Halloween II & III


Ré-édités dans de beaux coffrets par les amis du Chat qui fume, les deux premières suites données au chef-d’œuvre de John Carpenter, Halloween, La nuit des masques (1978), sont, à bien des égards, des modèles du genre. Y revenir est pour nous l’occasion, pour une fois, de prouver qu’exploiter une franchise ne signifie pas forcément se compromettre dans la nullité la plus crasse.

Michael Myers en torche humaine dans les couloirs de l'hôpital, scène du film Halloween 2.

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Etendre sans trahir

Laurie Strode, jouée par Jamie Lee Curtis, en nuisette d'hopital dans une chambre juste éclairée par la lueur de la lune,, scrute l'arrivée du tueur Michael Myers.

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Notre choix de chroniquer dans un seul et même article les deux suites d’Halloween n’est certainement pas évident et surprendra peut-être plusieurs de nos lecteurs. En effet, ces deux longs-métrages, bien que sortis simultanément par le même éditeur et surtout appartenant visiblement à la même franchise, sont extrêmement différents. L’un est une suite directe du premier opus, reprenant là où tout s’achevait, retrouvant les mêmes personnages et la même arène de récit ; l’autre est autant une variation – évidemment cela se déroule toujours autour et pendant la fameuse nuit d’Halloween – qu’une proposition radicalement différente. Vous n’y trouverez ni Michael Myers, ni Laurie Strode, encore moins le docteur Loomis, mais de nouveaux personnages et la proposition d’un avenir complètement neuf pour la franchise. Avenir qui n’aboutira pas, nous y reviendrons. Alors, pourquoi, malgré ces différences entre les deux projets, vouloir les traiter ensemble ? D’abord parce qu’en rien ils ne rentrent en contradiction l’un avec l’autre, mais surtout parce qu’ils nous permettent de préciser notre pensée quant à la « franchisation ». Ces dernières années poussés par la médiocrité esthétique et thématiques des différentes productions poursuivants des franchises plus ou moins datées – essentiellement sous l’impulsion des studios Disney – nous avons plus d’une fois décrié cette tendance hollywoodienne en ce qu’elle représente un refus de l’originalité et d’uniformisation des contenus. A force de la dénoncer à longueur d’articles colériques, on pourrait croire que la simple idée de parler d’une suite nous donne des boutons. Que, quoi qu’il advienne, celui qui essayerait de mettre en place une franchise à partir d’un premier long-métrage, avec la mise en place d’un retour annuel de la saga, suscitera immédiatement notre colère et notre désapprobation. Le travail de Rick Rosenthal et Tommy Lee Wallace nous permet une forme de rectification. Car, avant toute chose, ce qui rassemble Halloween II (Rick Rosenthal, 1981) et Halloween III : Le Sang du Sorcier (Tommy Lee Wallace, 1982) c’est qu’ils sont tous les deux des modèles du genre. Certains préféreront l’un à l’autre par goût personnel – dans mon cas, c’est le Rosenthal qui emporte assez largement la mise, mais ce n’est pas le plus important – cependant ils nous permettent de constater qu’on peut donner suite à un chef-d’œuvre absolu sans le trahir, ou le copié-collé bêtement. Comme pour beaucoup d’amoureux des cinémas de genres, le séminal Halloween de John Carpenter sorti en 1978 est l’un de mes films préférés, un diamant brut à la beauté éternelle. Cet amour que je lui porte peut me faire redouter a priori quelconque suite. Mais alors, qu’est-ce qui explique la réussite de celles-ci ? C’est d’abord un respect remarquable de l’univers posé dans le chef-d’œuvre d’origine.

Michael Myers avec son couteau, dans la salle de surveillance vide de l'hôpital, scène angoissante du film Halloween II.

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John Carpenter, s’il n’est pas le réalisateur des deux opus que nous chroniquons, est clairement à la manœuvre. Les raisons qui le poussent à accomplir ces suites, en particulier la première, ne sont sûrement pas uniquement artistiques. Il y a évidemment une volonté opportuniste derrière tout ça, celle de faire le plus d’argent possible, Halloween étant à cette époque, le long-métrage le plus rentable de l’histoire du cinéma. Là encore, on pourrait croire que cette basse motivation pourrait discréditer de facto les suites. Ce n’est pas le cas. Au moment d’aborder la première de ces suites, John Carpenter et Debra Hill, tous deux scénaristes, ont largement réfléchi à ce qui pourrait rendre cohérent un retour de Michael Myers. Dans la présentation qu’on trouve dans les bonus de cette édition, Éric Peretti montre bien comment ceux-ci ont essayé de résoudre intelligemment tous les problèmes que pouvaient poser une continuation de l’aventure initiale. Il était question de faire revenir le tueur plusieurs années plus tard, ce qui posait plusieurs soucis de crédibilité. En choisissant de faire démarrer l’histoire à l’instant où la précédente s’est achevée, les auteurs respectent parfaitement ce qui a été posé dans le précédent opus, tout en étendant intelligemment la mythologie de son univers – en développant par exemple l’idée, très belle et si forte symboliquement, que Laurie Strode serait la sœur de Myers. Au-delà de l’intelligence de ce choix de récit sur le plan de la cohérence mythologique, il faut dire à quel point il est radical formellement. Une seule autre saga a osé ce choix étrange et beau, celle des Phantasm de Don Coscarelli, ardemment défendue dans nos colonnes. Halloween II est par bien des aspects la parfaite prolongation du slasher originel. Constituant tout son récit dans la même nuit d’Halloween, il étend le cauchemar de manière presque infinie, ce qui est là aussi très cohérent avec l’ultime disparition de Myers. Au-delà du respect de cette figure culte, le long-métrage conserve évidemment la forme du premier épisode. On retrouve le superbe usage de la profondeur de champ, l’intelligence du découpage, le sens de la surprise, ces longs travellings menaçants, etc. Carpenter ayant réalisé quelques séquences, nous ne sommes pas étonnés de cette maestria. Il faut tout de même rendre hommage à Rick Rosenthal, au moins habile faiseur – même s’il réalisa l’un des pires épisodes de la franchise, à savoir Halloween : Resurrection (2002) – ou, au mieux, metteur en scène inventif. Notons qu’on lui doit notamment la réalisation d’un merveilleux et traumatisant épisode de Buffy contre les vampires, l’extraordinaire Normal Again (S06E17) qui contient parmi les plus beaux moments de mise en scène de la série. D’ailleurs, coïncidence amusante, l’épisode se déroule pour une bonne partie dans un hôpital psychiatrique, puisque Buffy y est convaincue par des médecins que tout ce qu’elle a vécu depuis le début de la série – la prophétie la consacrant Slayer, son combat contre les vampires, etc… – n’était que le fruit de son imagination, de ses névroses, de son esprit malade et torturé. Or, l’une des grandes qualités d’Halloween II vient de son identique concentration dans un hôpital. En effet, plus de la moitié du récit se déroule dans un hôpital où Laurie a été emmenée pendant que la police recherche Myers dans le quartier. Évidemment, le Boogeyman parviendra à s’infiltrer dans l’institut et à y semer la terreur. C’est probablement dans cette partie que la mise en scène et le scénario redoublent d’inventivité, dans la cruauté et la surprise, les deux ingrédients essentiels des meilleurs slashers. L’impossible mouvement de certains malades drogués ou cloués au lit, les longs couloirs blanchâtres vidés par la nuit, l’inattention des gardes, tout cela est utilisé avec inventivité et maestria. Il faut le dire, Halloween II est l’une des pièces maîtresses de l’histoire de ce genre, au-delà du fait d’être une suite presque parfaite. Le revoir dans cette belle copie permet de réaliser à quel point il doit être réévalué à sa juste valeur, mais aussi de dénoncer le choix trop pressé et injuste d’effacer les évolutions proposées ici, dans le dernier épisode réalisé, Halloween de David Gordon Green (2018). Si nous avions défendu dans cet article cette énième variation – pour son maniérisme soigné et sa déférence modeste envers le long-métrage de Carpenter – il pouvait tout à fait être le même film sans annuler les apports de Rosenthal et prétendant ainsi faire mieux que lui. Ce qui n’est assurément pas le cas.

Une victime du film Halloween 3 tente d'enlever le masque maléfique de citrouille qui la fait souffrir.

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Halloween III de Tommy Lee Walace est donc un cas bien différent. Contrairement au deuxième opus, le long-métrage ne se place pas dans l’héritage direct de La Nuit des masques. Carpenter voulait avec ce projet faire changer de voie à la franchise : proposer une série « d’anthologie », un équivalent de La Quatrième Dimension pour l’épouvante, où tous les ans une nouvelle aventure se déroulerait le soir d’Halloween, avec à chaque fois un nouvel ennemi, une nouvelle menace. Le choix de le placer dans la même saga et d’en faire une suite était donc, là encore, un choix d’ordre principalement financier – d’ailleurs Eric Peretti dans sa présentation de ce film-ci raconte bien comment Carpenter et les autres ne se sont pas privés dans la promotion de jouer cette carte en multipliant les références à Myers et aux précédents opus. Pourtant, derrière la radicalité du geste, on retrouve bien ce qui fait la sève d’Halloween, en particulier dans la mise en scène d’abord, ainsi que la cruauté et la violence de chacune des morts. Halloween III : le sang du sorcier raconte le plan diabolique d’un soi-disant fabriquant de jouet, Conal Cochran, qui par l’intermédiaire de masques qu’il confectionne, parviendra à tuer un bon nombre d’enfants et tout leur entourage. Il est accompagné d’hommes de main robotiques – des automates terrifiants qui permettent à Tommy Lee Walace de rejouer les effets d’apparition/disparition de Myers dans les précédents épisodes – et surtout aidé par une publicité à la télé, encourageant les enfants à se procurer les masques. On retrouve là quelque part, l’anticapitalisme horrifique et la critique des médias de masse du réalisateur de They Live / Invasion Los Angeles (John Carpenter, 1988) qui offrent ses plus belles visions, et ses plus beaux meurtres à Halloween III. On peut regretter toutefois quelques défauts – les nouveaux personnages, dont le principal incarné par Tom Atkins, ne sont pas passionnants et on trouve quelques-unes des dérives des films d’horreur de cette époque, une mise en scène plus fonctionnelle ici, un scénario parfois pressé dans ses évolutions et surtout une sous-écriture des personnages féminins et une certaine misogynie (à mon avis totalement absente des Blu-Ray des films Halloween II et Halloween III édités par Le Chat qui Fume.deux précédents opus, contrairement aux clichés véhiculés sur eux) – mais il faut absolument défendre cette tentative passionnante. Si Debra Hill n’est plus au scénario et que John Carpenter n’est pas crédité, il est évident que sa patte se fait sentir et qu’il y a participé activement. On apprend dans l’entretien avec Peretti que Carpenter a également fait appel au grand scénariste Nigel Kneale, créateur de l’illustre personnage Bernard Quatermass, et qui, bien qu’il ait demandé à faire retirer son nom du générique et se soit offusqué des modifications apportées à “son” scénario, a laissé une belle emprunte originale et terriblement sombre à ce passionnant opus. Cet Halloween III, en plus d’être un pari incroyablement audacieux est un choix d’évidence : l’histoire de Michael Myers était parfaitement achevée avec Halloween II. En tentant de donner une nouvelle impulsion à la franchise, Carpenter permettait de l’étendre sans la trahir, d’être neuf tout en restant cohérent. Évidemment, cela ne fonctionna pas du tout, et c’est ce qui rend le visionnage extrêmement triste. Le film connut un relatif échec, et surtout un mépris grandissant jusqu’à aujourd’hui, alors qu’il méritait bien mieux. Les suites feront donc revenir Michael Myers et seront de plus en plus mauvaises avant que les audacieuses tentatives de Rob Zombie, et la relative (mais vaine) réussite de David Gordon Green, ne viennent sauver l’honneur. Ces deux suites rééditées par Le Chat qui Fume sont donc à la fois la preuve qu’on peut créer une franchise à partir d’un chef-d’œuvre sans le trahir ou le faire sombrer dans la nullité crasse, tout en étant celle du contraire… Car ces deux beaux films n’auront rien pu faire pour empêcher ce destin visiblement inévitable. 


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm

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