Qu’on se le dise, Roald Dahl est, de loin, un auteur qui fait pas genre ! Souvent réduit par les plus novices au rôle d’écrivain pour enfant, Dahl est probablement le plus prolifique des auteurs du 20e siècle, nouvelles, romans, dessins, autobiographies et scénarios pour enfants certes, mais pour adultes aussi. Le cinéma lui fait la part belle en adaptant par deux fois Charlie et la chocolaterie (Mel Stuart en 1971 puis Tim Burton en 2005), Fantastic Mr Fox (Wes Anderson, 2009) le génial Matilda (Danny DeVito, 1996) et dernièrement Le BGG le bon gros géant (Steven Spielberg, 2016). On lui doit aussi un peu les Gremlins (Joe Dante, 1984), mais c’est une autre histoire et on y reviendra tôt au tard. Aujourd’hui c’est sur l’adaptation de Sacrées Sorcières, renommé pour l’occasion Les sorcières de Nicolas Roeg que je vais m’épandre. Et gare à vous si ne vous lisez pas l’article jusqu’au bout : Je vous transformerai en souris !
C’est pas sorcier !
Sacrées sorcières (The witches en vo) est un livre écrit en 1983 qui est instantanément devenu un classique disponible dans toutes les bibliothèques des écoles primaires – il est d’ailleurs conseillé par l’Éducation Nationale française, comme quoi parfois ils font des choses intelligentes – et qu’il faut impérativement avoir dans sa propre bibliothèque que l’on soit enfant ou adulte. De toute façon il faut avoir tous les Roald Dahl dans sa bibliothèque autrement c’est un affront que vous faites à vos Billy Ikea, je vous le dis. Sacrées Sorcières donc, est une histoire terrible et terrifiante – soit-disant pour les petits, mais même les grands frissonnent – qui présente une version inédite et résolument moderne des sorcières : elles sont semblables à toutes les femmes sauf qu’en vrai elles sont chauves, n’ont pas de pieds, des griffes et les yeux violets et dissimulent toutes ces caractéristiques sous des perruques gants et chaussures plates. Le petit Luke, qui connaît très bien l’existence des sorcières grâce à sa grand-mère qui l’élève, se retrouve malgré lui dans la même salle que toutes les sorcières du pays qui, modernité oblige, organisent des congrès pour apprendre à mieux transformer les enfants en souris, parce que les sorcières, ça hait plus que tout les enfants. Ça ne vit que pour faire souffrir les enfants. Pas de chance pour Luke et son nouvel ami Bruno, ils seront vus, attrapés et transformés en souris, s’ensuit alors une heure de course poursuite dans les couloirs de l’hôtel, de femmes hystériques à la vue d’une souris – car on le sait bien toutes les femmes sont hystériques à la vue d’une souris bien sûr, sauf les grands-mères – et une mamie badass qui donne des coups de pied au cul de la sorcière suprême afin de sauver son petit-fils. Bravo mamie ! Pas de demie mesure chez Dahl à l’écrit, comme adapté au cinéma : les méchants sont méchants, les gentils sont gentils, les parents sont apathiques et inutiles, puis de toute façon c’est drôlement plus marrant d’être transformé en souris pour ne plus aller à l’école.
On retrouve dans le rôle de la Sorcière Suprême la charismatique Angelica Huston qui propose à toutes les sorcières d’Angleterre réunies à la conférence, un flacon de potion magique – la formule 86 – qui peut transformer pas moins de 500 enfants en souris. Angelica Huston qui aura le droit au plus beau – ou plus laid c’est selon – des animatronics réalisé par Jim Henson, le créateur du Muppet Show ou encore de Dark Crystal. Rowan Atikson campe dans ce film un rôle bien sérieux de directeur d’hôtel qui fricote avec une employée – on laissera exprimer son côté burlesque lors d’une incroyable scène où il s’acharne à achever une souris à coup de hache. Le jeune Jason Lee, qu’on reverra une deuxième et dernière fois au cinéma dans le rôle d’un enfant perdu dans Hook (Steven Spielberg, 1992) s’en sort plutôt bien, avant d’être transformé en souris. Nicolas Roeg (réalisateur un peu méconnu du grand public à qui l’ont doit notamment, le magnifique L’homme qui venait d’ailleurs, 1976) utilise les grands-angles et autres contre plongée, soulignant par là même, les émotions des personnages qu’il dirige. Une contre-plongée sur les enfants accompagne la menaçante sorcière tandis qu’un grand-angle souligne l’immensité de l’hôtel pour une pauvre petite souris. Il placera d’ailleurs régulièrement sa caméra à hauteur des petites bêtes qui papotent, de mignonnes petites marionnettes, lorsqu’elles sont en action pour vaincre les sorcières. Soulignons d’ailleurs qu’une longue partie de chasse dans la cuisine de l’hôtel inspirera sans doute la mise en scène de Ratatouille (Brad Bird, 2007) !
Film d’une époque où l’on ne proposait pas encore de la soupe aseptisée aux enfants, rendant hommage aux grandes méchantes de Disney de la méchante reine de Blanche-Neige et les sept nains (1937) à Cruella d’Enfer en empruntant leurs codes qui ont fait leur renommée, Les sorcières fait peur, est sale, on rote, on vomit, on explose parfois dans un nuage de bave fumante. Résolument grinçant, on s’étonne cependant de son happy end qui n’existait pas dans le livre et qui fait considérablement perdre la saveur aigre-douce qui caractérise tant l’auteur britannico-norvégien, tandis que le reste du film respecte l’oeuvre de Dahl sans censure : des queues de souris coupées au couteau, à l’hystérie incroyable jusqu’aux rongeurs écrasés sans ménagement par Angelica Huston. Malgré un petit coup de vieux, ce film ne perd pas de sa charmante et terrifiante magie des années 90 et est parfait pour initier junior aux films qui ne font pas genre comme à ravir les plus grands qui ne veulent pas grandir ni être trop sérieux, obéissant sagement à la consigne de Dahl introduisant son livre Danny le champion du monde.
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