Mademoiselle


S’il est reparti bredouille du Festival de Cannes 2016, la dernière création de Park Chan-Wook n’a pas manqué d’éblouir et de bouleverser, parfois de déranger. Sublime Mademoiselle, qui se mue en une expérience douce, cruelle et sensuelle, pour un film qui restera longtemps gravé dans les mémoires.

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Ode à Mademoiselle

Enfin le grand retour de Park Chan-Wook, après l’anecdotique Stoker (2013), qui en avait laissé beaucoup sur leur fin. Le réalisateur revient en grande pompe avec ce qui deviendra sans aucun doute l’un des chefs-œuvres de sa filmographie, laissant de côté violence et hémoglobine pour offrir un thriller érotique unique dans son genre. Proposant une relecture du roman de Sarah Waters Du Bout des doigts (2002), Park Chan-Wook nous plonge dans la Corée du Sud d’entre deux cultures, envahie par l’armée japonaise dans les années 30. Une riche japonaise, Hideko, la fameuse Mademoiselle du titre, engage en tant que servante la roturière Sook-hee, dans un immense manoir entre architecture nippone et victorienne, tenu par son oncle tyrannique. Plongée dangereuse dans un véritable nid de vipères, dont personne ne ressortira indemne, personnages comme spectateurs.

2Si je ne peux donner qu’un seul conseil : allez découvrir Mademoiselle en ne sachant presque rien du film. Fuyez les résumés, bande-annonce et autres trailers, et arrêtez immédiatement de lire cette critique, votre expérience n’en sera que plus jouissive. Le film ne s’apparente à aucune autre de l’œuvre du réalisateur, oscillant tour à tour entre huit-clos, érotisme et thriller pur et dur. Mademoiselle puise sa force dans un scénario béton, découpé en trois actes bien distincts, décomposant et réécrivant l’histoire et ses personnages de manière brutale et froide. Chaque partie est un énorme twist en soit, nous faisant découvrir ce que la caméra ne nous a pas montré, parfois beaucoup plus que ce que dont nous nous étions contentés. Un thriller intelligent et parfaitement écrit, interprété par des acteurs au sommet de leur art, se donnant corps et âme dans leur personnage, et bon sang ce que ça fait du bien ! Park Chan-Wook révèle ainsi Kim Min-hee, la Mademoiselle à la prestation tout en sensualité, et l’incroyable Kim Tae-ri, petite servante pas si innocente que ça, dans son tout premier long métrage. Le réalisateur ne s’éloigne pourtant pas des thèmes qui lui sont chers, peignant les portraits de femmes fortes et époustouflantes, similaires à celles de l’extraordinaire Lady Vengeance (2005), tout en exploitant ses fameuses scènes de tortures (physiques et érotiques) sordides à la Sympathy for Mister Vengeance (2002) ou encore le segment Cut issu de 3 extrêmes (2004). Il s’y dégage pourtant une douceur, une sensualité haletante venant se heurter à la dure réalité de chaque situation, une beauté dans chaque geste et parole, dans chaque mouvement de caméra qui font de Mademoiselle une œuvre à part entière.

Le film, en plus de la Palme d’Or, était en lice pour la Queer Palm 2016, à raison. Si les relations entre les différents personnages sont multiples, la plus forte se dégage d’entre Mademoiselle et sa servante, atteignant des sommets en termes d’érotisme qui feraient rougir de jalousie Abdellatif Kechiche et sa Vie d’Adèle (2013). Park Chan-Wook ne cache presque rien, les corps se mêlent et s’entremêlent dans une danse charnelle au rythme des respirations et baisers. L’excitation atteint son maximum lors de scènes presque anodines lorsque les deux femmes se retrouvent seules, que ce soit pour le bain de Mademoiselle, ses habillages de toute beauté ou ses crises nocturnes. L’érotisme est le thème clé du film, ne se contentant pas seulement des relations humaines mais exploitant un aspect de la culture asiatique plus ou moins discret pour nous occidentaux : les lectures et estampes érotiques (voir 3carrément sexuelles). De petites références du genre viennent se glisser de ça et là dans le film, toutes plus glauques les unes que les autres, allant jusqu’à impliquer une véritable pieuvre en hommage à l’estampe du Rêve de la femme du pêcheur de Hokusai. Les deux personnages masculins sont largement en retrait, bourreau ou escroc, complotant chacun pour mettre la main sur la fortune de Hideko, qui verra son salut en la personne de sa toute jeune servante. Park Chan-Wook écrit un film pour les femmes, dans un monde où les hommes ne sont ni aides ni sauveurs, mais tortionnaires dans un univers cruel où la mort paraît être la meilleure issue. Les quelques scènes de sexe, de même que l’ensemble du film, sont appuyées par une réalisation, une mise en scène et une photographie impeccables, frôlant presque à mes yeux la perfection. L’univers du film vient appuyer la réalisation, nous immisçant dans une Corée perdue culturellement parlant, oscillant entre Japon et Angleterre dans ses décors et ses costumes. La bande originale vient magnifier le tout, orchestrée par Jo Yeong-Wook qui accompagne le réalisateur depuis Joint Security Area (2000).

Si vous vous posez encore la question d’aller voir Mademoiselle, arrêtez tout ce que vous faites et foncez. Vous pleurerez, vous rirez, vous serez chamboulés, sûrement un peu (beaucoup) émoustillés. Park Chan-Wook ne fait que confirmer son talent dans la réalisation, en s’aventurant sur un terrain quelque peu différent de celui que nous lui connaissions, pour en sortir un film à la prestance rarement égalée. Je me dois de l’avouer, j’ai moi-même été transportée par la grâce et la beauté mortelle de Mademoiselle, jusqu’à en tomber folle amoureuse.


A propos de Jade Vincent

Jeune sorcière attendant toujours sa lettre de Poudlard, Jade se contente pour le moment de la magie du cinéma. Fan absolue de Jurassic Park, Robin Williams et Sono Sion, elle espère pouvoir un jour apporter sa pierre à l'édifice du septième art en tant que scénariste. Les rumeurs prétendent qu'elle voue un culte non assumé aux found-footages, mais chut... Ses spécialités sont le cinéma japonais et asiatique en général.

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