Ghibli se cherche un successeur. Ou plutôt, ses successeurs cherchent à revendiquer leur filiation avec le mythique studio. Après Mary et la fleur de la sorcière (Hiromasa Yonebayashi, 2018) issu d’anciens animateurs de Ghibli, c’est au tour de Kitaro Kosaka de nous proposer Okko et les fantômes, son premier long-métrage en tant que réalisateur.

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Les Fantômes de Ghibli
La filmographie de Kitaro Kosaka est impressionnante. Travaillant dans l’ombre en tant qu’animateur-clé sur les premiers chefs-d’œuvre du studio Ghibli tels que Nausicaä de la vallée du vent (1984) ou Le Château dans le ciel (1986) du maître Hayao Miyazaki, ainsi que sur Le Tombeau des lucioles (1986) et Pompoko (1994) du regretté Isao Takahata, on le retrouve également sur d’autres monuments de l’animation japonaise (et mondiale !) : Akira (Katsuhiro Ōtomo, 1988), et Metropolis (Rintarō, 2001). Évoluant principalement au sein des studios Ghibli, il devient coresponsable de l’animation sur les réalisations plus récentes – Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro, Le Château ambulant (autant de films que l’on ne présente plus…) – pour finir directeur de l’animation sur Le vent se lève (Hayao Miyazaki, 2013). Excusez du peu.

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Cependant, désirant sans doute se débarrasser de cet imposant pedigree pour mieux creuser son propre sillon, Kosaka tente de prendre ses distances avec l’esthétique dominante de sa première partie de carrière pour mettre en scène l’adaptation d’un manga à succès, destiné aux jeunes enfants. Pourtant, ses années Ghibli se ressentent jusque dans les décors sylvestres du récit, prenant place dans le minshuku (auberge traditionnelle japonaise) de la grand-mère d’Okko, une jeune fille nouvellement orpheline après le décès de ses parents dans un accident de voiture. Essayant de surmonter le deuil de ses parents, Okko devra apprendre à se dépasser à l’école et dans son travail d’aubergiste. Pour cela, elle pourra compter sur l’aide de deux fantômes enfants et d’un petit diablotin qui « hantent » les lieux. Ce récit initiatique (ou plutôt chronique d’apprentissage) prend sa source aussi bien chez Mon Voisin Totoro (Hayao Miyazaki, 1988), qui racontait déjà à sa manière l’histoire de deux sœurs surmontant l’absence de la mère grâce à des créatures enchantées, que dans Le Voyage de Chihiro (2002), où une jeune fille passait à l’âge adulte en se frottant aux tâches éprouvantes d’entretien d’un onsen (bain public japonais) pour divinités. On retrouve même une citation directe du film quand Okko passe la serpillère par terre, avec autant de maladresse que son aînée Chihiro !

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Quoi de mieux en effet pour parler de l’enfance et du deuil que la mise à distance du film d’animation ? Mais cela ne signifie pas mettre à distance ses émotions et se complaire dans une représentation édulcorée de la vie : les œuvres des maîtres Miyazaki et Takahata sont là pour le rappeler. Ici, Kosaka peine à faire poindre l’émotion autrement que par les facéties des petits monstres kawaii qui accompagnent l’héroïne dans ses péripéties. Le trait simple des personnages, animés façon série télévisée shonen, détonne avec les décors riches et, pour le coup, très cinématographiques. Une tension entre le passé et le présent à l’image de la rivalité entre les minshuku de la ville : l’auberge traditionnelle d’Okko et sa grand-mère contre l’immense établissement moderne de la « rivale » d’Okko à l’école, Matsuki, alias « Gros nœud rose » (dont le surnom vous laisse déjà apprécier son look kitschissime). Même si le travail graphique force l’admiration, ce mélange des genres déçoit.
Dans ce récit éparpillé, au matériau plus propice à une série télévisée, défile une ribambelle de personnages secondaires ayant tous plus ou moins été confrontés à la mort d’un être proche. Le long-métrage se décompose alors en saynètes plus ou moins sympathiques. Et ce qu’on retient finalement le plus, ce sont les mimiques exagérées des fantômes (un doigt dans le nez ou des mouvements de bras excessifs) qui feront rire à coup sûr. Dommage, car l’argument du film appelait à un récit autrement plus dense et complexe. Okko et les fantômes est ainsi un objet au ton doucereux qui se conclut sur une morale très respectable (le don et le dépassement de soi), quoique très appuyée. C’est gentil et ça ne fait de mal à personne. Pour les vertiges émotionnels, on repassera. La cible « jeunes enfants » impose une nouvelle fois ses limites.