Soyons francs, une nouvelle année scolaire ne pourrait pas bien commencer sans «son» Etrange Festival, véritable souffle d’air frais dans la grisaille parisienne, d’autant plus en cette période où les cinémas de genres, toutes tendances confondues, ont tendance à se normaliser – oui-oui – de plus en plus. C’est donc la fleur au fusil que nous sommes allés découvrir The Art of Self Defense (Riley Stearns, 2019) à L’Etrange Festival mais aussi présenté au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg que nos rédacteurs arpentent aussi actuellement.
Karaté Kid
Avec son second film, The Art of Self Defense, l’américain Riley Stearns – qui présentait déjà, il y a cinq ans, son premier long-métrage, Faults à l’Étrange Festival – plonge une nouvelle fois dans les travers de la psyché humaine par le biais de l’exploration d’un nouveau genre. Plantons le décor : Casey – incarné par l’excellent Jesse Eisenberg – jeune homme introverti, est paumé et en quête de sens sur sa vie. Ses passions ? Dorloter son chien et apprendre le français. Que pourrait-il donc arriver à cet homme dont toute la vie semble apparemment réglée de A à Z ? Une violente agression va tout changer et le pousser à dépasser ses frustrations en intégrant une école de karaté. Au contact du Sensei du dojo – formidable pince-sans-rire Alessandro Nivola – Casey va se découvrir une force insoupçonnée qui va le mener de façon obsessionnelle vers un dépassement de lui-même. Macho à l’extrême, Sensei-Alessandro, tel un gourou, va l’inciter à changer en profondeur, quitte à perdre son identité originelle : s’il souhaite devenir un « vrai » homme, Casey doit écouter de la musique metal, changer de chien, devenir un « dur », et notamment considérer les femmes comme des êtres inférieurs qui doivent être domptées sinon écrasées comme en témoigne le manque de considération permanent du Sensei envers sa seule élève féminine. Il n’en fallait pas moins pour que Casey, en perte de confiance depuis son agression, se « rallie » à cette vision du monde, reprenant ainsi davantage de sécurité et de contrôle dans sa vie.
Ce revirement improbable engendre des situations comiques inattendues. Imaginez Jesse Eisenberg acheter des articles de courses uniquement jaunes, en rapport à la ceinture jaune qu’il vient d’obtenir ou encore multiplier les provocations verbales et physiques auprès de ses collègues de travail qu’il avait toujours soigneusement respectés avant son agression. Comique, le film l’est, assurément. Riley Stearns choisi l’angle de la comédie absurde, en exagérant le trait et en poussant ces deux acteurs principaux Eisenberg-Nivola jusqu’à la démesure, aux travers de dialogues passifs-agressifs particulièrement savoureux. Puis, de façon fine, le long-métrage évolue vers quelque chose de beaucoup plus transgressif et dérangeant, l’élève devant se méfier du maître et vice-versa. Ainsi, se développent les trajectoires de ces deux personnages, qui, d’abord aux antipodes, finissent par se ressembler de manière troublante. A bien des égards, The Art of Self Defense évoque Fight Club (David Fincher, 1999), tant dans sa violence tout autant présentée comme un exutoire, que dans ces cours du soir qui partagent avec le film de Fincher le même caractère secret et clandestin. Ceci dit, la comparaison s’arrête là puisque le ton, l’ambiance générale et les choix de mise en scène s’apparentent plutôt au cinéma absurde d’un Quentin Dupieux.
La singularité se situe justement dans cette fusion permanente entre le sérieux et l’absurde. Casey peut-il se protéger des violences urbaines efficacement et ainsi devenir plus « fort » tout en conservant son identité ? Peut-il passer d’un être introverti et fragile à une personne plus sûre d’elle-même, sans subir des changements irréversibles ? Jusqu’où est-il prêt à aller pour changer ? A quel point une personne inconnue peut avoir un effet toxique sur lui et sur sa vie ? Ces questions se posent naturellement chez le spectateur au fil du film. A l’heure où les courants de pensées féministes interrogent et remettent en cause nos sociétés contemporaines, le « masculinisme » semble se renforcer, comme s’il s’agissait d’une réponse-miroir, qui s’imposait d’elle-même. C’est dans cette dynamique extrémiste que le Sensei s’inscrit et par extension, Casey, qui cherche à être à son image. Stearns tire de l’absurdité de cette vision d’un monde englué dans le patriarcat, un long-métrage pour le moins absurde, comme pour tourner en dérision ce fléau.
Clairement, disons-le, le résultat est incroyablement divertissant et drôle. La noirceur du propos et notamment la conclusion noire et froide dont nous vous laisserons la découverte, est à prendre avec une certaine distanciation, tant l’absurdité et le rire prennent le pas sur le reste. Espérons enfin, que The Art of Self Defense bénéficie d’une sortie en salles en France ou a minima d’un DTV. Universal distribuant l’objet, il est à gager que ce soit le cas. Pour notre plus grand plaisir.