De tous les cinéastes hispaniques s’étant abandonné au cinéma de genre, Alex de la Iglesia est sans doute celui dont le parcours est le plus fascinant. Ses films, profondément influencés par d’autres – je pense aux spectres évidents de Tod Browning et Alejandro Jodorowsky pesant sur le violent mais très beau Balada Triste (2010) – ne sont toutefois pas dénués d’un charme typiquement espagnol. Avec Les Sorcières de Zugarramurdi, le réalisateur revient pour s’attaquer à l’une des figures les plus emblématiques de l’épouvante. Pour se faire, il remonte aux origines de la sorcellerie à travers les âges, l’Espagne, et le petit village de Zugarramurdi.
Viva los estúpidos !
Depuis plusieurs années, on ne cesse de nous rabâcher que l’Espagne est dans un tourment économique sans précédent. C’est bien sûr indéniablement le cas. Son industrie cinématographique en subirait d’ailleurs les dommages collatéraux. Les quelques auteurs rescapés s’appellent Pedro Almodovar… et… Pedro Almodovar. Comment expliquer qu’alors que le cinéma espagnol subit une crise sans précédent, son cinéma de genre, parallèlement, connaît un essor retentissant depuis maintenant quinze ans ? Les peuples malmenés par une économie branlante et un avenir incertain seraient ils plus à même d’apprécier cet autre cinéma, plus populaire ? Cela nous donne le droit, en tout cas, d’espérer un nouveau souffle pour le cinéma de genre français dans les années à venir : si les chiffres du chômage continuent d’exploser, peut-être bien que Kechiche aura une deuxième Palme d’Or avec un slasher ! Soit. Évitons de trop rêver et revenons à notre mouton : Alex de la Iglesia. Fer de lance d’un cinéma espagnol décomplexé, populaire mais exigeant, et résolument tourné vers le genre, on lui doit des films barrés et baroques tels que Le Jour de la Bête (1995), Perdita Durango (1997), le déjanté Crime Farpait (2004) ou plus récemment son film sans doute le plus politique et violent Balada Triste de Trompeta (2010) : l’histoire d’un freak de cirque qui se rebelle contre cette société et défouraille le monde entier à coup de rafales de mitraillettes. Avec Les Sorcières de Zugarramurdi, le réalisateur conserve l’irrévérence de son propos – sous-texte politique quasiment punk – tout en retrouvant l’aspect plus comique et léger de certains de ses précédents films.
L’histoire est simple en apparence, mais elle s’inspire des origines de la sorcellerie, de celle contée dans les livres d’histoires plus ou moins occultes. C’est dans le petit village hispanique de Zugarramurdi que la sorcellerie, la vraie, pas celle des contes pour enfants, aurait vu le jour. Dans ce village, des femmes, des vraies, pas celles des contes pour enfants non plus, se seraient adonnées à des bien étranges rituels vaudous, entre autre plaisirs sacrificiels et hédonismes malsains – du genre, pratiques sexuelles avec des crapauds. La réputation du village de Zugarramurdi le dépasse encore aujourd’hui, son statut de berceau officiel de la sorcellerie est aussi indiscutable que celle du druidisme en forêt de Brocéliande. Lorsque Alex de la Iglesia a eu l’idée de faire enfin son film de sorcières, il a immédiatement songé à ces vieilles légendes qu’on lui racontait gamin, à ces femmes, démentes, succubes et mantes religieuses pour les hommes, et ogres affamées dévoreuses de petits enfants. Les Sorcières de Zugarramurdi commence comme une réminiscence de l’esprit de Balada Triste. Ce n’est plus un clown tout barbouillé qui braque le tout-venant, mais un homme déguisé en statut de bronze de Jésus-Christ et ses complices, tous grimés en icônes de la culture pop. Alex de la Iglesia semble adopter d’emblée son petit postulat de ricaneur : « Regardez donc ce monde un peu trop normé qui vous explose à la gueule ! ». Les conventions, qu’elles soient religieuses ou culturelles, assénées au peuple par un ordre tout-puissant, celui de la finance et des lobbys, se réveillent et fabriquent des bombes à retardements, des monstres aux peintures de guerre qui dans une bouffonnerie générale sont embarqués dans les plus sombres manœuvres contre l’autorité et l’ordre établi. Le symbole d’un jeune père déguisé en Jésus-Christ impliquant son très jeune fils dans un braquage à l’arme à feu est traité de manière tellement loufoque qu’il fait bien sûr rire, mais jaune. Ces anarchistes embarqués dans leur équipée sauvage sont autant des figures de héros que de bouffons, autant des méchants que des gentils. De ces multiples contradictions, Alex de la Iglesia nourrit son film, pour s’approcher au plus près d’une totale perte de contrôle, paradoxalement très maîtrisée.
Surfant sur la popularité des comédies gores, Alex de la Iglesia fait donc de sa troupe de héros des losers invétérés, véritables abrutis, dont le spectateur n’aura de cesse de se moquer pendant une heure trente. On s’amuse de les voir affronter le mal en personne, et on espère grandement qu’ils arriveront à le pourfendre de la plus amusante des façons, mais néanmoins, on ne peut s’empêcher de jubiler à chaque fois que ces bras cassés se retrouvent dans de beaux draps. L’univers malsain, sale, et particulièrement oppressant que le réalisateur parvient à mettre en place autour de son village de sorcières n’est pas spécifiquement moteur à créer de la terreur chez le spectateur, mais plutôt à véhiculer un certain plaisir à voir les personnages principaux s’engluer dans des situations toujours plus compliquées. C’est un peu comme si le premier degré du Suspiria (1976) de Dario Argento – abordant lui aussi la thématique d’une communauté de sorcières – était revu et corrigé par l’univers cartoonesque d’un Sam Raimi.
Malicieux, particulièrement bien écrit, non dénué d’un sous-texte politique, Les Sorcières de Zugarramurdi a fortement déplu à une certaine critique française, déclamant que cette comédie burlesque et gore, délibérément caricaturale et grossière ne pouvait plaire qu’à des affamés de cultures bis et/ou à des abrutis. Il y a sûrement là une part de vérité, mais heureusement pour nous, notre ouverture d’esprit nous épargne le second qualificatif. Eh bien… on dirait bien qu’on l’a échappée belle.
Pingback: TOP & FLOP 2014 de Dé'Ciné - Dé'CinéDé'Ciné
Pingback: Sweet Home | Fais pas genre !