Le Château de Cagliostro


Quarante ans après sa sortie japonaise, voici donc qu’est distribué, pour la première fois dans les salles françaises, Le Château de Cagliostro, le premier long-métrage d’Hayao Miyazaki. Et aussi, accessoirement, son premier chef-d’œuvre.

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Monument Historique

Quarante années à devoir patienter… Alors que l’Occident découvrait les merveilles du studio Ghibli au milieu des années 1990, avec en premier lieu Porco Rosso (Hayao Miyazaki, 1995 pour la sortie française), son tout premier long-métrage en tant que réalisateur ne sort qu’au début de cette année 2019. La faute à un box-office japonais décevant, une méconnaissance du travail de Miyazaki en France et surtout à un litige juridique entre les héritiers de Maurice Leblanc, qui refusaient l’utilisation du nom de « Lupin », en référence au fameux gentleman cambrioleur français, autre part qu’au Japon. C’est d’ailleurs pour cela que les fans du réalisateur japonais ont pu déjà découvrir l’objet dans une édition VHS des années 80 avec le protagoniste affublé du tantôt du pseudonyme « Vidocq » puis « Edgar de la Cambriole » ! En effet, Lupin III est une série de mangas du manga-ka Monkey Punch, mettant en scène un cambrioleur élégant et raffiné. Son succès d’édition incita les producteurs de la TMS Entertainment à sortir d’abord une série, puis un premier long-métrage, Edgar de la Cambriole : Le Secret de Mamo (Soji Yoshikawa, 1978 au Japon, inédit en France). Le jeune Miyazaki, déjà sorti des studios de la Toei à l’époque, devient co-réalisateur de la série animée, et c’est donc tout naturellement que les producteurs font appel à lui pour réaliser le second opus : Le Château de Cagliostro (Hayao Miyazaki, 1979). Voici donc notre héros Lupin/Edgar avec son acolyte de toujours Jigen sur la piste de faux-monnayeurs, qui le conduit tout droit à la principauté de Cagliostro, un micro-État richissime d’où semble venir la fausse monnaie. Mais sur la route de ce nid de vipères, les deux compères vont voler au secours de la belle Clarisse, poursuivie par des assaillants déterminés et peu commodes.

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Il faut voir l’introduction du Château de Cagliostro pour comprendre que nous avons affaire à un chef-d’œuvre. Le style haché est certes conforme aux attentes de l’époque, mais c’est surtout le rythme endiablé et l’économie de plans qui retient l’attention : les quatre premières scènes (dont le générique) qui forment l’exposition lancent l’histoire à toute berzingue. On compte en moins de dix minutes pas moins de deux courses-poursuites défiant les lois de la physique, où Lupin et Jigen deviennent tour à tour chassés et chasseurs, au volant d’une voiture qui ressemble étrangement à la « 2 chevaux » de Miyazaki vue dans Never-Ending Man : Hayao Miyazaki (Kaku Arakawa, 2019) ! Porté par un rythme de production soutenu (sept mois entre le début de l’écriture et la sortie du long-métrage, dont cinq mois seulement de production), la frénésie et la maîtrise de ce scénario entre le film d’aventure et l’enquête policière font de cette réalisation tout simplement une référence du genre. Une rumeur persistante dit que Spielberg aurait vu l’objet en projection à Cannes et aurait déclaré qu’il s’agissait d’un « des plus grands films d’aventures de tous les temps ». Si la rumeur n’a jamais été confirmée, l’édition anglophone du DVD par Manga Video l’a jugée suffisamment pertinente pour l’inscrire sur la devanture de ses jaquettes ! Pour revenir à des aspects tangibles et vérifiés, Le Château de Cagliostro a porté le titre de meilleur anime de tous les temps au moment de sa sortie, et fut détrôné cinq ans plus tard par… Nausicäa de la vallée du vent (Hayao Miyazaki, 1984). Car la première réalisation d’Hayao Miyazaki impressionne par son découpage au cordeau, fruit du travail méticuleux et perfectionniste du réalisateur, qui peut mettre à profit sa technique apprise de ses années à la Tôei, sous la direction notamment d’Isao Takahata. C’est d’ailleurs avec feu le réalisateur du Tombeau des lucioles (Isao Takahata, 1986) que Miyazaki partage sa passion pour l’Europe, tout particulièrement la France et le long-métrage La Bergère et le ramoneur (Paul Grimault, 1956) qui a durablement marqué les esprits des animateurs japonais. Pour quiconque ayant vu les deux œuvres, il ne fait aucun doute que le château du Comte de Cagliostro sort tout droit de l’univers inventé par Jacques Prévert et Paul Grimault : une verticalité imposante, un style gothique inquiétant, des trappes secrètes invisibles s’ouvrant subitement sur des oubliettes sans fond,… L’hommage est total.

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Mais plus qu’une commande exécutée scolairement dans laquelle Miyazaki aurait compilé toutes ses marottes du moment, ce premier effort entrouvre sa future carrière de génie en présentant la plupart des thèmes chers au cinéaste. Bien qu’il ne soit pas question de divinités ou de récit initiatique dans ce divertissement haut de gamme, on retrouve la figure des deux acolytes avec Lupin et Jigen – de même sexe dans son clip On Your Mark (1995) et Le Vent se lève (2013), de sexe différent dans la quasi-totalité de ses autres films – le personnage de Clarisse incarne une vision de la femme forte peu commune à son époque (tout comme Nausicäa, Sheeta, Kiki, San, Chihiro et Sophie le seront par la suite) et la mécanique sous toutes ses formes trouve ses premières lettres de noblesse dans le final qui se déroule… dans une tour d’horloge ! Les engins volants et les châteaux ambulants suivront par dizaines dans une perpétuelle conquête du ciel. La scène de l’horloge marquera tellement les esprits qu’elle sera reprise quelques années plus tard comme un hommage assumé dans le film d’animation Basil, détective privé (Ron Clements, Burny Mattinson, David Michener & John Musker, 1986), produit par les studios Disney. Ainsi, malgré la présence d’un cahier des charges (notamment l’intervention des personnages de la série animée comme l’inutile samouraï Goemon, fan service oblige), Miyazaki fait de ce film de commande une œuvre tout à fait personnel. Outre les inspirations précédemment citées, c’est le changement graphique du protagoniste qui est frappant. D’un visage rugueux et adulte, le trait de Lupin s’est adouci, devenant rond et enfantin. Son honneur est renforcé (on ne touche pas à une princesse, alors que le héros de la série était « l’homme le plus pervers du monde ») et sa perversité amoindrie : un chevalier blanc miyazakien tout à fait compréhensible et appréciable par les plus jeunes.

Voir Le Château de Cagliostro sur grand écran sera un pur plaisir pour l’enfant qui sommeille en vous et qui n’attend que d’être émerveillé. Il n’y a qu’à juger des cris du public (exclusivement adulte), pris de vertige lors d’une acrobatie périlleuse de Lupin sur le toit du château. La salle entière retenait son souffle pour ce héros si attachant. Une véritable expérience de cinéma pour débuter 2019, et une bouffée de nostalgie pour ceux qui, comme moi, ne l’avaient vu qu’en DVD des années auparavant. La version japonaise se révèlera d’ailleurs assez décevante pour ceux qui ont encore les voix bien franchouillardes en tête, qui se révèlent tout à fait adéquates avec les inspirations et le style européen des personnages et des décors. Il n’y a plus à attendre.


A propos de Baptiste Salvan

Tombé de la Lune une nuit où elle était pleine, Baptiste ne désespère pas de retourner un jour dans son pays. En attendant, il se lance à corps perdu dans la production de films d'animation, avec son diplôme de la Fémis en poche. Nippophile invétéré, il n’adore pas moins "Les Enfants du Paradis", son film de chevet. Ses spécialités sont le cinéma d'animation et les films japonais. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZQHW

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