A l’ombre des potences


Dans la filmographie de Nicholas Ray il y a évidemment Johnny Guitare (1954). Mais le bonhomme a dégainé un autre western ,juste après en 1955, qui n’est pas moins digne d’intérêt comme nous le prouve cette critique d’A l’ombre des potences, en combo DVD/Blu-Ray chez Sidonis Calysta.

Image mise en avant critique du film A l'ombre des potences

                                         © Tous Droits Réservés

Tu seras un homme mon fils

                                  © Tous Droits Réservés

Dans la tragédie grecque, il y a cet étonnant paradoxe mais qui a fait son preuve depuis des milliers d’années : lorsque nous découvrons les personnages, nous savons déjà, nous spectateurs, ce qui va les faucher. L’issue semble pressentie et pas moins inévitable, peut-être même d’autant plus inévitable parce que sue d’avance. Cette notion est ce qui fait, par exemple, le sel du moindre film reposant sur le système narratif du rise and fall dont des cinéastes comme Martin Scorcese ont fait une figure fétiche, de manière générale comme bien des films de gangsters. A l’instar des récits mythologiques, le western peut obéir à la lettre à la structure et aux règles de la tragédie antique. On y croise certains protagonistes en ayant dès la première seconde une vision de leur point d’arrivée (bon ou mauvais d’ailleurs, mais dans le cas de la tragédie évidemment plutôt mauvais hein), dont la destinée représente une ligne droite – dans le mur – et notre posture de spectateur vise à cette étrange équilibre entre espérer assez que la route soit détournée pour que l’intérêt pour l’intrigue soit maintenu, et la conscience et le désir d’avoir ce à quoi l’on s’attend. On peut dire même que c’est aussi à leur teneur en déterminisme quant à la liberté des personnages par rapport à leur destinée qu’on pourra qualifier tels grand western ou réalisateur du genre d’optimistes – Rio Bravo (Howard Hawks, 1959), Delmer Daves voire même Sergio Leone dans sa façon de faire gagner, en conclusion, le bon contre les méchants – ou de pessimistes comme Anthony Mann ou Nicholas Ray. On a souvent mis en lumière le goût de Ray pour des trajectoires tragiques présentées plus tôt, que ce soit dans son ultra-célèbre La Fureur de Vivre (1955), ou ce qui est aux modestes yeux de votre serviteur un des plus beaux films noirs de tous les temps, Le Violent (1950) dont le titre en VO est bien plus raccord, In A Lonely Place. Il est donc particulièrement logique que le cinéaste se soit penché sur le western : avec entre autres le reconnu Johnny Guitare (1954) puis, tout de suite après en 1955 avec A l’ombre des potences qui a fait l’objet d’une ressortie en salles il y a peu et qui a maintenant les honneurs d’un combo DVD/Blu-Ray chez Sidonis Calysta.

Jaquette blu-ray A l'ombre des potencesJames Cagney interprète Matt un prisonnier vieillissant, qui profite de ses premières heures de liberté après avoir purgé sa peine. Par le plus grand des hasards, il rencontre le jeune Davey. Si entre eux il y a des atomes crochus, le hasard (à nouveau) va les lier pour de bon : alors qu’ils tirent dans le ciel pour essayer d’abattre un oiseau, les conducteurs d’un train qui passe par là pensent avoir affaire à une bande de pillards et décident de jeter un sac plein de thunes dans la nature. Matt et Devey se saisissent du sac avec pour projet de le rendre à ses propriétaires, arrivés en ville ils sont d’abord pressentis comme des voleurs, puis la ville prend conscience de leur respectabilité. Les habitants nomment alors Matt sheriff, qui choisit Davey pour adjoint. Sauf que ce juvénile individu, paraît assez aux prises avec la tentation du banditisme…Il est assez limpide qu’il manque à ce Run For Cover quelque chose pour être un grand western, au moins aussi apprécié que Johnny Guitare. Une flamboyance, une intensité peut-être même, souffrant d’un jeu pas assez nuancé, encore d’un carcan trop hollywoodien par certains aspects. Le thème majeur du récit, au fond, n’est pas forcément archétypal non plus, se dressant dans la droite lignée des westerns questionnant la notion de justice, fustigeant cette époque où les juges aux États-Unis n’étaient souvent qu’à la solde de la vindicte populaire. Plaidoyer évident contre la peine de mort – ou du moins pour la nécessité d’une justice équitable, à l’instar de L’étrange Incident (William A. Wellman, 1943) – A l’ombre des potences n’est pas le plus touchant dans ce discours-là mais davantage dans ces scènes iconoclastes (cette demande en mariage en prison, ce final dans des ruines ensablées), et surtout la relation entre Matt et Devey, cruel exemple de fossé entre les générations, entre un Matt qui veut voir en Devey son fils de subsitution jadis décédé et un Devey que son cœur pousse à choisir la vie libre d’un hors-la-loi, des méfaits et de la trahison perpétuelle, y compris celle de Matt. Comme dans La Fureur de Vivre et d’autres métrages de Nicholas Ray, la jeunesse et les âges mûrs semblent irréconciliables ou si peu, si durement. Et plus encore, dans la sécheresse et la brutalité humaines du Far West. Fidèle à ses principes, l’éditeur Sidonis Calysta offre le film en combo DVD/Blu-Ray avec une restauration sérieuse pour voir et entendre l’objet en haute définition. A l’ombre des potences n’est pas une claque formelle, mais le découvrir en Blu-Ray est une opportunité on ne peut plus recommandable. Avec bien sûr les suppléments sont les classiques – hors bandes annonces des autres sorties de Sidonis – entretiens avec des spécialistes, qui désormais sont partie intégrante de mon salon, Patrick Brion et François Guérif.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.