Cet article suit une double actualité : la ressortie du film de Nicolas Roeg daté de 1976 en DVD chez Potemkine et le décès de David Bowie.
Space Oddity
J’ai hésité avant de faire cet article. L’annonce de la mort de l’artiste anglais m’ayant profondément touché, j’avais beaucoup de mal à réaliser ce qui se passait. Bowie donnait l’illusion de l’immortalité et on espérait tous, au plus profond de nous, que cela soit vrai. Après le choc initial de la nouvelle passé – alors que j’écoutais son dernier album Blackstar – je me suis demandé comment je pourrais rendre hommage à cet artiste à nul autre pareil et qui m’a procuré tant de joie ? Ecrire sur un film ? Oui cela me semblait juste, mais lequel ? Devais-je me replonger dans Labyrtinthe (Jim Henson,1986), ma première rencontre avec « l’Homme aux milles visages » et véritable traumatisme de l’enfance ? Furyo (Nagisa Oshima,1983) ou bien L’Homme qui venait d’ailleurs ? Je crois que j’ai trouvé. Revenons ensemble sur ce film de Roeg, première incursion dans la science-fiction pour le réalisateur de Walkabout (1971), Ne Vous retournez pas (1973) ou encore Enquête Sur une passion (1980).
1976 est l’année où le monde découvre une nouvelle facette du talent de David Robert Jones dit David Bowie : ses talents d’acteur. Sous la direction de Nicolas Roeg, réalisateur anglais ayant fait ses armes en tant que chef opérateur sur Le Masque de la Mort Rouge (Roger Corman, 1964) ou encore Fahrenheit 451 (François Truffaut, 1966) pour ne citer que ces films et qui est passé à la réalisation avec Performance (1970), film qu’il réalise avec Donald Cammell et où il dirige une autre icône de la musique, un certain Mick Jaegger. Librement inspiré du roman de Walter Tevis, le film propose de suivre le personnage de Thomas Newton (Bowie) qui semble avoir survécu à un crash au Nouveau-Mexique. Il entre en contact un jour avec un avocat afin de lui présenter des brevets scientifiques qui vont propulser Newton à la tête d’un empire financier. Néanmoins, son comportement pour le moins peu banal va trahir son secret : Newton ne vient pas de notre planète.
Avec ce film, Roeg explose les carcans de la science-fiction et donne naissance à une œuvre crépusculaire, réceptacle d’un regard acerbe sur la société et ses contemporains. Avec son style si particulier où le passé, le présent et le futur s’entremêlent pour former une sorte de mosaïque dont le sens ne se révèle au spectateur qu’à l’issue du film, Roeg dépeint Newton comme un personnage quasi-messianique qui, au contact de l’amour avec le personnage de Candy Clark mais aussi d’autres humains, va embrasser et subir l’Homme et ses vices (alcool, drogues, télévision, luxure). Aussi, la nature de la venue de Newton sur notre planète, bien qu’expliquée – il est venu sur Terre dans l’espoir de récupérer de l’eau pour sauver sa planète mourante – semble être porteuse de questionnements : le monde qu’il essaye de sauver est il une vision prophétique de notre planète ? Est-ce un parallèle avec la Guerre Froide et la peur d’un holocauste nucléaire ? C’est ce qui fait du film de Roeg un grand film : une réflexion sur le monde contemporain par le biais de l’exploration d’un futur fantasmé dans la pure tradition des films de cette époque et bien loin des productions actuelles…dont le grand modèle répondant au nom de Star Wars (George Lucas, 1977) sort l’année suivante.
Mais le film doit également beaucoup à son interprète principal Bowie. Ce n’est pas qu’un film avec David Bowie, c’est presque un film sur le chanteur. Je m’explique : à l’époque, Bowie était connu pour son alter ego Ziggy Stardust. Le film fait office de basculement alors que l’on est témoin d’une transformation. Tout comme Newton, il est ce personnage haut en couleur, tombé du ciel qui va expérimenter tous les excès – Bowie était drogué comme on peut difficilement imaginer durant toute la durée du tournage. De ce dandy flamboyant aux tenues inédites, on découvre la part sombre de l’artiste mais aussi sa fragilité. Comme la mort de Ziggy sur scène, Bowie offre au monde l’expérience de la naissance d’un nouvel avatar : the Thin White Duck. L’Homme qui venait d’ailleurs est atypique mais fait partie intégrante de la filmographie de son réalisateur avec sa narration labyrinthique et éclatée qui va inspirer de nombreux réalisateurs comme Christopher Nolan avec Memento (2001) ou encore 21 Grammes (2003) de Alejandro Gonzàlez Iñárritu mais son influence peut vraiment se ressentir sur Bowie. Si on observe bien le début du clip The Stars (Are Out Tonight), extrait de l’album The Next Day (2013), le personnage de Bowie consulte dans la superette un magazine « people » sur lequel on peut voir une photo de newton sous sa forme alien. On pourrait également parler de la suite écrite et mise en scène par Bowie lui-même en 2015 répondant au nom de Lazarus ainsi que dans les paroles de la chanson du même titre présente dans son dernier album Blackstar (2016). Mais ce film, qui a signé les débuts de la carrière d’acteur de Bowie, fait d’éclectisme et de choix assez surprenants, peut être vu, à mon sens, comme un objet documentaire exceptionnel sur la transition d’un avatar à un autre, le renouveau d’un artiste en constante évolution, qui semblait toujours en avance sur son temps et dont les tendances n’étaient que des prétextes à expérimenter, repousser les limites de sa propre créativité.
L’édition DVD de Potemkine, qui remplace l’édition de Studio Canal maintenant épuisée, est une relative déception. Même si le master est stable et agréable à regarder, on est sur un master SD alors que nos voisins européens peuvent profiter d’un Blu-Ray de bonne facture distribué par Optimum. Le son souffre aussi de la comparaison avec le Blu-Ray ; une seule piste stéréo en anglais est disponible sur le DVD. En guise de bonus, un unique module répondant au nom « David Bowie au cinéma » est disponible. Cela peut contenter les fans du chanteur (quoique ?) mais laisse un goût amer aux amateurs de cinéma et de Roeg. Il aurait été intéressant de voir des documents de tournages ou une interview du réalisateur.
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