Le masque arraché


Rimini Editions ressort dans une copie idéale un film noir méconnu mais idolâtré par un certain François Truffaut : Le Masque Arraché, de David Miller (1952).

L’argent de la vieille

Dans la masse de films noirs qui a constitué ce qu’on nomme, assez difficilement d’ailleurs, la période classique du genre (grosso modo du Faucon Maltais de John Huston en 1941 à La soif du mal d’Orson Welles en 1958) certains tirent leur épingle du jeu. Ils sont étudiés en école de cinéma (les Fritz Lang, pour ne citer qu’eux) ou font l’objet de l’adoration, à tort ou à raison, du culte des passionnés et autres afficionados de ce genre si particulier dont votre serviteur même est un amoureux. Le Masque Arraché, tourné en 1952, est réalisé par un cinéaste absolument méconnu, David Miller, qui pourtant n’a pas eu une carrière déméritante ayant entre autres mis en images des scénarii de Dalton Trumbo tels que Seuls sont les indomptés (1962, coréalisé avec Kirk Douglas) (1973) ou Johnny s’en va-t-en guerre en tant que réalisateur de seconde équipe. A l’époque de sa sortie, un jeune critique des Cahiers du Cinéma s’entiche du film et livre un premier papier dans lequel transparaît à la fois sa vision du cinéma et son goût pour le cinéma de genre. François Truffaut, alors âgé de , vante les mérites techniques de ce Masque Arraché que Rimini Editions nous permet de découvrir dans une belle copie DVD.

Myra Hudson, interprétée par la mature Joan Crawford, est une dramaturge à succès qui s’éprend d’un comédien qu’elle a pourtant viré de sa pièce, le jeune et charismatique Lester Blaine (joué lui par Jack Palance). Ils s’épousent et ça a l’air de bien marcher tous les deux, jusqu’à ce que Lester recroise une ancienne petite amie, femme fatale de film noir en concentré (Gloria Grahame) avec laquelle il décide de buter Myra pour toucher son héritage. Pas très sympa…Si tant est que cela veuille dire quelque chose, Le Masque Arraché est avant tout un film de « réalisateur ». Énième histoire d’assassinat à des fins lucratives, le scénario n’utilise même pas (ou si peu, malgré son titre qui y fait mention) la thématique qui aurait pourtant apporté quelque chose de très intéressant, à savoir le théâtre, pour apporter une originalité de fond à la trame, à l’image d’un Eve de Joseph L. Mankiewicz (1950) qui est un film aussi double qu’un comédien en représentation. Les métiers de Myra et Lester ne sont bien qu’un prétexte à faire partir l’intrigue classique opposant un couple adultère à la femme riche qu’il souhaite décanille, cependant, l’intérêt demeure sous deux aspects. D’une part la réaction automatique, digne de la noirceur caractéristique du film noir, du personnage de Myra, qui dès qu’elle apprend, par un habile motif scénaristique, qu’elle est la cible de son époux et de sa maîtresse, tisse une manipulation pour s’en venger : le personnage joué par Joan Crawford en ressort finalement pas forcément beaucoup plus sympathique que Lester, malgré que l’empathie du spectateur lui aille, avec sa solitude et son sentiment de vieillesse que son mariage avait éloigné un instant. D’autre part, par sa mise en scène vivante, précise, qui n’hésite pas à emmener le film vers le thriller psychologique (ces scènes d’angoisse hallucinées la nuit où Myra apprend qu’on veut l’assassiner) et une lumière voisine de expressionnisme qu’on voit plus souvent dans l’horreur gothique (les ruelles de San Francisco paraissent tellement sombres et contrastées qu’elles en deviennent presqu’irréelles). En cerise sur le gâteau, la course-poursuite finale, à armes inégales (voiture contre femme sans défense à pied) est une séquence marquante et particulièrement anxiogène comme le sont les poursuites de French Connection ou de La ronde du crime, film noir des 50’s lui aussi…

La restauration de Rimini Edition est simplement optimale, et permet d’apprécier à sa juste valeur les qualités plastiques de ce Masque Arraché qui n’a certainement jamais été aussi beau. En suppléments, nous trouvons une bande-annonce du film faite pour l’occasion ainsi qu’une présentation de Sudden Fear (titre original) par le communiquant Antoine Sire, présentation qui frustrera les friands d’analyse technique ou thématique, mais satisfera les amateurs d’anecdotes sur les comédiens dont Joan Crawford largement évoquée, les participants ou le tournage.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.