Alors que l’industrie n’a d’yeux que pour Stephen King dont les adaptations ont à nouveau le vent en poupe, et à l’occasion de la sortie en DVD de l’anthologie « Bizarre, Bizarre », une série télévisée présentée par Roald Dahl et mettant en scène plusieurs de ses nouvelles, offrons-nous un retour sur la carrière de cet auteur qui, lui aussi, ne fait vraiment pas genre.
Sacré Roald
Il est toujours difficile d’écrire sur un sujet qu’on aime trop passionnément, car il faut éviter de trahir une absence d’objectivité ou son amour aveugle. C’est bien pour cela que je ne me résoudrai jamais à écrire sur Jean Cocteau, par peur sans doute de me tromper, d’omettre des choses importantes, de n’avoir pas cerné le personnage et de trahir sa mémoire. Et c’est pour cela sans doute que j’ai repoussé à outrance l’écriture de cet article sur l’auteur prolifique, cynique et éternellement jeune qu’est Roald Dahl. Cet auteur formidable est certainement le véritable pilier, voire la fondation même de mon imaginaire et de ma construction en tant qu’individu. Alors j’y vais, je me lance, dans cette fresque historique et bibliographique, une énième parmi tant d’autres, présentant le maître du cynisme et des jeux de mots, cet auteur trop souvent rangé dans les rayons « Jeunesse » mais qui ne fait, nous allons le voir, terriblement pas genre.
Roald Dahl est né au pays de Galles (en 1916, il aurait 100 ans l’année dernière, si un cancer ne l’avait pas emporté en 1994), et perd successivement et prématurément sa sœur et son père. Il fréquente, non sans peine, les grandes écoles privées britanniques, dans lesquelles il connaît les mauvais traitements corporels, encore en vigueur à l’époque. Nous lecteurs, auront la chance de connaître son histoire grâce à sa première autobiographie Moi, Boy souvenirs d’enfance (Boy : Tales of Childhood, 1984). Et c’est dans ces mêmes écoles catholiques privées que l’enfant qu’est encore Roald Dahl connaît une première guerre celle des chocolateries. Et pour devenir la première chocolaterie de Grande-Bretagne, Catbury emploie les grands moyens et envoie des cartons entiers de barres chocolatées que devront tester les petits écoliers. Dahl y développe alors un tic jusqu’à la fin de sa vie, tous les soirs il mangera une barre de chocolat dont il gardera l’emballage qu’il roulera en boule. Parents absents, mauvais traitements et chocolat seront les grands axes des nouvelles et romans jeunesse de l’auteur. Mais les mauvais traitements ne sont pas facteurs d’enfants tristes et soumis, bien au contraire. C’est ainsi que James le héros de son premier roman jeunesse James et la pêche Géante (James and the Giant Peach, 1961), orphelin, battu et exploité par ses tantes, réussi à s’enfuir dans une pêche géante. Matilda (1988) est quant à elle maltraitée par ses parents et la directrice de son école primaire, qui inflige les pires supplices aux élèves de son école. Elle développe des pouvoirs surnaturels qui lui permettent de se venger des adultes. Georges Bouillon en 1981 (George’s Marvellous Medicine) tente de tuer sa grand-mère qu’il prend pour une sorcière et j’en passe. Le petit Charlie (Charlie and the Chocolate Factory, 1964 et Charlie and the Great Glass Elevator, 1972) est un gentil garçon aimé de sa famille qui découvrira les coulisses de la plus grande usine de chocolat, celle de monsieur Wonka. En bref, tous ces enfants maltraités par les adultes ou la société ont pour dénominateur commun de prendre leurs revanches et/ou leur indépendance du monde des adultes, il s’agit là de l’arc principal des romans jeunesse de l’auteur, qui s’inspire donc directement de sa terrible enfance.
Il devient aviateur à l’âge adulte (nous saurons tous les détails dans son second roman autobiographique Escadrille 80 (Going Solo, 1986), voyage beaucoup, travaille pour la compagnie Shell, avant de s’engager pour l’armée. Il écrit deux romans, apparemment si mauvais qu’ils ne seront jamais réédités et de nombreuses nouvelles dans Playboy et The Newyorker. C’est d’abord sous pseudo qu’il publie dans Cosmopolitan en 1942 une nouvelle dont le titre devrait délicieusement sonner à vos oreilles de cinéphiles qui ne font pas genre : Les Gremlins. Mais diantre quoi ? Joe Dante n’aurait rien inventé ? Spielberg est un voleur ? Eh bien non, les Gremlins sont une légende d’aviateur, des petites créatures malignes et méchantes qui rongent les moteurs d’avions. Cette légende est d’ailleurs rappelée par Murray Futterman (incarné par le génial Dick Miller) lorsque celui-ci s’agace des pannes à répétitions de son camion. La nouvelle de Dahl est un joli succès qui lui vaut alors d’être contacté par Walt Disney lui-même, qui souhaite adapter la nouvelle en livre puis en film et en un paquet de produits dérivés. Dahl hésite puis cède et est déçu : Les Gremlins version Disney sont trop édulcorés et le cynisme qui sera la marque de fabrique de l’auteur disparaît derrière le cartoon. Walt Disney abandonne son projet de film (suite notamment au plagiat de Warner Bros qui emploie des Gremlins au design quasiment identique dans une aventure de Bugs Bunny) et Dahl est une première fois, dégouté de l’industrie du cinéma.
Deuxième expérience décevante avec le cinéma, lorsque Dahl aide à l’écriture du scénario de Moby Dick de John Huston, sans être crédité au final. Heureusement pour lui, il retrouve un collègue de travail, avec qui, selon la légende, il aurait été espion pendant la guerre, Ian Fleming l’auteur de James Bond, qui lui demande d’adapter en scénario On ne vit que deux fois (Lewis Gilbert, 1967). Une réussite pour les deux auteurs qui se retrouveront pour l’adaptation du roman de Flemming Chitty Chitty Bang Bang en film musical (Ken Hughes, 1968). Mais Dahl ne sera pas pour autant réconcilié avec le grand écran. Il conchie tout d’abord la première adaptation de Charlie et la chocolaterie (Mel Stuart, 1971), car le personnage de Willy Wonka devient le personnage principal plaçant Charlie au second plan (tout comme l’adaptation encore plus dégueulasse de Tim Burton en 2005) et ce, principalement pour des raisons de merchandising qui lui échappent (et on le comprend). Mais pourtant, le cinéma aime passionnément Roald Dahl puisque pas moins de six de ses romans jeunesse seront adaptés et nombre de ses nouvelles pour adultes inspireront des scénarios et courts-métrages. Ainsi Le Bon Gros Géant (The Big Friendly Giant) est adapté une première fois en dessin animé par Brian Cosgrove en 1989 avant d’être un énième chef-d’oeuvre de Steven Spielberg en 2015. Danny champion du monde (Danny, the Champion of the World, Gavin Millar, 1989) prend vie également sur les écrans et est probablement la seule adaptation louée par l’auteur. Mais encore, Danny DeVito adapte superbement Matilda, en le plaçant dans un décor américain. Une adaptation que l’auteur détestera autant qu’il haïra en 1990 la version déjantée de Sacrées Sorcières (The witches, Nicolas Roeg), dernière adaptation de son vivant. En 1995 dans le film à sketches Groom Service (Allison Anders, Alexandre Rockwell, Robert Rodriguez et Quentin Tarantino) est adaptée par Quentin Tarantino lui-même la nouvelle L’homme du Sud (Man from the South, 1948). Puis en 1996 James et la pêche géante (James and the Giant Peach, Henry Selick) offre un voyage en stop-motion pour les studios Disney (gageons que Dahl s’est alors retourné dans sa tombe). Enfin, Wes Anderson s’approprie à son tour un roman de l’auteur, avec Fantastic Mr. Fox considéré par beaucoup comme le meilleur film tiré d’un livre de Roald Dahl.
Mais Roald Dahl n’a pas été adapté qu’au cinéma, il connaît également une jolie carrière à la télévision. Il écrit en 1961, la série Way out qui ne connaitra pas le succès attendu et sera annulée au bout de seulement 14 épisodes. De 1958 à 1961 pas moins de sept nouvelles de Roald Dahl sont adaptées pour la série Alfred Hitchcock presents, ce qui le réconcilie avec le petit écran. Et en 1979, l’auteur présente lui-même les deux premières saisons d’une série qui adapte la plupart de ses nouvelles : Bizarre, bizarre ! (Tales of unexpected), qui ne connaitra pas moins de 112 épisodes de 25 minutes. C’est l’occasion pour moi de vous parler des deux premières saisons qui sont éditées chez Elephant Film, des coffrets pépites dans lesquels on retrouve des épisodes totalement inédits en France (ne bénéficiant donc pas de doublage français), le tout présenté comme je l’ai déjà dit, par l’auteur lui-même. Et quel plaisir que d’entendre Dahl, entre autres anecdotes, nous expliquer qu’il lui a fallu plus de deux ans pour accoucher de la nouvelle dont nous allons voir l’adaptation. Une véritable série d’anthologies parfaite pour les dimanches pluvieux qui nous attendent en cette fin d’année. La série ravive ce goût si savoureux de l’écriture caustique de Dahl. Sarcasme, humour noir, personnages parfois bêtes et souvent antipathiques donnent aux histoires de l’auteur britannique des relents gothiques que ne renierait pas Edgard Allan Poe. Roald Dahl n’a certainement pas fini d’influencer les artistes contemporains, encore adapté au théâtre, en comédie musicale mais aussi à la télévision, et gageons qu’il n’a pas fini d’envahir les grands écrans mondiaux, pour notre plus grand plaisir.