L’an dernier, le rappeur américain Flying Lotus électrisait la compétition avec Kuso (2017), toujours inédit en salles chez nous. Cette année, l’Etrange Festival accueille en compétition Perfect (2018) un long-métrage de la même famille artistique – Flying Lotus en signe d’ailleurs la musique – et réalisé par Eddie Alcazar, lui-même producteur… de Kuso.
No bodys are perfect
Il est récurrent de voir dans le microcosme des cinéma(s) de genre(s) se constituer des petites familles d’artistes qui collaborent et s’entraident. L’an dernier, le festival recevait le rappeur Flying Lotus en compétition pour un détonnant Kuso (2017) qui avait marqué les festivaliers et pas mal fait parler de lui. Ce film était produit par un certain Eddie Alcazar, qui revient donc à l’Étrange Festival cette année, cette fois en tant que réalisateur, pour son premier bébé intitulé Perfect. Soutenu par Steven Soderbergh – on élargit encore la famille – le long-métrage est mis en musique par Flying Lotus qui renvoie donc la pierre à son producteur d’hier.
L’histoire est celle d’un jeune homme – sosie officiel du nageur Florent Manaudou – qui se réveille un matin aux cotés du cadavre de sa petite amie. Pour le guérir de ses pulsions, sa mère le fait interner dans une clinique spéciale, où l’on apprend aux êtres humains à « s’augmenter » et « évoluer ». Le maître des lieux a mis au point un traitement très particulier qui consiste à s’extraire des bouts de soi pour les remplacer par des matières synthétiques, jusqu’à n’avoir plus grand chose à voir avec un simple humain. Réflexion sur la quête de la perfection comme l’indique son titre, Perfect convoque des thématiques chères au cinéma d’anticipation : en vrac la quête d’immortalité, le trans-humanisme et la recherche d’un humain-augmenté, la science face au sacré, le plaisir démiurge de créer et procréer… D’une efficacité redoutable, le film se vit comme une expérience sensorielle envoûtante et effrayante, bornée de petites capsules totalement hallucinées à la lisière de l’expérimental.
Ajoutez à cela, une photographie aussi puissante que léchée – on la doit à Matthias Koenigswieser, un jeune chef-opérateur dont le nom commence à percer puisqu’il a signé notamment la sublime image de Jean-Christophe & Winnie (Marc Forster, 2018) le nouveau Disney, dont on vous parlera la semaine prochaine – qui accompagne une direction artistique en tout point brillante et des idées visuelles et cinématographiques qui donnent corps à ce monde. Pour comprendre à quoi ressemble le premier long-métrage de Eddie Alcazar, il faut s’imaginer un accouplement totalement inattendu entre l’univers visuel d’Under the Skin (Jonathan Glazer, 2013), l’atmosphère étouffante de Ex_Machina (Alex Garland, 2014), la dimension body-horror de certains films de Cronenberg, et le récent cinéma de Terrence Malick, vous savez celui à base de voix off philosophiques réverbérées, de ralentis sur des filles qui marchent ou sautillent, de plans de nature sublimée et d’éclaircies lumineuses fendant les feuillages. Si le film est tout ça à la fois, il n’en perd pas moins sa singularité et s’impose, sans nul doute, comme l’une des propositions de cinéma les plus abouties de cette compétition.