Programmé / Programmable 1


Il est souvent jugé ingrat ou malvenu de classifier quiconque, ou quoi qu’est-ce dans des cases. Pourtant, souvent, s’amuser à ce petit jeu peut nous permettre de mettre en lumière quelques évidences. Il y a peu, aux détours d’un débat animé avec quelques amis, j’essayais de me débattre tant bien que mal avec un concept que je venais tout juste d’inventer. Et si la majorité des acteurs hollywoodiens pouvaient être classés en deux catégories ?

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Programmé / Programmable

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Il y a quelques semaines sortait sur nos écrans le dispensable Terminator : Genysis, cinquième volet d’une saga robotisée et en court-circuit, qui fut l’occasion, néanmoins, d’apprécier le véritable retour d’un acteur mythique au rôle qui lui a valu, sans nul doute, cette appellation. Cela faisait longtemps que j’essayais de trouver un moyen de mettre en forme ma pensée sur une dichotomie constatée entre deux styles d’acteurs dominants au sein d’Hollywood. Ce retour en force de Arnold Schwarzenegger en est l’occasion rêvée. Il est sans nul doute celui par qui ma réflexion a véritablement commencé. Son jeu est si caractéristique et épouse complétement le sujet de la saga Terminator. En effet, il n’y a pas plus robotique comme acteur que notre bon vieux Schwarzy. Que ce soit dans cette saga comme dans le reste de sa filmographie, son jeu repose quasiment exclusivement – il y a quelques exceptions, notamment lorsqu’il s’aventure dans la comédie familiale – sur une sorte de figure inexpressive faisant l’usage d’un corps monolithique pour renforcer une sensation mécanique voir presque programmatique. C’est comme si l’acteur lui même n’était devenu qu’une enveloppe robotique à laquelle on assigne des tâches. Néanmoins, ce n’est pas l’acteur Schwarzenegger qui se mue dans le rôle, c’est le rôle qui se réclame à lui. Le robot est convoqué pour faire ce qu’il sait faire, et rien d’autre. Il n’est pas reprogrammable, il n’est même pas programmable : il est simplement programmé à n’accomplir qu’une seule et unique tâche.

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Programmé ou Programmable. Voilà à peu près comment je pense qu’une grande partie des acteurs d’Hollywood peuvent être catégorisés. Cette distinction peut paraître un peu exagérée et pourtant lorsque l’on décortique les listes de comédiens les plus bankables et/ou visibles sur nos écrans, il y’a largement matière à s’amuser avec cette classification et y trouver une réelle cohérence. Avant cela, il convient d’essayer de définir chacun des termes et éviter les fausses routes. Pour parler de chacune de ces classes d’acteur, il faut d’abord tenter de leur trouver une référence : un spécimen type, qu’il conviendrait d’utiliser comme échelle. Commençons par l’acteur programmé, c’est tout trouvé, Arnold Schwarzenegger est notre homme, ou plutôt notre robot. Car comme je l’ai déjà expliqué plus haut, on rangera dans la case programmé, l’acteur à qui l’on assigne une seule tâche, toujours la même, qu’importe le film. L’acteur programmé qui est, en quelque sorte, un robot de première génération et dont les caractéristiques sont si marquées – le plus souvent, on parle de caractéristiques physiques – qu’elles n’ont d’emploi qu’à une seule et unique tâche. En d’autres termes et pour éviter un surabondage d’ampoulage et parler plus clairement, il s’agit d’acteurs qui « font toujours la même chose ». Dans cette famille se côtoient les plus gros tours de biceps d’Hollywood : de Sylvester Stallone à Jason Statham, en passant par Bruce Willis ou encore plus récemment Liam Neeson, auquel on ne demande désormais que d’effectuer, ad vitam aeternam, le programme du cinquantenaire, père de famille meurtri. On retrouve des traces de programmation unique chez d’autres comédiens phares de ces dernières années. Ainsi Tom Cruise est le beau gosse lisse à l’extrême, un poil drôle et courageux. Il est surtout de la saga Mission impossible (1996-2015) en passant par Edge of Tomorrow (Doug Liman, 2014) un acteur programmé quasiment exclusivement pour sauter et courir. Prenons Ryan Gosling, bloc monolithique inexpressif qui n’est employé quasiment que pour cela. Gosling est un robot étrange, une machine mutique que l’on utilise pour l’étrangeté de son regard fébrile, entre puissance de séduction et présence inquiétante. C’est clairement Drive (Nicolas Winding Refn, 2011) qui a définit ce programme qui est depuis largement ré-employé à l’identique : de The Place Beyond the Pines (Derek Cianfrance, 2012) jusqu’à Only God Forgives (Nicolas Winding Refn, 2013). Mais encore, quelques films ont suffi à programmer le jeune Channing Tattum, beau gosse bodybuildé au regard asséché dont l’application la plus évidente fut bien sur son rôle de lutteur au cerveau drainé dans le Foxcatcher de Bennet Miller (2014). Enfin, plus récemment, la même destinée d’acteur programmé semble se dessiner pour Chris Pratt. Depuis Les Gardiens de la Galaxie (James Gunn, 2014) il est la caution cool d’un casting, avec sa programmation d’acteur rigolard et beau gosse auquel on met dans les pattes une destinée d’aventurier en herbe.

Si beaucoup d’acteurs entrent dans cette catégorie d’acteur programmé il faut admettre que l’on y retrouve principalement des acteurs de films d’action. Je crois que le corps et son utilisation y sont pour quelque chose. Les corps spécifiques de ces comédiens prédestinent leurs programmes. Aussi, si la gente masculine est plus largement représentée dans cette catégorie, c’est principalement – il me semble – parce qu’elle est majoritairement représentée dans ce type de film. Bien sûr, à y regarder de plus près on pourra y trouver quelques exceptions féminines, mais la plupart sont soit elles- mêmes des stars du cinéma d’action – je pense à Sigourney Weaver ou Michelle Rodriguez – ou employées, au choix, uniquement pour leurs conditions de filles à la plastique supposée de rêve – les deux exemples les plus clairs sont Megan Fox et Sharon Stone – ou au contraire, de petites grosses de services – cela va de Melissa McCarthy à Renée Zelwegger. Le physique et le genre de film dans lequel ils sont sur-employés conditionnent le programme des comédiens au point de le rendre unique, et cela, dans certains cas, peut s’appliquer à des genres étrangers au film d’action. Hugh Grant par exemple, n’est aujourd’hui plus qu’un acteur programmé à répéter les mêmes gammes dans des comédies romantiques. Une destinée à laquelle, même certains des plus grands n’ont pas échappé. Woody Allen n’a toujours eu qu’un seul programme, dès Woody et les robots (1973) il a su, comme Chaplin ou Keaton avant lui – eux aussi des acteurs programmés par excellence – se créer un personnage au programme immédiatement reconnaissable. C’est indéniable, sa programmation est si puissante qu’elle gobe littéralement tous ses rôles : qu’il joue un réalisateur, un gangster ou un violoncelliste, il est d’abord ce programme.

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Après avoir défini le plus clairement possible ce que j’entends par acteur programmé, il me vient la lourde tâche d’essayer de faire la même chose pour son antagoniste : l’acteur programmable. C’est une tâche plus difficile, qui nécessiterait quelques sous-catégories, et là encore, j’essayerai d’employer les exemples les plus clairs possibles. Trouver un acteur emblématique pour cette catégorie est ardu, il s’agit plutôt de faire le constat d’une véritable famille d’acteur, fonctionnant sur des mécanismes communs et des recherches communes. Les acteurs programmables, contrairement aux acteurs programmés se muent dans leurs rôles. Les réalisateurs les choisissent non pas pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils peuvent devenir. La bonne appellation pourrait éventuellement être acteurs reprogrammables, au sens où ses comédiens sont peut-être plus malléables, se plaisent à muer, changer de peau, se déguiser. Je n’en doute pas une seule seconde, ces quelques mots vous ont suffit à faire s’illuminer en lettre d’or un nom dans votre esprit. C’est celui de Johnny Depp. Et pourtant, c’est à mon avis un cas très particulier qui n’appartient aujourd’hui à aucune des deux catégories. Je m’explique : si l’on a longtemps accepté l’idée que Johnny Depp était un acteur peut-être programmable – parce qu’il naviguait de rôle en rôle avec un plaisir certain à s’effacer derrière le maquillage et les costumes – le comble de cet acteur est d’avoir fait de cette identité programmable : un programme. Depuis sa composition du Capitaine Jack Sparrow dans Pirates des Caraïbes : La Malédiction du Black Pearl (Gore Verbinski, 2003), Depp n’a eu de cesse que de réitérer une recette qui marche, répondant à l’équation : costume, maquillage, extravagance. Sa faculté à sauter d’une identité à l’autre s’est donc retournée contre lui au point que le public lui reproche désormais unanimement de se répéter. Oublions donc ce cas particulier pour essayer de trouver d’autres spécimens plus intéressants.

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En réalité, il me semble que la plupart des caractéristiques définissant un acteur programmable vont de paire avec de nombreuses méthodes d’acting, parmi les plus célèbres. Aussi, il n’est pas étonnant de constater que certains des acteurs les plus programmables sont plus ou moins liés à l’actor studio ou à sa philosophie. Même si avec l’âge ils sont devenus des caricatures d’eux-mêmes – et peut-être en cela des acteurs programmés – Robert de Niro et Al Pacino sont sans nul doute deux des plus grands acteurs programmables du cinéma que l’on appellera contemporain. Ces comédiens font partie de la famille – assez réduite en définitif – d’acteurs caméléons capables de se métamorphoser physiquement pour un rôle, de perdre ou gagner du poids, ou de s’enlaidir. Bons nombres des grands acteurs américains contemporains – au passage, j’ai conscience de ne pas parler beaucoup d’acteurs non-américain, mais je pense que la dichotomie que je mets en lumière est spécifique à Hollywood – viennent coloniser ce terrain sablonneux qui a fait pousser bons nombres de légendes au point d’être régulièrement accusées de venir titiller avec une certaine facilité le côté programmable de la force, pour accrocher au passage une nomination à l’Oscar du meilleur acteur.

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Daniel Day Lewis, Joaquin Phoenix, Christian Bale, Jared Leto, Matthew McConaughey – auquel on pourrait vite reprocher les mêmes systématismes que Johnny Depp par ailleurs – ou encore plus récemment Jack Gyllenhaal, sont aujourd’hui les plus évidents acteurs programmables du marché. Il reste bien sûr quelques cas particuliers, notamment d’acteurs qui ont pu étonnamment s’extirper d’un programme castrateur pour s’imposer comme des acteurs programmables d’excellence. Le cas de Leonardo DiCaprio est intéressant. Sa mutation d’un côté à l’autre s’est opéré en même temps que sa mutation physique. Employé de longues années comme le petit minet de service et blondinet ténébreux – un concept rarissime dans l’histoire du cinéma, mais aussi dans la vie – il a su s’imposer au fil du temps comme un acteur programmable et se désentraver de l’image qui lui collait à la peau depuis Titanic (James Cameron, 1996). Du côté des femmes, il est étonnant de constater que l’on considère régulièrement qu’elles n’ont à Hollywood que peu de rôles intéressants, et qu’elles sont trop souvent employées uniquement pour leurs propriétés physiques. En réalité, l’élaboration de cette petite subdivision m’a fait comprendre que cela n’était pas aussi évident que cela. Certes, tout le monde s’accorde à considérer Jessica Chastain comme la plus belle femme du monde – tout du moins, si l’on a bon goût – mais qui pourrait se risquer à dire que cette comédienne est programmée par son physique ? Au contraire, bien que belle, Jessica Chastain s’impose de film en film comme l’une des futures grandes actrices de sa génération, programmable de surcroît. La grande majorité des grandes actrices sont très belles ou l’ont été – de Meryl Streep à Helen Mirren – mais n’en demeurent pas moins des actrices programmables dont la carrière est jalonnée de rôles puissants. Bons nombres de leurs héritières n’ont même aucune crainte à jouer avec leur image de femme de papier glacé : la froisser, la malmener. On pense bien sûr à Charlize Theron qui de Monster (Patty Jenkins, 2010) pour lequel elle a remporté un oscar, à Mad Max Fury Road (George Miller, 2015) n’a jamais hésité à esquinter l’image qu’elle véhicule par ailleurs en étant égérie Dior. On pense à Kate Winslet, assumant ses formes et sa cellulite dans les scènes de nu de The Reader (Stephen Daldry, 2008) pour lequel elle fut aussi oscarisée. Ou encore à Julianne Moore, s’assumant plus que jamais comme une actrice de son âge, enlaidie par la maladie dans Still Alice (Richard Glatzer, 2014) ou la même année, assumant des séquences de crises de flatulences loin d’être glamour, chez Cronenberg pour Maps to the Stars (2014) : résultat des courses, un Oscar et un prix d’interprétation à Cannes.

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© Warner Bros / DC

Parce que s’extirper de la case jugée ingrate de l’acteur programmé est le but ultime de la plupart des comédiens sur le déclin ou à la carrière naissante à Hollywood, beaucoup prennent des risques en s’évertuant à accepter des rôles qui pourraient, d’un coup d’un seul, les faire sauter d’une catégorie à l’autre et glaner sur le fil une récompense suprême qui relancerait (ou lancerait) leur carrière. S’ils sont nombreux à avoir réussi ce coup de poker, c’est parfois au prix de nombreuses tentatives échouées. Abonné aux comédies romantiques bas de gamme, Heath Ledger a réussi à s’en extirper puis à affirmer son talent dans des films oscarisables, du Secret de Brockeback Mountain (Ang Lee, 2005) jusqu’à son oscar posthume pour sa performance pour le coup « so-acteur programmable » du Joker dans The Dark Knight (Christopher Nolan, 2008). Le petit Jared Leto en a pris de la graine, après quelques tentatives ratées pour montrer qu’il était le plus caméléon des caméléons. Il prend trente kilos pour incarner le tueur de John Lennon dans le film Chapitre 27 (Jarret Schaeffer, 2007) qui fait un flop total, avant d’obtenir la consécration avec son Oscar du Meilleur Acteur dans un second rôle en perdant vingt kilos pour incarner un transgenre malade du sida dans Dallas Buyers Club (Jean-Marc Vallée, 2014). Une consécration comme l’un des acteurs les plus programmables de sa génération qui lui a sans doute permis d’être choisi pour opérer une nouvelle transformation et incarner un nouveau Joker. Du côté des femmes, on constate la même proportion à essayer de marquer les esprits en admettant par exemple une mise à nue sans artifices ni retouches, au plus pur des naturel – Scarlett Johansson dans Under the Skin (Jonathan Glazer, 2014) – ou un enlaidissement total et courageux – la tentative échouée de reconnaissance de Jennifer Anniston dans Cake (Daniel Barnz, 2015). Il reste toutefois compliqué pour certaines femmes, amenées au cinéma parce qu’elles offraient la possibilité d’un programme sexy, de s’en défaire complétement. A ce titre, le parcours de Angelina Jolie est particulièrement exemplaire. D’abord égérie de la femme iréelle, surfaite et pulpeuse dans la tenue ultra-moulante de Lara Croft : Tomb Raider (Simon West, 2001) l’actrice a su, l’âge aidant, s’extirper de cette condition de poupée du grand écran et ne pas être sacrifiée sur le temple de la beauté estampillée cosmopolitan. Considérée aujourd’hui comme l’une des grandes comédiennes de sa génération, elle a été Oscarisée pour Une vie volée (James Mangold, 2002) puis nommée pour son éblouissante interprétation pleine d’émotion dans le sous-estimé L’Echange de Clint Eastwood (2008).

Une fois ce constat fait, j’ai pu comprendre que cette dichotomie entre les comédiens d’Hollywood s’appliquait en réalité à une dichotomie entre deux styles de cinéma hollywoodiens qui cohabitent mais restent bien distincts. D’un côté, les acteurs programmés, sont souvent employés par un cinéma de genre (action, science-fiction…) codifiés et produit pour le succès. Un cinéma qui en cela est lui-même programmé. D’un autre côté, vous avez les acteurs programmables et le cinéma qu’ils arpentent est lui même programmé, non pas pour le profit mais pour glaner des prix. Rares sont les spécimens à naviguer d’un océan à l’autre durant leur carrière. En réalité le passage de l’une à l’autre des rives s’effectue le plus souvent au tournant de cette carrière, quand celle ci nécessite un petit coup d’accélérateur. Nombreux sont les comédiens jadis acteurs programmables à abandonner l’exigence qu’ils avaient entretenu – je citais De Niro et Al Pacino précédemment, ce sont deux exemples très parlant – pour s’évaporer dans une caricature d’eux-mêmes et se laisser aller à cachetonner dans des films programmés. S’ils sont plus rares à réussir la transition dans l’autre sens, il semble bien que toucher du bout du doigt son ticket d’entrée pour cette catégorie, soit le rêve suprême qui anime les comédiens d’Hollywood. Dans les deux cas, ne blâmons pas les êtres humains envenimés, comme nous le sommes tous, par l’appel de l’or – une statuette ou des billets verts – et la reconnaissance – un prix décerné par la profession ou la consécration du public.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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