Underwater Love


Comme chaque année, notre bien-aimée Arte nous livre une sélection de sa pêche aux insolites, et ce au détour de sa fameuse case trash. Diffusée chaque samedi après minuit, cette plage horaire est spécialement conçue pour les fans de cinéma bis et autres étrangetés. Des expériences déroutantes, avec des films barrés et singuliers qui vont du gore, à l’expérimental et jusqu’à l’érotique. Underwater Love lorgne plus du côté de l’érotique puisque ce petit film fantastique japonais, tourné en seulement cinq jours, rend hommage, à sa façon, au sous-genre du pink-eiga, véritable institution du cinéma nippon.

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Hiroshima, mon amour avec des tentacules.

Dès le début de son film, Shinji Imaoka annonce la couleur. Ce sera rose, rose pétant. Ce rose des productions du pink-eiga (ou aussi nommé pinku) qui fit – et fait encore – les beaux jours de tout un pan du cinéma japonais. Le sexe a toujours eu une place prépondérante dans l’industrie cinématographique nippone, on peut même dire que c’est une institution, de même que le kaiju-eiga, le film de monstres géants, ou le chambara, le film de sabre. Le film érotique s’inscrit non seulement dans l’histoire du cinéma japonais, mais plus encore dans la société nippone elle-même, ou l’érotisme se vit en famille, décomplexé, et est bien moins tabou et alloué au domaine intime comme de notre côté du globe. Aussi, s’il s’adresse plus principalement aux adultes, il n’est pas étonnant de voir dans ce Underwater Love, un esprit enfantin omniprésent, un univers qui oscille entre comédie musicale délurée et naïve et scènes de sexe explicites. En soit, c’est un peu comme si Hayao Miyazaki se mettait au porno-tentacule. J’appelle “porno-tentacule” toute cette mouvance du cinéma érotique japonais qui tend à mélanger l’érotisme au monstrueux. Pieuvres et autres créatures deviennent alors des expériences sexuelles, et ce dès lors qu’une de leurs protubérances peuvent servir d’ersatz de phallus. On trouve par ailleurs cette fascination pour la bestialité du sexe dès le XIXème siècle au Japon, notamment dans des gravures érotiques représentant des pieuvres s’adonnant à des introductions multiples dans des demoiselles offertes.

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Venons-en aux faits: Underwater Love raconte l’histoire de Asuka, une jeune japonaise pas très belle qui travaille dans l’usine de poissons que dirige son fiancé, avec qui elle doit bientôt se marier. Tout va pour le mieux jusqu’au jour où elle tombe nez à bec avec l’un de ses amis d’enfance, Aoki, mort par noyade dix sept ans plus tôt. Celui-ci s’est réincarné en Kappa, une créature issue du folklore japonais munie d’un bec et d’une carapace, qui aime danser et manger du concombre, et qui a pour sale habitude de regarder sous les jupes des filles. Alors vous l’aurez compris, si la vision – qui plus est à des heures tardives – de Underwater Love peut en un premier temps provoquer un gros sentiment de “What the fuck?”, la mythologie qu’il propose n’est absolument pas le fruit d’un délire de son réalisateur, non, elle est liée à la culture même du pays – qui lui même est un peu “What the fuck?”, je vous l’accorde.

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Ce personnage du Kappa – petit lutin-tortue malicieux particulièrement porté sur la chose – rappelle beaucoup le sempiternel Tortue Géniale de Dragon Ball. Et comme ce dernier – comme son joli sobriquet l’indique – a une carapace de tortue sur le dos (l’un des signes distinctifs des Kappas), je viens de vous apprendre que Tortue Géniale est en fait un Kappa, une transposition du mythe quoi, le bec en moins. Ca vous en bouche un coin(-coin) n’est-ce-pas? Bien. Cette révélation faite, continuons… Dès lors que notre Kappa débarque dans la vie d’Asuka, le film s’élance dans une sorte de poésie à la fois naïve et poétique, dans laquelle l’érotisme vient se dissimuler peu à peu pour pointer un petit bout de réalité. Tout du moins, tant que le Kappa n’est pas au centre des ébats… Car l’une des scènes les plus marquantes du film est sans nul doute celle où le petit être des marais se retrouve dans le lit d’une fille fortement entreprenante – elle lui a quand même fait un chat-bite pour lui dire bonjour! – apparemment habituée aux expériences sexuelles avec des humanoïdes tortues-canards. Elle a en tout cas assez d’assurance pour ne pas hésiter une seule seconde à lui empoigner le membre – vous découvrirez ainsi à quoi ressemble le sexe d’un Kappa – et lui pratiquer une fellation avant de le chevaucher pour porter l’affaire jusqu’à la jouissance. Une jouissance, qui, entre les mains palmées d’un être des marais, ne peut se finir que de manière particulièrement liquide. Pardonnez mon vocabulaire, mais je ne peut vraiment pas faire autrement, je vous rappelle que j’écris sur un film japonais là…

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Potache et poétique à la fois, le film tisse sa petite mythologie et son univers au fil des scènes et des révélations aussi oniriques que scabreuses. Une galerie de personnages se constitue et invente même une cosmogonie totalement délirante, dans laquelle le Dieu de la Mort est un hippie. Ce dernier a d’ailleurs décidé que la jeune Asuka devait mourir, mais heureusement pour elle, son copain des marais va la mener au royaume des Kappas où le vieux sage Kappa va lui donner une boule rectale particulièrement énorme, qui, une fois insérée dans son anus, la protégera de la malice du Dieu Hippie de la mort. Oui, oui, rien que ça. C’est tout un univers. Un univers où l’on règle son conflit avec le Dieu de la mort par des combats de sumo, où l’on danse et chante de manière totalement ridicule – comme si Dancer in the Dark rencontrait Sailor Moon – et où les massages cardiaques sont remplacés par des coïts… Y’a pas à chier, le Japon c’est une culture bien particulière. Une culture qui, après avoir vécu le pire, n’a plus peur de rien, et surtout pas du ridicule.

 


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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