Entre Charlie et la chocolaterie (Tim Burton, 2005) et Sweeney Todd : le diabolique barbier de Fleet Street (Tim Burton, 2007), le réalisateur le plus gothique d’Hollywood nous avait offert Les Noces Funèbres (2006), véritable premier long-métrage en stop-motion qu’il signa en tant que réalisateur. Pour cela, il s’entoure de ses plus fidèles collaborateurs et livre une histoire dont il est le seul à posséder le secret, entre cauchemars sanglants et douces rêveries amoureuses.
Les Autres
Bien que son nom se trouve dans le titre original, Tim Burton n’assurait « que » les rôles de scénariste, directeur artistique et producteur sur L’étrange Noël de Mr. Jack (Henry Selick, 1993), long-métrage d’animation déjà réalisé en stop-motion à l’époque. Après les studios Disney, c’est vers de nouveaux venus dans le sillon de l’animation, le studio Laika, que se tourne l’artiste pour un projet animé, qu’il réalisera cette fois-ci : Les Noces Funèbres. Alors oui, à l’époque, le nom de ce jeune studio de production ne disait pas grand-chose au public. Aujourd’hui, Laika c’est Coraline (Henry Selick, 2009), L’étrange pouvoir de Norman (Sam Fell et Chris Butler, 2012), ou encore le sublime – et sûrement leur chef-d’œuvre à date – Kubo et l’armure magique (Travis Knight, 2016). Spécialisé dans l’animation en stop-motion, procédé long et laborieux mais qui offre une esthétique que nul ordinateur numérique ne pourra jamais égaler, la « magie Laika » s’associait donc à celle de Tim Burton, pour créer une atmosphère commune, où le monde des morts est plus attrayant que celui des vivants.
Car oui, dans Les Noces Funèbres, Victor doit se marier à Victoria, mais Victor a un problème : il épouse malencontreusement Emily, une jeune mariée défunte. Dès lors, le royaume des morts côtoiera celui des vivants, notre protagoniste se retrouvant à cheval, entre deux mondes, deux villages et deux épouses. Dans ce choix cornélien, Victor navigue entre l’air morbide des vivants et le feu joyeux des morts, une douce contradiction propre au cinéaste. Chez Tim Burton, les morts, voire les marginaux dans le cas de Edward aux mains d’argent (Tim Burton, 1990) sont toujours les plus habités d’une flamme de vie incroyable, là où les vivants possèdent autant d’adrénaline qu’un mort-vivant en plein cagnard, en plus de vivre pour les autres et jamais pour eux-mêmes. Les Noces Funèbres vient appuyer ce propos et offre aux spectateurs avec les beaux-parents de Victor, Finis et Maudeline Everglot, des personnages ternes et rapidement détestables. De manière plus générale, le portrait dressé des adultes n’est pas reluisant, et seuls les jeunes Victor et Victoria débordent d’une sympathie contagieuse. Le summum de cette critique des adultes trouvant une place toute particulière chez le pasteur Galswell, patriarche de la galerie de personnages et figure effrayante formidablement doublée par Sir Christopher Lee. En cela, l’animation en stop-motion de Laika et l’esthétique des personnages made in Burton sont parfaitement caractérisés, les adultes du monde des vivants étant trop ronds ou très fins tandis que ceux des morts-vivants, mieux proportionnés, paraissent moins monstrueux que leur statut de décédé pourrait le laisser imaginer. Au fond, ce choix d’humaniser davantage les personnages ayant trépassés, au mépris de ceux encore pourtant bien vivant, est symbolisé dans deux courts moments, insignifiants au premier regard mais terriblement significatifs. Le premier se trouve dans le trépas du cocher de la famille de Victor, personnage muet et à la mine fatiguée dans le monde des vivants, qui devient subitement bavard et plus souriant dans le monde des morts. Amusant, donc. Le deuxième moment, plus poétique, se trouve à la toute fin de la musique The Piano Duet, sublime composition de Danny Elfman, où Emily, après s’être emportée au piano, s’exclame : « Pardonnez mon enthousiasme » et que Victor répond presque automatiquement : « J’aime votre enthousiasme ». Une réponse sincère d’un personnage à un autre, mais surtout une déclaration d’amour d’un auteur à son propre univers visuel.
Justement, l’univers burtonien c’est aussi, et avant tout, des figures marquantes, aussi bien devant que derrière la caméra. Les Noces Funèbres n’échappe pas à la règle, et coche donc toutes les cases. Au doublage de Victor et Emily, on retrouve Johnny Depp, éternel doppelgänger du réalisateur, et Helena Bonham Carter, muse et alors compagne à la ville. Christopher Lee, Albert Finney et Michael Gough viennent resserrer les rangs des fidèles, tandis que l’habituel Danny Elfman compose chansons et musiques. Toute la clique du cinéaste est donc réunie sous les meilleurs auspices, en plus d’être liée à une histoire sombre et poétique, des ingrédients qui ont toujours fait la réussite et le succès de l’univers du cinéaste. Dans cette configuration, certains trouveront Les Noce Funèbres bien décevant et regretteront peut-être les envolées lyriques de Edward aux mains d’argent (Tim Burton, 1990) ou de L’étrange Noël de Mr. Jack (Henry Selick, 1993). En vérité, les mêmes instants, aussi forts et émouvants, sont présents, mais peut-être moins tape-à-l’œil. De manière générale, une légèreté bienvenue, malgré le poids de l’histoire, offre un goût de renouveau et de maîtrise à l’œuvre de Tim Burton. Les chansons de Danny Elfman se veulent moins entêtantes que celles de L’étrange Noël de Mr. Jack (Henry Selick, 1993) pour être davantage proche d’une prose, d’un spleen par moments, et d’une forme de phrases orales chantonnées que de véritables séquences de chanson pure. Ainsi, c’est sûrement l’un des projets de Burton qui emprunte le plus énormément à Edgar Allan Poe, ou même à Baudelaire, par sa caractéristique à être simple et court, mais cachant de nombreux reliefs dans ses virgules et raccords. Derrière ses airs de « déjà-vu », Les Noces Funèbres se révèle en résumé bien plus intéressant que son simple emballage, ne serait-ce que par cette volonté de Burton de montrer à travers le couple du film son propre amour pour sa muse et compagne Helena Bonham Carter – déclaration qu’il réitèrera, deux ans plus tard, avec Sweeney Todd : le diabolique barbier de Fleet Street (Tim Burton, 2007). Quand l’artistique rejoint la vie privée pour livrer bien plus qu’une simple « vision d’auteur », mais, en un sens « l’auteur tout entier », on se retrouve à regarder un long-métrage pivot dans la filmographie de Tim Burton dernière grande œuvre burtonienne avant une multitude d’essais de genres plus ou moins joyeux ou réussis. Ces noces, aussi funèbres que joyeuses, résonnent alors comme un chant du cygne, un dernier geste victor-ieux.