Cursed


Désapprouvé par la critique et les fans d’horreur, Cursed ne fait pourtant pas tâche dans la filmographie que Wes Craven se constitue au fil des années. Plus qu’un simple film de loup-garou, il s’agit là d’une comédie d’horreur teintée d’un cynisme mordant. Focus sur un énième coup de griffe de l’auteur dans la carcasse pourrie du cinéma de genre hollywoodien.

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La Marque de la Bête

Si Wes Craven a gagné ses galons de maître de l’horreur avec des premiers films trash tels que La Dernière Maison sur gauche (1972), La Colline a des yeux (1977) ou encore Les Griffes de la Nuit (1984), le réalisateur a très vite amorcé un virage de carrière, ou plutôt un nouveau regard, sur l’industrie cinématographique et principalement sur la sphère du cinéma de genre. Cette mutation est concrète depuis 1994, année à laquelle il sort Freddy sort de la nuit, une suite à son film culte. Dix années se sont écoulé entre Les Griffes de la Nuit (1984) et Freddy sort de la nuit (1994), six films ont enrichi la franchise, plus ou moins réussie. Sa “création” lui ayant totalement échappé, avec ce septième épisode, Wes Craven venait récupérer son enfant. Il s’y mettait lui même en scène, essayant de monter un nouvel épisode de Freddy et devant faire face à deux monstres: d’une part, le croquemitaine, extirpé de la fiction, et d’autre part, l’industrie hollywoodienne elle-même. Cette sorte de Nuit Américaine du film d’horreur avait été particulièrement remarquée à l’époque, non pas pour ses qualités de mise en scène exceptionnelle mais plutôt pour l’ironie et le cynisme dont Craven faisait ouvrage. Une posture qui très vite devint une marque de fabrique, car par la suite, rares sont les films d’horreur que Wes Craven ne teintera pas d’humour et d’ironie. De Un Vampire à Brooklyn (1995) en passant, bien sûr, par la saga Scream (1996-2011) toute la filmographie du maître de l’horreur finit par ressembler au regard grinçant d’un vieil homme sur le monde qui l’a emprisonné. Ses excursions plus timides et oubliées dans la comédie dramatique telles que La Musique de mon cœur (1999) témoignent que Wes Craven ne se destinait pas forcément à devenir un ponte du cinéma de genre.

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C’est peut-être cette frustration qui nourrit les brûlots de cynisme qui cimentent progressivement la filmographie du Monsieur. Cursed (2005) fait partie de cette catégorie. Plutôt que de le voir comme un mauvais film d’horreur, il m’apparaît plus juste de le considérer dans la droite lignée comique et parodique de la saga Scream. Pour la faire court, Cursed est une cure de jouvence drolatique du film de loup-garou comme Scream l’était pour le slasher. Alors, bien sûr, devant Cursed, on pense irrémédiablement à plusieurs films de loup-garou qui se sont déjà essayés à aborder le mythe par l’humour, tel Joe Dante et son Hurlements (1980) ou bien encore le daté Teen Wolf de Rod Daniel (1985). Mais tout comme dans Scream, Wes Craven s’amuse ici avec le spectateur et avec le double sens évident et subtil de son film. Certains n’y verront pas les clins d’oeil, les appels du pied à rire, à se moquer, les dents qui grincent et les coups de pied dans le dos de l’industrie. Ils n’y verront alors qu’un petit film d’horreur mal budgété aux effets datés, et aux ressorts scénaristiques un peu faiblards, ceux là, passeront tout bonnement à côté de l’âme même de Cursed.

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Le film, tout comme Scream, est porté par un casting de jeunes premiers qui débutent – Jesse ”Social Network” Eisenberg ou Milo ”Heroes” Ventimiglia – aux côtés d’autres plus confirmés, tels que Christina Ricci ou Joshua Jackson. Pas non plus des stars, pas de quoi réduire le budget de moitié pour payer leurs cachets. Produit avec un budget plus que décent, même largement supérieur à celui de Scream 3 (100 millions contre 40 millions de dollars), la production de Cursed a été catastrophique à tel point que Wes Craven a bien failli quitter le navire. Remplacements d’acteurs à la dernière minute, film retourné presque entièrement, script retravaillé par la production pour ne pas être trop proche de Scream, montage charcuté maintes fois du fait de projections-tests au constat désastreux. Cursed porte finalement bien son titre, Maudit, simplement Maudit, jusqu’à devenir un bide monumental au box-office, et ce, partout dans le monde. Il est vrai que pour un film aux quelque 100 millions de dollars de budget, les effets numériques sont plus que datés pour une production estampillée 2005. Mais finalement, ce petit aspect cheap ne dessert pas vraiment le film, il lui procure même, à mon sens, un supplément d’âme, soulignant davantage le regard du réalisateur sur le genre et son évolution. Riant jaune, Wes Craven s’amuse du ridicule de certaines scènes et du redite des situations: il met ici à mal ce cinéma dans lequel on l’a enfermé, les studios comme le public. Même s’il affirmera une bonne fois pour toute cette position avec Scream 4 (2011), celle-ci n’est pas neuve et constitue une pensée qui évolue avec le temps, mais l’ancre toujours sur l’étagère des cinéastes suicidaires, électrons libres insaisissables.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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