Freud, passions secrètes 1


Une fois n’est pas coutume, Fais Pas Genre s’est penché sur une espèce de biopic à l’occasion de sa sortie en DVD chez Rimini Editions : Freud, passions secrètes de John Huston, est le récit anxiogène et halluciné de la découverte de la psychanalyse.

J’ai tué mon père

1958. John Huston a, depuis un documentaire qu’il a tourné lors de son engagement dans la Seconde Guerre Mondiale sur le traitement des traumatisés de guerre, le désir de faire un film sur la psychanalyse ou plus précisément sur sa découverte. Dans une modestie qui ne l’a pas caractérisé tout au long de sa vie, le cinéaste se dit que l’apport d’un grand intellectuel pour le scénario serait un atout : il songe à Nekfeu, avant de se rabattre (Nekfeu ayant décliné l’offre pour aller recevoir un prix Goncourt) sur un dénommé Jean-Paul Sartre. Bon point, Sartre a fait de l’inconscient, du conscient, un gros thème de travail, par exemple sur L’Être et le Néant. Mauvais point, c’est un philosophe, puissant dramaturge certes, romancier, mais pas un scénariste. Résultat, le bouzin (publié chez Galllimard sous le titre Le scénario Freud s’il y a des curieux) pèse 30 kilos, fait 592 pages et est donc infilmable. Huston met un terme à la collaboration, retape le script et recrute deux autres writers. Freud, passions secrètes, édité en DVD par Rimini Editions, peut voir le jour. Et quel jour, tant l’œuvre est assurément un des « biopics » les plus curieux et habités de peut-être toute l’histoire du cinéma.

Pour une fois nous voyons un Sigmund Freud jeune et beau, sous les traits de Montgomery Clift. En cette fin du XIXème siècle, il est un fringant docteur de 30 ans  qui se passionne pour l’hypnose et nourrit l’idée que toutes les causes de ce qu’on appelait alors vaguement l’hystérie (en gros tous les pétages de câble) n’avaient pas qu’une cause physiologique comme on le croyait alors. Pour lui et pour le docteur Breuer, il est évident que le cerveau peut être la cause de ces maux et les créer de toute pièce dans des corps et membres sains. Ce sera le point de départ d’une des plus grandes découvertes de l’histoire humaine, la psychanalyse. Manque de pot, ce qui nous semble évident voire galvaudé au point de le tourner en dérision, était bel et bien un chamboulement éreintant et dur à mener à l’époque. Freud a foutu un gros coup de pied dans la perception que l’homme avait de lui-même, comme le célèbre exemple le raconte bien, « il s’est quand même pointé en disant que tout le monde avait envie de tuer son père et de baiser sa mère… ». La pertinence de Huston est d’avoir régi Freud, passions secrètes  sur cette idée de difficulté. Premier obstacle : le travail scientifique en lui-même. A tâtons, Freud se livre à des expériences qui lui font entrer de plus en plus profondément dans la psyché humaine, au cœur des ténèbres pour paraphraser Joseph Conrad. Il touche juste, se trompe, travaille sur les autres et sur lui-même, mais surtout cherche, cherche, cherche…Ainsi les scènes de séances psychanalytiques sont ressenties comme des interrogatoires, l’anxiété est présente du début à la fin, une incroyable partition de film d’épouvante signée Jerry Goldsmith, le tout sublimé par un noir et blanc, un contraste et une réalisation expressifs de John Huston qui livre là un de ses films les plus formellement puissants. Faite de suspense, de péchés inavouables, de mensonges, des récits en flash-back, c’est la vie de Freud passée au crible du film noir, avec des touches de surréalisme lors des séquences oniriques.

Le deuxième obstacle est celui de faire accepter une telle théorie autour de soi. Même le docteur Breuer, qui pourtant l’accompagne et le pousse au début de ses recherches, lâche l’affaire lorsqu’il entend parler de sexualité infantile. Freud devient alors un personnage seul contre tous qui ne se heurte pas mais s’éclate véritablement à la perception du collège médical viennois de l’époque. Sa quête et sa révolution sont un sacerdoce, pour lequel seuls une poignée de personnes, comme sa femme, pourront être un soutien. Même lorsque le film se clôt, on n’est pas rassurés sur l’avenir de Sigmund, si on ne connait pas l’histoire du reste de sa vie. En cela, impossible de ne pas lier ce personnage aux fameux loosers magnifiques de John Huston et sa renommée thématique de l’échec, portée là par un Clift passionné, moderne, embrasé…En bonus de cette restauration magnifique, une bande-annonce et deux entretiens avec Marie-Laure Susini, écrivain et psychanalyste. On aurait pu avoir une vision peut-être plus cinématographique de la chose et plus poussée, mais de toutes façons même une édition sans bonii de ce film iconoclaste aurait suffie.

 


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM


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