du découpage et de l’animation n’est plus à prouver : mais paradoxalement, sa liberté totale acquise dans son art s’accompagne d’une régression formelle. L’heure n’est plus à l’inventivité mais à la réutilisation à outrance, pour notre plus grand malheur.
Vous l’aurez compris, Les Enfants du temps n’apporte pas grand-chose de plus qu’un produit taillé pour être le champion des salles et réemployer la recette à succès que Makoto Shinkai semble avoir trouvée en 2016. Une caricature de son propre travail, en somme. Non pas que son attachement à dépeindre la ville à travers des objets du quotidien, son amour pour la lumière et ses variations ne soient plus plaisants : ils restent une signature appréciable. Mais lorsqu’ils deviennent la fin et non le moyen, le film finit par se regarder le nombril, balayant au passage toutes les réflexions écologiques ou animistes que le scénario tente de faire exister. Face à ce trop plein d’émotions pseudo-poétiques et mièvres à souhait, on tente de se rassurer sur le devenir de l’animation japonaise au cinéma, espérant qu’elle ne soit pas totalement phagocytée par les normes télévisuelles. En attendant impatiemment la sortie d’un film qui devrait remettre les pendules à l’heure : celui du sensei Miyazaki, annoncé comme terriblement ambitieux alors que seules dix sept petites minutes sont d’ores et déjà achevées, How Do You Live ?.