Frig


Projeté à L’Etrange Festival de l’année dernière, le symbolique Frig de Anthony Hickling mêle surréalisme, cinéma gay et Marquis de Sade. On se penche sur le film et son édition DVD chez Optimale.

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Divine Comédie

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Parce qu’il est toujours agréable de faire des découvertes, Fais Pas Genre attire votre cuti cinéphile vers le cinéaste Anthony Hickling. Sud-Africain nationalisé Français, il est auteur-réalisateur d’une poignée de longs-métrages qui frôlent la limite administrative du court, autour d’une heure, 1h et quart au max. Son cinéma a le mérite de faire du pied à plusieurs univers fort différents et peut donc se retrouver projeté dans un festival d’art pornographique autant que dans les manifestations dédiées au cinéma LGBT, ou dans des trucs plus fantasques tels que L’Etrange Festival sus-cité. La diffusion de ses travaux est évidemment sujette à difficulté, n’allant pas au-delà de certaines plateformes de VOD, des festoches éventuels, et du cinéma Saint-André-des-Arts à Paris, spécialiste des films très indépendants qui demeurent finalement en dehors du circuit des salles puisqu’ils ne sont souvent diffusés que là-bas. L’éditeur-distributeur Optimale donne une seconde vie en DVD à la dernière réalisation d’Anthony Hickling, ultime volet de ce qu’il considère comme une trilogie du désir, de l’Amour et de la déambulation initiée avec Little Gay Boy en 2015, poursuivie avec Where Horses Go To Die (sublime titre) en 2017, et achevée donc en 2018 avec Frig.

Hickling est allé à la bonne école : à l’adaptation pasolinenne des 120 journées de Sodome du Marquis de Sade, elle-même inspirée de la structure de la Divine Comédie de Dante et de l’imaginaire judéo-chrétien, le Sud-Africain emprunte sa narration divisée en trois cercles. Le chapitre inaugural est une espèce de vlog artistique, narratif et évasif à la fois, mélangeant plans symboliques, séquences de voyage ou de vie nocturne, patchwork d’images et de sons en résumé d’une histoire de couple dont la voix-off du narrateur marque les temps forts. Poétique et enlevé, cet incipit s’appelle Love et ne dure que quelques minutes le temps que ledit couple se sépare. C’est après que ça se corse, avec le segment Shit. On est là dans ce qui propulse le film dans la rubrique trash et dans l’héritage direct incontournable de Pier Paolo Pasolini et de « son » Salo ou les 120 journées de Sodome (1975). Le personnage principal, esseulé après la rupture donc, est dans une pièce de blanc maculée. Il va y subir des affronts assez corsés sur la base d’un sado-masochisme de plus en plus extrême convoquant fist acrotomophile (attirance pour les amputés, on en apprend des choses sur FPG) scatophilie carabinée, et enfin cannibalisme. Il est clair que ce chapitre peut paraître repoussant et inutilement provocateur. On ne peut pas dire le contraire, à condition de ne pas chercher à y voir, en filigrane métaphorique, les souffrances qu’une rupture amoureuse inflige et celles qu’on peut parfois s’infliger après une telle déception : multiplier les aventures, être dans une perdition affective et sexuelle jusqu’à perdre le goût et l’estime de soi… On peut aussi avoir à l’idée que la sexualité est un vecteur de subversion dans une partie de la pensée homosexuelle masculine, tout comme la notion de dépassement presque extatique des limites du corps et de la morale sexuelle. La trilogie de romans de Guillaume Dustan Dans ma chambreJe sors ce soirPlus fort que moi apporte par exemple une lueur sur cet aspect chez certains artistes gays q,ue Frig met, à mon sens, aussi en images.

Mais Anthony Hickling ne se « limite » pas à cette métaphore torturée et violente de la séparation. Comme un symbole évident de la volonté du cinéaste de se démarquer des références sus-citées, le personnage principal, pourtant censé être mort après s’être fait littéralement dévoré le cœur, se redresse. Le chapitre Shit se clôt ainsi sur une résurrection comme si de rien n’était, où le protagoniste se relève droitement, sort de la pièce, prêt à passer autre chose. Un autre chose sous forme de dernier segment, intitulé Sperm, voyage de notre personnage principal dans une forêt mystérieuse. Croisant des étranges danseurs de rites païens, des amants bucoliques, et même un Narcisse s’admirant dans l’eau. Sperm se ressent comme une redécouverte, une renaissance de la sensibilité à ce que l’être, le corps humain, le monde, la vie peuvent avoir de fascinant, d’inexpliqué, de beau finalement, après les ténèbres de l’auto-destruction. En à peine une heure, Anthony Hickling nous a fait l’histoire allégorique complet d’un Amour qui naît, se brise, revit sous une autre forme. Aux bonus du DVD, le making of et un entretien avec le cinéaste nous permettent d’en savoir beaucoup plus sur la conception de cet objet filmique digne d’être appelé œuvre d’art.

 


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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