En panne de créativité à force de produire des kermesses géantes vides d’enjeux et de sens – les regards se tournent vers Captain America : Civil War (Joe et Anthony Russo, 2016) – Marvel tente de se réinventer en élargissant les frontières de ses possibles avec Doctor Strange. Poudre aux yeux ?
Quoi de neuf Docteur ?
Quoi de neuf sous le soleil de Marvel ? Après les deux dernières décevantes réunions de ses super-héros avec Avengers 2 : L’Ère d’Ultron (Joe et Anthony Russo, 2015) et l’indigeste Captain America : Civil War (Joe et Anthony Russo, 2016) le programme des prochaines sorties du studio peut toutefois nous laisser espérer un nouveau tournant dans ce que l’on appelle désormais communément le MCU pour Marvel Cinematic Universe. Avant un très attendu deuxième épisode des Gardiens de la Galaxie (James Gunn, 2014) et surtout Thor : Ragnarok confié à Taika Waititi, réalisateur de l’excellent Vampires en toute intimité (What We Do in the Shadows, 2015), tous deux programmés pour 2017, le premier de ces films prometteurs à avancer en première ligne sur le front est bien sûr l’adaptation de Doctor Strange. D’abord parce que l’inégalable sorcier est interprété par le tout aussi inégalable Benedict Cumberbatch, mais aussi parce qu’au-delà d’ajouter un nouveau super-héros à la déjà (trop) longue galerie de personnages du MCU, cela annonçait la volonté de Marvel d’élargir les frontières du possible de son univers. Il faut bien avouer que Doctor Strange, puissant sorcier manipulant artefacts et pouvant se jouer de l’espace et du temps, voyager d’une dimension à une autre, était un peu le chaînon manquant pour rendre plus évidentes les connexions futures – mais surtout irrémédiables – avec d’autres franchises de la marque, telles que celle des Gardiens de la Galaxie, ou alors rendre moins ridicules celles, un peu branlantes, tissées depuis bien longtemps avec des univers cosmiques comme celui de la saga Thor. En ligne de mire de cette volonté des studios d’étendre le champs du possible, l’obligation de préparer l’arrivée prochaine de Avengers 3 : Infinity War qui devrait réunir tous les personnages Marvel dans le même film, avec pour but commun de botter le cul de Thanos, plus grand méchant de l’univers tout entier. Rien que ça.
Pour le moment, contentons-nous de juger sur pièce ce nouveau film. Je m’en vais vous résumer brièvement le postulat de départ, sans spoiler c’est promis, et avec un maximum de mauvaise foi. Steven Strange est un médecin brillant, son talent inné à enfreindre les règles éthiques de la médecine pour retirer des balles à mains nues l’autorisant à être un connard de millionnaire arrogant qui balance des vannes à tout le monde. Vivant dans sa tour d’ivoire, il kiffe sa life en sortant dans les clubs et en conduisant des bagnoles de luxe. Oui je sais, dit comme ça, ça ressemble un peu au pitch de départ du premier Iron Man (Jon Favreau, 2008) et le personnage semble quand même emprunter beaucoup des traits de caractères de Tony Stark. Attendez de voir la suite. C’est en conduisant l’une de ces bagnoles de luxe que l’idiot est victime d’un terrible accident de la route – enfin, victime… il a surtout eu un accident parce qu’il envoyait des textos en conduisant – qui lui fait perdre l’usage de ses mains et de sa Lamborghini. Si tout le monde a relativement besoin de ses mains, un chirurgien qui opère quasiment à mains nues en a un peu plus besoin que la moyenne, même s’il en a peut être un peu moins besoin qu’un pianiste, bien qu’il m’est arrivé d’en entendre jouer avec les pieds. Après de multiples opérations et séances de re-éducation, rien n’y fait, Strange ne retrouve pas l’usage de ses précieuses mains et s’envole donc au Népal, pour y trouver un endroit où l’on pourrait, dit-on, guérir de choses dont on ne guérit pas en général. C’est là-bas qu’aurait même été envoyé le chanteur Renaud pour guérir de son alcoolisme, donc c’est très sérieux. Arrivé sur place, il va découvrir l’existence d’une organisation – ou une secte, appelez-la comme vous voulez – dirigé par l’ancien, une puissante sorcière chauve incarnée par une Tilda Swinton en fin de vie, ou déguisé en Voldemort, au choix. Cette dernière, aidée par son disciple Mordo incarné par Chiwetel Ejiofor – qui s’il n’est pas en fin de vie, lui, vu son niveau de jeu, s’aventure davantage vers une fin de carrière, alors qu’elle venait juste de démarrer, c’est quand même con – va lui enseigner les arts mystiques et lui permettre de transcender son handicap par la magie pour prétendre participer deux ans plus tard à la catégorie paralympique de la célèbre Coupe de Feu. Se découvrant un certain talent pour la création de cercles spatio-temporels, le Docteur va se transformer en l’un des plus puissants sorciers du monde, une recrue de choix pour la confrérie qui doit affronter la menace de Mads Mikkelsen, le plus grand méchant de l’histoire du cinéma, qui, en ayant eu marre de pleurer du sang des yeux et de manger des gens, a décidé de laisser coaguler le sang autour de ses yeux et de laisser un puissant démon détruire le monde. On passe un stade.
Je ne vous fais pas de dessins et ne me dites pas que je vous spoile, cette origin story des plus basiques – contrairement à l’excellent Ant-Man (Peyton Reed, 2015), qui évitait habilement tous les écueils en employant le canevas du film de casse – Doctor Strange passe par toutes les phases obligées et n’a rien de très original à offrir d’autres que son univers et les perspectives nouvelles qu’il offre pour l’univers étendu des productions Marvel. Confié à l’un des artificiers d’un cinéma d’horreur qui fait pchitt, Scott Derrickson, à qui l’on doit entre autre le très moyen Sinister (2012) la réalisation est si terriblement impersonnelle qu’elle nous fait penser à de nombreuses fois à une version low-cost de Inception (Christopher Nolan, 2010) – sauf qu’à la fin on sait si la toupie tombe ou pas. Bon allez, je spoile… Je vous le dis : elle tombe. On finit par se réveiller quand même à la fin. Eh ouais, c’était pas un rêve, la scène post-générique, qui est très bien d’ailleurs, est d’ailleurs là, comme à chaque fois, pour nous le confirmer. Il faut admettre toutefois, qu’avec ces délires visuels à base de puzzles urbains, de troubles kaléidoscopiques et visions hallucinées, certaines séquences explosent les mirettes, notamment celle où Strange, encore sceptique sur les talents de l’Ancien, se voit propulser par elle à travers les dimensions. A ce moment précis, le spectateur, scotché sur sa chaise, le cerveau complètement comprimé, les oreilles ne répondant plus de rien, les yeux écarquillés, est un peu Steven Strange lui même. Nul doute qu’à défaut du film, la séquence fera date dans le MCU parce qu’elle propulse assez habilement les spectateurs dans une autre dimension, les préparant ainsi à accepter désormais de voir dans les films Marvel les incohérences les plus éhontées et hallucinées et des raccourcis scénaristiques par cargo, ce qui est quand même une aubaine, disons-le, pour les scénaristes des futurs films de la franchise. Et voilà désormais qu’en une fraction de seconde, les personnages peuvent voyager dans le temps, d’un univers à l’autre, d’une planète à l’autre, revenir en arrière, annuler le passé et redonner vie aux morts – encore faudrait-il, me direz-vous, que Marvel ose un jour tuer ses personnages…
Alors quoi retenir d’autres ? Eh bien pas grand chose. Sinon, bien sûr, l’arrivée d’un des meilleurs acteurs de sa génération dans le casting six étoiles des Avengers. Il est évident, tant les personnages se ressemblent, que le Strange de Benedict Cumberbatch est destiné à terme à occuper les fonctions de Tony Stark aka Robert Downey Jr dans le cœur des fans. En premier lieu parce que ce dernier coûte un petit peu trop cher au studio mais aussi parce qu’il commence un peu à être has-been avec son collier de barbe et ses cols en V so-2000’s. Enfin, et c’est suffisamment rare dans un film Marvel pour qu’on le note, la bande-originale composée par l’indétrônable Michael Giacchino – l’héritier naturel des grands compositeurs, les vrais – est somptueuse et audacieuse, avec ses instruments traditionnels et ses arrangements rappelant la musique psychédélique des années 70, époque dont l’influence sur le comic original était déjà forte. Présenté par les comédiens du film et le studio comme un véritable tournant audacieux dans le MCU, Doctor Strange m’apparaît davantage être une facilité de plus, un tour de passe-passe rondement mené, pour un studio qui, depuis presque quinze ans, déroule un programme marketing millimétré.
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