Sleepy Hollow


Alors que son projet Superman Lives reste sur les rotules, Paramount propose à Tim Burton de réaliser Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête (1999), d’après un scénario de Kevin Yagher, connu pour ses maquillages et effets spéciaux, et Andrew Kevin Walker, auteur de Se7en (David Fincher, 1995). Après la déception d’un projet avorté, le réalisateur californien semble trouver l’histoire idéale pour relancer sa fibre artistique. Encore faut-il savoir garder la tête sur les épaules.

Johnny Depp dans Sleepy Hollow (critique)

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The Village

Dire que Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête est un long-métrage gothique et fantomatique serait un euphémisme plus grand que d’affirmer que Michael Bay est un bon artificier. Alors oui, ce long-métrage signé Tim Burton transpire son art et son goût, alors qu’il s’agit – pour une fois – d’une production dont il n’est pas à l’origine. De toute sa filmographie, et même avec les œuvres qui suivront, Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête reste sûrement le long-métrage de Burton qui se rapproche le plus des productions de la Hammer, que le cinéaste apprécie tant et dont l’influence rendra si singulier son univers esthétique. Après des inserts énigmatiques sur une lettre, un sceau, un testament, l’introduction met en scène une séquence d’épouvante où un vieil homme se retrouve face à face au cavalier sans tête, avant, justement, de la perdre…Sa tête. Premier d’une longue liste de meurtres par décapitation, c’est une légende de la Hammer qui envoie Ichabod Crane résoudre le mystère : Sir Christopher Lee dans le rôle du bourgmestre. Une fois cette introduction passée, le long-métrage s’émancipe de ces influences pour trouver une voie qui lui est propre, et surtout dans la direction de la filmographie du cinéaste, entre romantisme, humour et horreur.

Johnny Depp/Ichabod Crane lors d'une analyse scientifique (critique du film Sleephy Hollow)

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Il est facile d’affirmer que Ichabod Crane, sous les traits de Johnny Depp, est – et reste encore aujourd’hui – l’une des plus belles figures romantiques de l’univers de Tim Burton, sentiment qu’il n’assume pas tout à fait dans le début de l’histoire avant de l’adopter pleinement dans son dernier acte. En effet, Ichabod Crane, inspecteur de police aux méthodes modernes et avant-gardistes, refuse de croire à la possibilité d’un démon revenu des morts. Ce n’est que par la proximité avec son jeune assistant Masbath et celle de Katrina Van Tassel que Ichabod comprend et tolère la présence du surnaturel dans son processus d’élucidation des meurtres. Et même, de manière plus étonnante, le cinéma lui-même joue un rôle particulier dans la construction du récit de Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête. Au fur et à mesure que le scénario avance, on comprend que Katrina Van Tassel a été formée, de manière naturelle, à quelques fondements de sorcellerie par le biais de sa défunte mère, ce qui permet de faire le lien avec la propre mère d’Ichabod Crane, qui possède les mêmes enseignements et que l’on a tuée pour cela. Or, dans l’un des souvenirs du jeune protagoniste, sa mère use d’un thaumatrope, surface plane où un oiseau est dessiné sur l’une d’elle, tandis qu’une cage est présente de l’autre côté. Lorsque l’on tourne le thaumatrope sur lui-même, grâce à une ficelle accroché de chaque côté, une illusion d’optique opère et offre l’impression de visualiser un oiseau en cage, rassemblant « magiquement » les deux images, pourtant séparées. Au même titre que la lanterne magique, elle aussi présente dans une séquence charnière, le thaumatrope est une invention emblématique du pré-cinéma. Il n’est pas anodin de constater les liens que suggère Tim Burton entre la sorcellerie, plus généralement la magie, et le cinéma puisque les personnages qui en usent permettent à son cinéma d’exister. Il y a comme un élément de cause à effet, la magie et le surnaturel que souhaite mettre en scène le cinéaste ne peuvent exister que par le prisme du cinéma et deviennent donc, naturellement, un art de sorcellerie, le cinéma empruntant énormément aux prestidigitateurs dès sa naissance au début du XXème siècle avec notamment George Méliès. La séquence de la lanterne magique quant à elle a un effet plus esthétique et funeste, puisqu’au moment même où la jeune mère allume la lanterne pour son enfant, le cavalier sans tête apparaît au bout du village et se dirige vers eux pour réclamer les trois têtes de la maison. L’outil de pré-cinéma à l’allure de phare, diffusant des formes de sorcières et autres lutins magiques sur les murs de la chambre du jeune enfant résonne comme un appel du surnaturel au surnaturel, appelant le cavalier sans tête pour qu’il se montre. Là encore, c’est le cinéma qui provoque l’apparition du fantastique. L’ultime lien entre les deux se trouvant dans la simple existence des effets spéciaux, entre cinéma et trucages de magiciens, qui sont les seules véritables outils grâce auxquels le fantastique du cinéma de Burton existe. Derrière cette histoire de meurtres à résoudre, Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête narre essentiellement le processus de croyance du personnage principal, qui réfute l’existence même de la magie avant d’en tomber littéralement amoureux, par le biais de Katrina Van Tassel – sublime interprétation de la part de Christina Ricci. Ainsi, Tim Burton se base sur l’adage qu’il faut le voir pour y croire, le cinéma étant l’outil qui permet de voir autant que de croire.

Christopher Walken en fantôme dans Sleepy Hollow (critique)

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En plus du scénario, cette volonté de croire par le cinéma passe essentiellement par la forme. En cela, les premières images du long-métrage jouent un rôle prédominant. Après l’introduction, et alors que les crédits d’ouverture apparaissent à l’écran, le spectateur suit le chemin d’Ichabod Crane vers Sleepy Hollow. La direction photographique de Emmanuel Lubezki fait des merveilles, réussissant à installer une ambiance en quelques plans de paysages seulement, fixant l’axe esthétique du long-métrage pour l’heure quarante-cinq qui suivra. La réalisation de Tim Burton y trouve alors une nouvelle jeunesse, et s’essaye à de nouveaux angles et nouvelles dynamiques, ne rappelant aucune des autres réalisations déjà existantes du cinéaste. Il en est de même pour l’interprétation de Johnny Depp, qui ne s’est pas encore transformé en parodie de lui-même et qui réussit aussi bien dans l’extravagance que dans la retenue. Son Ichabod Crane, un brin naïf et acharné, est le ciment entre le mystère autour de tout un village et la fable folle d’un chevalier revenu des morts à la recherche de son crâne. Il est le lien entre le rationnel et le surnaturel, et trouve sous les traits de Johnny Depp la lucidité et la folie nécessaires pour caractériser ce sentiment à l’écran en plus d’être un formidable propos méta sur la propre condition de réalisateur de Tim Burton, cherchant un sens aux histoires qui l’entourent. Troisième collaboration entre l’acteur et le réalisateur, Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête scelle à tout jamais la relation d’alter ego que les deux hommes continueront d’alimenter ensemble, année après année, film après film. Si le cavalier est à la recherche de sa tête, il est certain que Tim Burton, lui, a trouvé avec ce projet, sa figure fantasmée, celle qui le représentera au pays des songes, de la rêverie et du fantastique : du cinéma.


A propos de William Tessier

Si vous demandez à William ce qu'il préfère dans le cinéma, il ne saura répondre qu'avec une seule et simple réponse. Le cinéma qu'il aime est celui qu'il n'a pas encore vu, celui qui ne l'a pas encore touché, ému, fait rire. Le teen-movie est son éternel compagnon, le film de genre son nouvel ami. Et dans ses rêves les plus fous, il dine avec Gégé.

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