Dragon Ball Super : Broly


Récemment sorti en Blu-Ray chez WildSide, on se plonge dans le dernier OAV (Original Video Animation) dérivé de la saga Dragon Ball. Intitulé Dragon Ball Super Broly (2019), ce long-métrage a bénéficié d’une sortie en salles en France, ce qui n’était pas arrivé depuis un bail à l’un des films de la saga. L’occasion de tirer au clair (et à boulets rouges) sur les raisons plus commerciales qu’artistiques de la mise en chantier de cet objet, en tout point dispensable.  

Goku et Vegeta dans Dragon Ball Super Broly (critique)

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Le Plein de Super

En 1980, un arbre donna un fruit. Un fruit qui avait tout pour lui, il était beau, il était doux, il n’y avait pas besoin d’en faire de la gelée pour en manger, il n’y avait qu’un seul noyau et non pas des saloperies de petits pépins chiants à recracher. Et le fruit était bon. En 1984, ce même arbre donna un autre fruit, proche du premier à certains égards, mais avec un autre goût, un goût avec encore plus de saveurs différentes. Il était possible d’en faire des tas de choses, mais, comme l’autre, on pouvait s’en enfiler des pleines bassines juste après l’avoir cueilli. Et comme les cerises, c’était même bien meilleur ainsi. Les propriétaires du terrain avaient d’autres projets, l’arbre était arrosé pour qu’il donne le plus de fruits possible, et ces fruits devaient servir à un maximum d’usages possibles. Il fallait donc beaucoup de fruits même si l’arbre devait crouler sous leur poids, car tout ce que les propriétaires faisaient avec trouvait preneur sur le marché. Bon, excusez-moi pour la métaphore filée fruitée, c’est l’été, j’ai envie de bouffer des fruits, j’ai besoin de fibres, je ne sais pas ce qui m’a pris. Toujours est-il que j’ai revu Dragon Ball Super : Broly, sorti en salle le 14 novembre et le bilan est… compliqué. Dans ma métaphore moisie, Dragon Ball est donc le second fruit de 1984 (le premier étant Dr. Slump dont la lecture soulage les maux de dos et fait revenir l’être aimé, l’être aimé étant une intégrale de Dr.Slump) et on peut affirmer qu’il s’agit à l’origine de quarante deux tomes étendus à un fameux dessin animé segmenté en deux parties : Dragon Ball (qui relate les événements liés à l’enfance de San Goku) et Dragon Ball Z (qui démarre lors du retour de Goku adulte en présence de son jeune fils San Gohan). Et jusque-là tout va bien, car c’est ainsi que l’industrie du manga fonctionne au Japon à son niveau le plus simple : un manga populaire, suivant une parution hebdomadaire, est décliné en anime pour de nombreuses raisons. Certaines sont créatives, puisqu’il s’agit d’un travail artistique de haute volée que d’inventer des choix de mise en scène, d’acting vocal, d’animation, de sound design, etc… mais les principales sont plus « prosaïques » puisque le but est aussi de fournir du contenu pour la télévision et donc d’y scotcher un maximum de gosses pour faire carburer les publicités. Et oui, si chaque manga à succès est adapté dans la foulée en anime, ce n’est malheureusement pas gratuit. Jusque-là, les seuls à prendre du gâteau sont le mangaka, les producteurs du dessin animé et les publicitaires (allez savoir dans quelle proportion). Et comme y a pas de raison que tout le monde n’ait pas sa part, le manga devient aussitôt une licence qui se décline en produits dérivés. Le plus possible. Jouets, livres d’illustration, jeux vidéo, diffuseurs d’huiles essentielles, montres à gousset, chaussettes, tout est imaginable. Et là, l’industrie du JV, du plastique, du jouet & co se régalent. Les intérêts de ces mangeurs de gâteaux dépassent bien vite ceux du mangaka qui aimerait bien passer à autre chose. Ah oui le capitalisme c’est moche, c’est comme ça, on nous avait pourtant prévenu.

Goku et Broly dans Dragon Ball Super Broly (critique)

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Parmi ces produits dérivés (dérivés très directement du dessin animé), on trouve souvent des OAV (original video animation), à savoir des métrages un peu plus longs qu’un épisode produit pour une diffusion télé. DBZ en a connu une dizaine dont certains aussi mythiques que la série de base. Leur intérêt narratif est nul et leur apport à l’univers initial l’est également. Ils ont juste pour fonction d’étendre la licence et éventuellement d’en faire émerger de nouveaux personnages (comme Bojack, Broly, Tapion, etc.) qui justifieront l’achat de nouvelles figurines, jeux vidéo… vous connaissez la musique. Leur simple cas est intéressant, car le budget étant plus élevé que pour un seul épisode, on bénéficie d’une animation beaucoup plus soignée et on se contente d’une histoire écrite sur un coin de nappe. Certains sont de très bonnes factures, apportent de très bonnes idées et font parfois d’excellentes choses avec l’univers initial. Par exemple, je suis un grand fan de L’Offensive des Cyborgs (1992) qui respecte un excellent rythme de baston et qui a des couleurs magnifiques, car le combat se déroule dans les glaciers. On retrouve des scènes de folie comme celle où Goku, Végéta et Trunks deviennent en même temps Super Saiyen. Bref ce sont typiquement les scènes qui représentent ce qu’on aime dans Dragon Ball. Pour des raisons similaires, Les 100.000 Guerriers de Metal (1992) est excellent également. Le problème, c’est que ces OAV suivent tous le même squelette narratif : les personnages principaux vaquent à leurs occupations, une menace arrive, ils vont la confronter, les ennemis sont trop puissants, San Goku trouve un moyen d’accumuler de l’énergie et les défonce. Si vous avez lu Dragon Ball, vous comprendrez que la caricature qu’on en fait vient davantage de là que de l’histoire telle qu’Akira Toriyama l’a écrite dans les quarante deux tomes de son manga. Ainsi, ces OAV se distinguent de l’œuvre originale en cela que, quelles qu’en soient leurs qualités, elles ne demeurent que des produits dérivés qui sont par conséquent absolument dispensables. Voilà qui nous mène enfin au film dont il est question. Car il est difficile d’être passé à côté du renouvellement de la licence Dragon Ball Z par le lancement de Dragon Ball Super en 2015 – nous y avions d’ailleurs consacré un article réflexif – qui se situe comme une suite officielle à l’histoire en faisant (injustement ?) fi de Dragon Ball GT (1996-1997). A titre personnel, je considère Dragon Ball Super comme un produit dérivé en soi n’ayant pour unique intérêt que de relancer une licence qui n’en a pas particulièrement besoin au regard de ce que furent Dragon Ball (manga et anime), l’idée clairement affichée étant de relancer la machine (à thune) par le prétexte d’un nouvel arc scénaristique. Malgré la méfiance initiale de beaucoup de fans, l’anime, comme le manga, firent un carton, et pas uniquement chez la génération ayant grandi dans les années 90. Très logiquement, ce « produit dérivé de produits dérivés » a eu besoin lui-même… d’un produit dérivé. A savoir, un nouvel OAV pour mettre tout le monde d’accord, un OAV pour les amener tous et dans les ténèbres les lier, un OAV reprenant l’un des personnages non-canoniques les plus populaires, Broly. Étant la seconde tentative de relancer le personnage, il fallait frapper un grand coup. Car l’OAV Broly sorti en 1995, malgré ses qualités narratives discutables, a créé un personnage condensant et décuplant tout un aspect crucial de DBZ : les muscles, les transformations et la violence décomplexée. Broly est conceptuellement la vitrine de ce qu’est DBZ dans ses bastons. Il est logiquement devenu l’un des personnages les plus populaires, même parmi les protagonistes existant de la chronologie initiale. L’objectif était donc ici d’être digne de ce Broly-là et aussi de faire oublier celui qui apparaît dans le dernier arc de Dragon Ball Super où il est en fait la fusion de deux personnages qui marqueront moins les esprits.

Broly dans Dragon Ball Super Broly (critique)

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La voie choisie ici est la bien classique origin story (et je dénoncerai pas les trois du fond qui ont soupiré en roulant des yeux, car j’ai fait pareil), exercice risqué dans un univers aussi simple et connu que celui de DBZ. On pardonnera ce navrant manque d’originalité en arguant que le film ne fait que suivre une tendance et que l’intérêt de ce genre d’OAV ne réside pas vraiment dans l’histoire. Ainsi, à l’époque où Sangoku vient tout juste de naître, Freezer qui est alors encore enfant est amené à gouverner la planète Végéta où vivent tous les saiyens, un peuple de guerriers colonisateurs. Le jeune tyran méprise les saiyens et finira par commettre son premier génocide en annihilant leur planète. Flairant la menace, les parents respectifs de Sangoku, Végéta et Broly réagissent et Sangoku est envoyé sur la planète Terre, Végéta est élevé dans le mensonge et sous les ordres de Freezer, tandis que Broly était déjà emmené en exil par son père sur une autre planète car celui-ci possédait un potentiel gigantesque qui posait déjà quelques problèmes dans la hiérarchie. La première moitié du récit raconte donc comment il grandit en étant canalisé par son père, puis comment il retourne sous les ordres de Freezer qui a pour projet de revenir sur Terre se venger de San Goku à une époque succédant aux événements de la série Dragon Ball Super. Si cela vous a semblé confus, il n’y a pas de souci à se faire, car outrepassant son exposition le film démarre vraiment au début de sa seconde moitié, quand Broly décide d’affronter Végéta puis Sangoku. Le scénario à partir de ce moment n’a plus d’importance, car la spécificité de l’OAV s’arrête ici. Dès ce moment-là commence la grosse baston dont les chorégraphies respectent les plus pures conventions de la série depuis les années 90. On coche toutes les cases du bingo sans même réfléchir tant on est certain de se prendre dans la gueule, et à une vitesse démesurée, tout ce qui a toujours fait le sel et la saveur des affrontements de la série. Peut-être aussi parce que depuis le temps, Dragon Ball ne peut plus rien être d’autre. Enfermé dans une caricature qui n’est plus celle des détracteurs, mais plutôt une autre, entretenue par les scénaristes pour pouvoir facilement pondre de nouvelles histoires. Dragon Ball Super a vu les caractères des personnages se simplifier (déjà qu’on ne part pas de haut), mais pire encore, se dévoyer. Car le San Goku du manga n’a jamais été le demeuré unidimensionnel qu’il est dans Super, à se comporter comme un crétin quand il n’a pas la bouche pleine, ou qu’il n’est pas en train de se battre. D’un point de vue culturel, cela n’est pas sans conséquences. Si l’œuvre originale existe toujours, le San Goku actuel nous est en quelque sorte imposé en lieu et place de l’ancien. Plus largement, le déroulement aussi bien de l’histoire que du combat est si sommaire qu’il en serait presque lamentable. On pourrait arguer que ce qui compte dans cette série ce sont les bastons, auquel cas je m’inscris en faux, car oui ça fait toujours plaisir de voir de la bonne bagarre entre super saiyen, mais là ça va faire tente ans qu’on nous fait applaudir au même numéro de cirque. Je veux dire, lorsque San Goku et Végéta doivent fusionner en Gogéta pour vaincre Broly, on nous refait une deuxième fois le coup des fusions ratées : « aha il est gros, ahah il est vieux ». La première fois quand c’est Akira Toriyama en roue libre qui signifie à ses lecteurs qu’il n’en a plus rien à faire de la cohérence de son manga, c’est rigolo. Quand ils ont réutilisé le gag dans Dragon Ball Z : Fusions (1995) face à Janemba, on levait déjà un peu les yeux au ciel. Alors là, recommencer en 2019, c’est juste devenu grotesque.

Goku en Saiyen Divin contre Broly dans Dragon Ball Super Broly (critique)

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Outre les bastons, quelques efforts ont été menés pour quand même nous raccrocher à l’univers de Dragon Ball : première chose qui avait marqué tout le monde lors du premier teaser, le chara -design est abordé différemment. Les traits sont plus fins, plus anguleux, le dessin des personnages se rapproche davantage des origines que de son espèce de lissage rondouillet et désagréable de Dragon Ball Super. Pareil pour les couleurs, celles-ci sont moins saturées et rappellent à certains égards l’OAV de L’offensive des cyborgs par ses teintes et ses contrastes (le décor étant tout en nuances de bleu et de blanc). De même, l‘ensemble est extrêmement bien animé, grâce au relais d’animateurs talentueux même si cette animation ne confère aucune véritable identité au long-métrage, tant les types de plans et mouvements de caméra ont été vus et revus des dizaines de milliers de fois dans d’autres animes d’action, ou même des animations gribouillées par des amateurs. Elles s’accordent juste parfaitement à des combats comme ceux de DBZ, mais elles ne sont finalement que des formules déjà éprouvées que l’on applique ici à la lettre car elles procurent l’effet attendu. Ce n’est pas un reproche en soi, c’est ainsi que fonctionne une industrie aussi hyper-productive que celle des animes japonais, mais du coup cela ôte un peu la spécificité que pouvait avoir la série en son temps. Il y a même des moments que l’on pourrait qualifier d’excès de zèle tant l’animation est ridiculement fluide, de même que l’usage intensif de CGI – parfois pour servir de modèle à de l’animation 2D traditionnelle, parfois pour des glaciers qui s’effondrent ou des jeux de lumière – n’est pas toujours joyeux, ni nécessaire, d’autant que cela nuit parfois à la clarté de l’action. Tout cela vire vite à l’excès – il s’agissait de mettre le paquet, après tout – car le projet est de faire une production pour le cinéma, donc « impressionnant », ou si vous préférez, « à la hauteur de ce que les fans d’anime aiment voir et attendent de DBZ ». Au final, l’objet semble être davantage une démonstration technique, un bilan de compétences de l’animation japonaise, plutôt qu’un long-métrage s’incluant parfaitement dans l’univers de la série originale.

Gogeta Saiyen Divin contre Broly dans Dragon Ball Super Broly (critique)

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Pour en revenir au récit, il loupe un aspect très important de l’original, à savoir, ses enjeux. De la même manière, l’histoire de Dragon Ball Super s’assoit également copieusement dessus, les affrontements ne recouvrent plus la moindre forme de gravité. Ils ne sont qu’un prétexte pour des chorégraphies et la mise en valeur des nouvelles transformations moches, même si d’aucuns diront que cela a toujours été le cas. Sauf que non, même si on savait que les héros gagneraient d’une façon ou d’une autre, les personnages saisissaient bien que la planète était fichue s’ils échouaient et cela était régulièrement exprimé. Là, nada. Et à la fin, Goku sympathise même avec Broly en lui laissant la vie sauve pour qu’il puisse s’entraîner. Une approche différente par rapport au premier long-métrage contre Broly qui était beaucoup plus désespérée. Aucun des combattants ne pouvait le battre et tout était au service de cette ambiance : les couleurs, la mise en scène, les musiques, etc. Ici, le film est à l’image de son enjeu soit juste un combat pour le plaisir du combat. Un truc dont on pouvait tellement se passer que personne ne l’avait jamais demandé. En cela, Dragon Ball Super Broly n’en dit pas tant sur Dragon Ball que sur la licence Dragon Ball Z, même si on avait déjà compris le projet avec Dragon Ball Super qui trouve à la fois un public chez les jeunes qui découvrent l’univers et chez les nostalgiques du Club Dorothée (pour la France) qui ont grandi avec. DBZ est un doudou générationnel qui suscite parfois une passion excessive et déraisonnable – peut-être même la mienne. La condition pour aimer Dragon Ball (le manga initial ou l’anime) est d’accepter que la Toei et la Shueisha en fassent ce qu’elles veulent. Si les personnages doivent être transformés, si d’autres doivent remplacer les anciens pour que les nouveaux produits se vendent, alors au diable l’œuvre originale. « Ah vous aimez DBZ ? Bah prouvez-le, regardez on a ressorti des figurines en plastique hyper fidèles, il vous les faut. Oh et regardez, on a fait un partenariat avec MacDonald, San Goku fait la fusion avec une machine à commander. Allez chez Macdonald. Et regardez le gros sticker Dragon Ball Super qu’on a mis sur les trains Ouigo, prenez les trains Ouigo. » Dans la longue liste des trucs abusés faits avec la licence, ces exemples ne sont même pas les plus significatifs, et pourtant dans le genre « signal d’alerte sur ce qu’est devenue la licence », ça se place là.

Une fois tout ceci dit, on peut admettre que DBS Broly est, malheureusement, l’exemple parfait dont on pourrait partir pour illustrer le fait qu’il faut savoir laisser au XXème siècle ce qui appartient au XXème siècle. Cela s’accompagne d’une analyse et d’une prise de recul sur la pop culture, piège consumériste absolument parfait (voir notre article L’Impasse du Pop) Une œuvre n’y occupe aucune place si elle ne pèse pas au moins dix fois son poids en produits dérivés. Cette critique doit cohabiter avec l’expression bien légitime du pur plaisir que l’on peut prendre devant un bon Marvel, un bon anime ou un bon blockbuster, évidemment. Mais le « coût culturel » (mais aussi environnemental et social) est malheureusement plus élevé que l’apport de l’œuvre au moment de sa parution. On pourrait en faire une analyse politique plus poussée, et même, pourquoi pas, en faire une de Dragon Ball, mais avant cela on pourrait se demander quels ingrédients il faut pour définir une « culture populaire », tout comme il conviendrait de se questionner sur les raisons pour lesquelles des intérêts privés (souvent contraires à la création, l’inventivité et à la santé d’une société) cherchent à tout prix à se la ré-approprier et à la détenir si fermement. 


A propos de Nicolas Dewit

Maître Pokémon depuis 1999, Nicolas est aussi champion de France du "Comme ta mère" discipline qu'il a lui même inventé. Né le même jour que Jean Rollin, il espère être sa réincarnation. On sait désormais de source sure , qu'il est l'homme qui a inspiré le personnage du Dresseur "Pêcheur Miguel" dans Pokemon Rouge. Son penchant pour les jeux vidéoludiques en fait un peu notre spécialiste des adaptations cinématographiques de cet art du pauvre, tout comme des animés japonaises pré-Jacques Chirac, sans vraiment assumer. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNYIu

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